« La propagation du bitcoin est telle, qu’on ne peut se dispenser d’une réglementation »
« La bourse de Chicago institutionnalise le bitcoin » a récemment titré Le Monde. Cette « institutionnalisation » est-elle synonyme de réglementation ? Décryptage par Jean-Marc Francheschi associé responsable de la pratique corporate et marchés de capitaux des actions et Sébastien Gros, associé responsable de l’équipe institutions financières chez Hogan Lovells.
Que pensez-vous de l’introduction en bourse du bitcoin ?
Jean-Marc Francheschi : Il ne faut pas parler d’introduction en bourse du bitcoin. Il s’agit, en réalité, de négociations de contrats dérivés dont le sous-jacent est le bitcoin. Ce sont ces contrats qui vont jouer sur la valorisation du bitcoin, comme autrefois des contrats négociés sur la bourse de Chicago jouaient sur la valorisation du bœuf vivant ou de la carcasse de porc. Le bitcoin est une devise virtuelle qui n’est pas émise par une banque centrale. Elle n’est pas corrélée à l’économie d’un pays, d’une zone géographique, ni même à des actifs possédés par une banque centrale.
Sébastien Gros : L’ « émission » de cette monnaie virtuelle n’est actuellement soumise à aucune réglementation, sauf en ce qui concerne les plateformes d’échange de bitcoins qui sont, elles, selon leurs modalités de fonctionnement, soumises aux règles sur les services de paiement. Mais les modalités d’émission, d’achat et d’utilisation de bitcoins sont presque totalement libres. L’AMF et l’ACPR viennent d’ailleurs d’avertir le public sur la volatilité de la valeur du bitcoin et l’absence de garanties et de protection pour le consommateur. Ce communiqué a été publié en raison du cours historique du bitcoin, qui est passé de 1 000 à 17 000 dollars environ en un peu plus d’un an. Les autorités notent que le bitcoin est un actif spéculatif qui n’a pas de cours légal, et que sa valeur est uniquement fondée sur l’offre et la demande. Son cours est donc susceptible de subir des variations à la hausse et à la baisse très importantes.
Jean-Marc Francheschi : La bourse de Chicago a d’ailleurs introduit des limites de variation, notamment un seuil maximal de 13 %, inférieur à la volatilité du bitcoin qui a connu des variations pouvant atteindre 20 %. Il est probable que les systèmes mis en place pour le réguler seront fréquemment inopérants, compte-tenu de la volatilité historique constatée.
L’ordonnance « blockchain », parue au J.O. du 9 décembre, est-elle en lien avec ce nouveau marché ?
Jean-Marc Francheschi : L’ordonnance parue n’est pas corrélée au bitcoin. Elle concerne la blockchain et permet selon les termes du texte de tenir un registre de comptes de valeurs de type actions grâce à un « dispositif d’enregistrement électronique partagé ». D’aucuns considèrent que cette ordonnance ne va pas assez loin. On peut constater qu’elle ne mentionne pas les flux et ne parle que de l’outil.
Est-ce nécessaire de réglementer le bitcoin ?
Jean-Marc Francheschi : Il sera nécessaire de réglementer le bitcoin dès lors qu’un marché mature souhaitera en accueillir la négociation.
Sébastien Gros : Un encadrement de ces sujets ne pourra être effectif que s’il intervient au niveau mondial. Une réglementation seulement aux États-Unis ne permettra pas de confiner les risques inhérents à ce marché. Il faut aussi savoir ce que l’on veut réglementer. Il est impossible de réglementer le bitcoin au moment de la création car le processus est purement technique. Le moment du passage du virtuel au réel, ou inversement, est déjà susceptible de relever des règles applicables en matière de lutte contre le blanchiment, en ce compris l’obligation de vérifier l’identité du client procédant à la conversion ou à l’achat de bitcoins. Ce qui pourrait être réglementé, ce sont les échanges entre détenteurs privés de bitcoins ou encore l’information « financière » à donner avant tout achat de bitcoins.
Mais réglementer le bitcoin, ne serait-ce pas le dénaturer ?
Jean-Marc Francheschi : La réglementation du bitcoin supprimerait en effet la philosophie de création de cette monnaie, et il perdrait de son attrait, mais sa propagation est telle qu’on ne peut s’en dispenser.
Sébastien Gros : Une réglementation a minima serait au moins de nature à encadrer et limiter les risques de transactions illégales sans lui ôter tout intérêt. Mais traiter le bitcoin comme un pur produit d’investissement financier pourrait être perçu par certains comme dénaturant sa philosophie.
Conseilleriez-vous à vos clients d’acheter du bitcoin ?
Sébastien Gros : Compte-tenu de la volatilité, du risque et de l’incertitude, je suivrai le conseil de l’AMF qui préconise une prudence absolue. Sauf à être un investisseur avisé et averti, je n’investirai pas dans le bitcoin, surtout à ce jour, car compte-tenu du cours, une augmentation des reventes de bitcoins ne peut être exclue et le cours pourrait s’effondrer.