Dossier Airbus : interview de John Harrison
Airbus a conclu, le 31 janvier 2020, un accord avec le PNF, le SFO, le DOJ et le DOS dans le cadre d’enquêtes sur des allégations de corruption ainsi que sur la conformité avec la réglementation américaine sur la commercialisation de matériel militaire (ITAR). Après environ quatre ans d’enquête interne, cette négociation inédite avec les quatre régulateurs a été menée par le general counsel du groupe, John Harrison, assisté de ses équipes et de ses avocats. Il répond aux questions de la LJA.
Vous avez été nommé directeur juridique et secrétaire général d’Airbus en juin 2015, juste un an avant que le groupe ne s’auto-dénonce aux autorités. Quels étaient les faits découverts ? Pourquoi avoir fait ce choix de la coopération ?
John Harrison : À l’occasion du renforcement de nos procédures de conformité, nous avons découvert que des déclarations inexactes ou incomplètes avaient été effectuées auprès de l’agence de crédit export britannique à propos d’agents commerciaux. C’est ainsi que, début 2016, la société a tout d’abord informé l’agence de crédit export en question, puis le Serious Fraud Office auprès de qui une négociation était déjà possible en vertu d’une loi introduite en 2014 dans le prolongement du UK Bribery Act. Dès l’introduction de la loi Sapin II en France en 2017, la société a ensuite pu coopérer avec le Parquet National Financier, puis avec les autorités américaines.
La coopération présente de nombreux avantages. Elle permet notamment à la société, avec l’aide de ses conseils, de mener l’investigation et ainsi de se réformer pro-activement dans un délai relativement rapide – la première autorité ayant ouvert son enquête était le SFO en août 2016 – et donc d’éviter une procédure judiciaire beaucoup plus longue et coûteuse. Surtout, une résolution amiable n’emporte pas de condamnation pénale. La société reconnait néanmoins les faits et n’a pas le droit de les commenter ou les contredire, elle doit aussi s’acquitter d’une amende significative. L’action publique est par ailleurs suspendue pendant trois ans durant lesquels la société se doit d’être irréprochable.
Airbus a ainsi investigué, reporté aux autorités, coopéré et transigé avec les autorités en environ quatre ans. Jean-François Bohnert, représentant du PNF, a d’ailleurs salué votre coopération dans l’enquête. Comment concrètement vous êtes-vous organisé ? Quelle répartition des rôles entre avocats/ service juridique interne ?
J. H. : J’étais directement en charge de ce dossier en raison de son caractère stratégique et de ses enjeux, et seul un nombre restreint de membres de mon équipe, et notamment la directrice de la conformité et le responsable du contentieux, m’a assisté dans cette résolution en raison des impératifs de confidentialité. Un comité dédié du conseil d’administration, d’abord ad hoc, puis permanent, le comité éthique & compliance, a été créé et a directement suivi l’ensemble des investigations. Pour ce qui est des conseils externes, j’ai fait le choix d’engager parmi les meilleurs spécialistes pour chacun des pays concernés, venant de cabinets différents. Ces derniers ont travaillé en équipe, littéralement comme s’ils faisaient partie d’un seul et même cabinet. Nous avons également fait appel à trois personnalités extérieures reconnues de la conformité, Noëlle Lenoir, Lord Gold et Theo Waigel, afin de revoir notre programme de conformité et de formuler des recommandations.
L’enquête interne a été un lourd investissement pour le groupe. Certains journalistes s’en étaient alarmés il y a plusieurs mois. Était-ce justifié ? Qu’est ce qui coûte une telle somme ?
J. H. : Un tel investissement est nécessaire. Il s’agissait de collecter et analyser des millions de documents, réaliser des entretiens avec nos salariés et agents commerciaux, entreprendre un travail d’analyse juridique élaboré dans différents droits, effectuer des présentations auprès des autorités puis négocier avec elles. Il fallait revoir notre organisation conformité, recruter, se réformer. Cet investissement nous permet aujourd’hui d’avoir un programme de conformité répondant aux exigences internationales et a notamment permis une réduction substantielle du montant de l’amende.
Le groupe a bénéficié de 50 % de réduction au titre de sa coopération en France et en Angleterre. Avez-vous pu négocier le montant de l’amende globale ou avez-vous dû transiger le montant avec chaque autorité ?
J. H. : Airbus a coopéré et négocié avec chaque autorité et celles-ci se sont coordonnées entre elles. Les négociations revêtent un caractère confidentiel.
L’amende concerne le groupe Airbus. Qu’a-t-il été décidé pour les personnes physiques ayant été à l’origine de ces cas de corruption ? Quel a été leur sort en interne ?
J. H. : Un certain nombre de personnes a dû quitter la société dans le cadre des mesures de remédiation. La question relative à d’éventuelles poursuites contre des personnes physiques est une question pour les autorités. Les départs se sont donc faits en conformité avec le droit du travail.
Comment se sont déroulées les négociations avec les autorités ? Les services français avaient-ils la main ?
J. H. : Les négociations revêtent un caractère confidentiel et il s’agit d’une question à poser aux autorités. Les investigations ont été réalisées en conformité avec le droit français et notamment la loi de blocage requérant que la production de preuves à l’étranger soit faite au travers des autorités françaises. In fine, les parts respectives de l’amende globale sont d’environ 60 % pour la France, moins de 30 % pour l’Angleterre et plus de 10 % pour les États-Unis.
Depuis votre arrivée, vous avez pris toute une série de mesures afin de réformer les procédures du groupe. Quelles sont-elles ? Comment ont-elles été appréciées par les autorités dans les négociations ?
J. H. : La conformité a été au cœur des discussions avec les autorités. La CJIP indique notamment qu’Airbus a travaillé de 2015 à 2019 à la conception d’un programme digne des standards les plus élevés en la matière. Nous avons notamment élaboré un nouveau code de conduite, revu toutes nos procédures et recruté un personnel qualifié.
Airbus a accepté de se soumettre au monitoring de l’AFA pendant trois ans. Comment la surveillance va-t-elle s’organiser ?
J. H. : L’agence est le moniteur. Airbus ayant déjà fait l’objet d’un contrôle AFA en 2018 et ayant tenu compte de ses préconisations, la mission telle qu’expliquée dans la CJIP consistera au contrôle du déploiement du programme de conformité d’Airbus dans ses filiales notamment et donc à des audits ciblés. Nous coopérerons pleinement avec l’AFA comme par le passé.
Cette décision Airbus marque-t-elle une nouvelle ère de la justice négociée en France ? On parle d’hégémonie américaine, mais depuis que la France s’est dotée d’un arsenal de répression interne est-ce toujours le cas ?
J. H. : La France fait en effet aujourd’hui jeu égal avec ses partenaires et cette résolution en est la démonstration.
Qui s’est chargé du dossier chez Airbus ?
L’équipe en interne :
John Harrison, directeur juridique et secrétaire général, Edouard Eltvedt, qui lui est rattaché, Sylvie Kandé de Beaupuy, responsable de la conformité, et Karl Hennessee, responsable
du contentieux.
Les avocats d’Airbus :
Pour la France : Clifford Chance avec Thomas Baudesson et Charles-Henri Boeringer, associés, ainsi que Sophie Lévy et Charles Merveilleux du Vignaux. August Debouzy avec Gilles August, associé, et Olivier Attias, counsel.
Pour la Grande Bretagne : Dechert avec Neil Gerrard, Caroline Black et Karen Coppens, associés, et Clifford Chance avec
Simon Davis, associé.
Pour les États-Unis : Paul Hastings avec Bob Luskin, associé. Arnold & Porter avec John Barker, associé, pour les aspects contrôle des exportations.