Langage Clair et Plain English
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires N°1339 du 26 février 2018
Par Christophe Asselineau, avocat associé, cabinet Norton Rose Fulbright
L’influence des cabinets anglo-saxons et le besoin de répondre aux “standards” internationaux ont mené depuis une trentaine d’années à un accroissement de la taille des cabinets, à la segmentation hiérarchique de leurs avocats et à l’utilisation quotidienne du franglais. Ces mêmes facteurs ont aussi conduit à l’allongement des contrats, à la complexification des rédactions et à l’utilisation, parfois incantatoires, de termes juridiques anglo-saxons dans des contrats rédigés en français et soumis au droit français.
On peut certes se réjouir que ces exigences aient fait évoluer certaines pratiques rédactionnelles qui, en privilégiant parfois le style au détriment de la rigueur, pouvaient conduire à des ambiguïtés. On peut cependant aussi s’interroger, à la lecture de nombreux contrats actuels, si cette volonté d’exhaustivité n’entraine pas souvent le rédacteur du côté obscur de la phrase.
Or de nombreux juristes et administrations anglophones, victimes avant nous de cette complexification, se sont efforcés de développer sous l’expression « plain English », des techniques visant à rendre contrats et textes officiels plus simples sans en réduire la précision juridique. Ces méthodes ont été adaptées au Québec dans un environnement bilingue sous l’expression « langage clair ».
Utiliser un « langage clair » c’est se mettre à la place du lecteur, employer des mots simples et limiter l’utilisation du jargon. C’est éviter les formules latines ou expressions étrangères mal maitrisées. C’est utiliser des paragraphes, faire des phrases courtes, privilégier la voix active et ne pas hésiter à utiliser des schémas pour préciser une clause. Différentes études montrent que ces techniques permettent de réduire les ambiguïtés et les contentieux. Si ces quelques principes peuvent paraître élémentaires, qui d’entre nous peut affirmer que la complexité des transactions, la crainte de ne pas être exhaustif, le manque de temps ou la force des habitudes ne le conduit pas trop souvent à les abandonner ?
L’administration française travaille avec ses collègues canadiens sur ce sujet. En revanche rares semblent être les initiatives du barreau sur ces questions. Ce constat vaut aussi pour l’enseignement : les ouvrages de « technique contractuelle » offrent d’excellents catalogues de clauses mais abordent rarement les questions de rédaction. Or ces dernières sont fondamentales afin d’enregistrer la volonté des parties en termes clairs pour le tiers qui sera amené à mettre en oeuvre le contrat ou à se prononcer sur les obligations des parties.
Heureusement les rédacteurs français pourront trouver un remède à la source du mal en adaptant en « langage clair » les principes du « plain English ».
Ceci n’est d’ailleurs peut-être qu’une étape. Car dans un monde de tweets et de PowerPoint certains juristes étrangers réfléchissent déjà à l’utilisation d’autres signes que les mots pour enregistrer les relations contractuelles. Schémas et chronogrammes mais également équations et signes mathématiques pourraient peut-être un jour remplacer certaines clauses. Tout ceci en même temps que se développent les outils de rédaction automatisée, les « legal techs » et les « paralegals » uberisés.
En attendant ce jour merveilleux où un prêt syndiqué multi devises ou une fusion transfrontalière se réduiront à un simple échange d’émoticons, il serait sans doute encore utile pour le barreau français, notamment dans le cadre de la francophonie, d’étudier et de promouvoir plus avant les techniques de rédaction contractuelles et du langage clair. Avant que l’intelligence artificielle ne le fasse à notre place, essayons donc encore de choisir entre le « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement » et le « Sur un malentendu ça peut marcher. »