Maria Gomri, le goût du risque, l’esprit pionnier
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°59 - mars/avril 2019
Par Olivia Dufou
Reportage photographique : Mark Davies
Maria Gomri est directrice juridique de Google pour la France depuis 2011. Rencontre avec l’une des actrices majeures en France du droit de l’Internet.
Le siège français de Google est situé 8 rue de Londres, dans le 9e arrondissement de Paris. C’est un hôtel particulier au bas de la rue, tout près de l’église de La Trinité. On y pénètre par une porte latérale située à gauche de la grille, qui défend l’accès à une grande cour. Nulle enseigne n’annonce le géant mondial sur la façade. C’est en regardant à travers la grille que l’on reconnaît les couleurs de la firme bleu-rouge-jaune-vert, peintes sur le mobilier de jardin. Au-dessus de la porte dédiée aux visiteurs, la réplique d’une plaque de rue parisienne affiche, à la place d’un nom de rue, « I’m feeling lucky » en caractères multicolores. Au poste de contrôle, le visiteur s’enregistre lui-même sur une borne qui ne parle qu’anglais, avant d’être invité à traverser la cour pavée pour rejoindre l’accueil. Un badge multicolore sert de laissez-passer. Maria Gomri apparaît dans le hall. La directrice juridique de Google est une femme brune en jean et en pull gris, qui affiche une quarantaine souple et longiligne de danseuse. Ici, tout le monde est jeune et habillé cool. À l’évidence, le mastodonte mondial a conservé l’esprit start-up. Un esprit que l’on retrouve dans les vastes open space peuplés de collaborateurs studieux qu’il faut traverser pour accéder à la salle de réunion. Maria Gomri explique qu’ici, personne n’a de bureau individuel, pas même la direction. Alors, on apprend à travailler en silence. Des cabines sont prévues pour passer des appels, mais tout se fait surtout par mail.
« L’esprit entrepreneur et le goût du risque sont des atouts chez Google »
Nous voici installées dans une salle de réunion semblable à mille autres. La directrice juridique de Google raconte le parcours qui l’a menée chez le géant mondial. Rien ne la prédisposait à devenir juriste. Comme beaucoup, cette littéraire férue de philosophie a choisi le droit parce qu’on lui a expliqué en terminale que cette formation menait à tout. Nous sommes en 1990. Elle s’inscrit à Assas, pour changer de quartier, explique-t-elle, et pour voir autre chose. La matière phare à l’époque, c’est la propriété intellectuelle. Quelques années plus tard, voici que l’on commence à parler d’Internet. Elle s’inscrit au troisième cycle du professeur de droit d’auteur et Internet Pierre Sirinelli, et choisit de suivre en parallèle un autre troisième cycle de droit de la communication, à Panthéon, pour avoir une vision globale de la matière incluant la communication presse et audiovisuelle. Le métier d’avocate l’attire. En 1998, elle est embauchée par Alain Bensoussan. Elle restera trois ans. Le pape français du droit de l’informatique se souvient d’une collaboratrice « exceptionnelle », en raison de son « intuition juridique remarquable » et de « sa maîtrise très aiguisée du droit du numérique ». Maria Gomri est embauchée chez Franklin, où elle s’installe pendant à peu près trois ans aussi. « Finalement, le métier m’a un peu déçue, je trouvais très frustrant de ne pas suivre un dossier du début à la fin. Je ne savais pas grand chose des entreprises pour lesquelles je travaillais. »
Elle lâche alors le métier d’avocate, se lance dans un tour du monde, et découvre au Japon un concept de boutique qui la séduit. La voilà décidée à l’implanter en France. Las ! L’idée plaît, les médias s’y intéressent, mais elle découvre qu’elle n’aime pas se vendre. C’est un échec. Que faire ? Redevenir avocate ? Elle n’en a pas envie. Intégrer une entreprise ? Cela lui paraît bien aride. Elle examine sans trop y croire les offres d’emploi de juriste d’entreprise, passe quelques entretiens qui ne la convainquent pas. Jusqu’à ce qu’elle tombe sur l’annonce de Google France. Le directeur juridique, en charge du contentieux, cherche un juriste ou plus exactement un « commercial lawyer », autrement dit un juriste contrat dont la mission consiste à accompagner le développement du groupe. La jeune femme n’est pas la seule à flairer le job de rêve. Il y a… 350 candidats. Dix entretiens plus tard, elle est embauchée. « Je crois que ce qui leur a plu, c’est que j’ai quitté le métier d’avocate pour tenter de monter ma propre affaire. L’esprit entrepreneur et le goût du risque sont des atouts chez Google », confie-t-elle.