Avocats d’affaires, prenons part au débat public sur le rôle de l’entreprise !
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires N°1340 du 5 mars 2018
Par Henri-louis Delsol, associé, cabinet Delsol Avocats
Le gouvernement a lancé début janvier une consultation sur le rôle de l’entreprise dans la société.
L’un des enjeux porte sur l’opportunité d’élargir l’objet social d’une entreprise. Certains patrons semblent soutenir cette initiative, le PDG de Veolia ayant par exemple déclaré qu’il « souhaiterait qu’il soit rappelé quelque part dans la loi tout ce qu’une entreprise apporte, et qu’elle ne sert pas seulement les intérêts des actionnaires et des patrons. Elle est d’intérêt général ».
Pour rappel, l’article 1832 du Code civil dispose que « la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter » et l’article 1833 complète en prévoyant que toute société doit « être constituée dans l’intérêt commun des associés. »
Il est indéniable que certaines entreprises sont moins respectueuses que d’autres à l’égard de leurs partenaires, leurs salariés, l’environnement, etc. Mais n’est-il pas utopique d’imaginer que les entreprises pourront demain contribuer davantage au bien commun parce qu’il en aura été ainsi décidé par le législateur ? Une entreprise réussit quand ses dirigeants se focalisent, dans l’intérêt de ses actionnaires, sur une recherche de l’excellence sur un marché. Ce qui ne doit pas pour autant priver chaque entrepreneur et dirigeant, individuellement, d’intégrer au quotidien le critère du bien commun dans les prises de décisions.
Ceux qui oseront se prononcer contre un élargissement des articles 1832 et 1833 du Code civil prendront le risque de se faire cataloguer comme de primaires défenseurs d’un capitalisme sauvage. À charge pour eux de se défendre et de promouvoir des réformes. Car, oui, il faut rendre plus attractif l’intéressement salarié, en poursuivant par exemple l’allégement de la fiscalité sur les actions gratuites. Oui, il convient de permettre à des individus, s’ils le souhaitent, de créer des « entreprises à mission », à objet social élargi et contractuellement défini (ce que n’interdisent pas, en tant que tel, les textes actuels si l’on admet que l’intérêt des actionnaires, précisé statutairement par ces derniers, est la satisfaction de pouvoir servir un bien commun plus large).
Prévoir en revanche, si tel s’avérait être le projet du gouvernement, qu’une société soit nécessairement constituée dans l’intérêt de ses partenaires commerciaux, ses salariés, l’environnement et plus largement ses « parties prenantes » serait non seulement une atteinte à la liberté individuelle et au droit de propriété privée mais reviendrait à nier la responsabilité personnelle des actionnaires et dirigeants. Surtout, une telle mesure serait de nature à introduire des conflits d’intérêts internes à l’entreprise qui engendreraient des contentieux face auxquels il serait demandé à nos magistrats – qui ne sont pas outillés pour cela et n’ont pas vocation à l’être – de prendre des décisions en lieu et place des actionnaires et mandataires sociaux.
La philosophe Ayn RAND dénonçait au milieu du siècle dernier dans son best-seller La grève la démocratie sociale interventionniste. Ce roman est tout aussi captivant que prémonitoire : une part belle y est faite sur une loi dite d’égalité des chances qui prévoit justement que l’entreprise ne peut être dirigée dans l’intérêt exclusif de ses actionnaires. Ses effets sont dévastateurs sur la liberté d’entreprendre, favorisant le capitalisme de copinage et la peur du progrès.
Alors, au-delà des clivages politiques et de nos positions respectives, prenons part à ce débat public passionnant sur le rôle de l’entreprise !