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Portrait - Laure Lavorel, nouvelle présidente du Cercle Montesquieu

Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires Magazine n°56 - septembre / octobre 2018
Reportage photographique Mark Davies

MAJ 18/06/2019 : Laure Lavorel, directrice juridique de Broadcom, vient d’être élue présidente du Cercle Montesquieu pour un mandat de trois ans. Elle succède à Nicolas Guérin, qui était le secrétaire général d’Orange. Ancienne avocate, elle avait lancé l’association le Barreau en entreprise et a aussi été juge consulaire. En 2018, elle avait fondé, au sein du Cercle Montesquieu, « La Factory », chargée d’accompagner les membres de l’association dans leur transformation digitale. 

Forte d’une carrière qui l’aura menée de l’avocature à la direction juridique Europe de CA Technologies, en passant par la justice consulaire, Laure Lavorel est l’incarnation de la grande profession du droit. Aujourd’hui, elle milite pour un meilleur dialogue entre elles.

Danseuse, Laure Lavorel n’hésite pas à comparer la discipline juridique avec son violon d’Ingres. « Il faut avoir une rigueur et une discipline de fer, sinon on tombe. Un bon danseur doit être rigoureux et technique, mais un excellent danseur est aussi créatif. C’est pareil pour les juristes qui sont, en quelque sorte, les interprètes de cette belle discipline qu’est le droit. »

Quelques dates clés : 

  • 1992 : prestation de serment à Paris.
  • 1994 : entre à l’école de danse Agnès Faure.
  • 1999 : devient juriste chez Oracle.
  • 2002 : rejoint CA Technologies comme directrice juridique.
  • 2008 : fonde Le Barreau en entreprise.
  • 2011 : devient juge consulaire. 2018 : pilote « The Factory » au sein du Cercle Montesquieu.

Entrechats

« J’ai, d’une certaine manière, bouclé la boucle », constate-t-elle. Originaire de la région lyonnaise, elle était, dans sa jeunesse, une théâtreuse. « Deviens avocat, c’est pareil ! », lui ont dit ses parents, universitaires, sans doute inquiets de voir leur fille embrasser la carrière artistique. Obéissante, elle s’est inscrite à la faculté de droit de Lyon III et a eu une première révélation. Alors qu’elle était une lycéenne moyenne, elle obtient de très bons résultats et prend goût à la matière juridique. Après avoir étudié à Paris, elle devient avocate et s’intéresse aux nouvelles technologies. Une année à New York, où le droit de l’informatique est naissant, la conforte dans cette direction. Moins par goût, à vrai dire, qu’en raison de l’attraction pour un domaine encore inexploré. « Chez les avocats, c’est comme chez les médecins, tant que vous n’avez pas dix années de pratique, vous n’avez pas voix au chapitre », regrette Laure Lavorel. Se spécialiser dans une discipline émergente était donc l’occasion pour la jeune femme de s’affranchir de ce mandarinat et de s’affirmer face aux plus anciens. Et d’explorer les possibilités créatives qui existaient alors dans ce domaine où tout restait à inventer. Un secteur où la crainte de prendre des risques n’existait pas, car tout était nouveau.

Après plus de sept ans au barreau de Paris, au sein de prestigieux cabinets d’affaires comme Archibald Andersen, Laure Lavorel entre chez Oracle. Temporairement, pense-t-elle, car elle a la robe « chevillée au corps » et n’imagine pas quitter définitivement le barreau, qu’elle aime tant. Mais c’est une deuxième découverte. « La mission du juriste d’entreprise, dans les entreprises américaines au sein desquelles j’ai exercé, est très valorisée. » D’abord hésitante, elle devient directrice juridique pour CA Technologies, et donne alors un nouveau tour à sa carrière. À l’instar du médecin de famille, dans une entreprise, les opérationnels sollicitent le juriste pour régler leurs problèmes. Au contraire de l’avocat, le juriste ne vend pas de droit, il n’est pas producteur et assiste ses collègues dans le cadre d’une relation « plus sincère », pense-t-elle. « La sensation de faire partie d’une équipe m’a beaucoup plu », souligne Laure Lavorel, qui insiste aussi sur la modestie de la fonction. Son goût du travail en équipe est souligné par son amie Christine Sévère, avocate associée au sein du cabinet Dentons, qui raconte son pragmatisme et son acharnement à surmonter l’obstacle : « Elle ne dit jamais que c’est impossible ! » Laure Lavorel considère également que les fonctions sont plus variées que celles d’un avocat, car le juriste est un touche-à-tout. Il appréhende le droit du travail, le droit des sociétés, le droit des nouvelles technologies, etc. Ce qui est désormais impossible en cabinet, où l’hyperspécialisation est de mise. « Le juriste est à la fois généraliste et expert, et j’adore ça ! Chaque année est différente et en quinze ans au sein de CA Technologies, j’ai l’impression d’avoir travaillé pour 3 ou 4 entreprises. »

À la pointe

Mais ce métier de juriste, elle l’a toujours connu au sein d’entreprises américaines où l’aspect business partner de la fonction est évident. « Les juristes sont heureux dans les entreprises américaines, mais moins dans les entreprises françaises, au sein desquelles ils ne sont pas valorisés et souvent mal payés. C’est en train de changer doucement. » Pour elle, la valorisation des juristes doit commencer avec celle des études. Alors qu’aux États-Unis, une formation exclusivement juridique est suffisante et respectée, les Français réclament, y compris aux avocats, une double formation. Il faut avoir fait du droit et obtenir un diplôme complémentaire, comme Sciences Politiques ou HEC.

La communauté des juristes doit aussi prendre à bras-le-corps la révolution que constitue la transformation digitale. Cette transformation, c’est un changement dans la manière de travailler, plus profond que la simple implémentation de nouveaux outils. Dans sa vision, le digital n’est qu’un prétexte et il faut le comprendre comme un des éléments d’une mutation plus générale. Pour cette raison, Laure Lavorel ne croit pas en l’avenir du juriste-développeur. Il faut simplement que les informaticiens connaissent les besoins des juristes, lesquels ne doivent pas avoir peur des legaltechs. « En d’autres termes, nous n’aurons pas besoin de construire la voiture, il faudra juste apprendre à la conduire. » Laure Lavorel vient d’ailleurs de mettre sur pied, au sein du Cercle Montesquieu, « La Factory », une plateforme d’échanges, destinée à fédérer les directeurs juridiques sur leurs projets de digitalisation. L’entité a l’ambition de travailler avec des legaltechs et la mutualisation des efforts des juristes permettra à celles-ci d’adapter leurs offres. «Laure Lavorel a une vision résolument tournée vers l’avenir », dit d’elle Nicolas Guérin, secrétaire général d’Orange, qui l’a côtoyée plusieurs années au sein du Cercle Montesquieu. Sur le plan plus personnel, il salue la femme « passionnée, très impliquée et remplie d’idées, qui adore débattre ».

Grand jeté

Selon elle, l’un des enjeux de la transformation du métier sera la vitesse. Les directions juridiques doivent apprendre à donner des avis fiables en moins de temps. Dans cette perspective, les nouveaux outils technologiques leur permettront de se concentrer sur le diagnostic plutôt que sur les moyens. « Mais ce sont des outils d’aide à la décision, pas des outils de décision. » Elle attire d’ailleurs l’attention sur le fait que ces nouvelles technologies, en particulier dans le domaine prédictif, ne travaillent qu’en référence à des cas passés. Tout revirement, toute disruption est impossible dans ce cadre. Ce sera au juriste, à l’humain, d’être créatif, d’intégrer l’intelligence émotionnelle et la confiance liées au dossier et éventuellement d’innover. « Il faut se souvenir que, si l’on se place du point de vue statistique, l’appel du 18 juin n’aurait jamais pu être prédit, car c’est un acte disruptif », rappelle Laure Lavorel. Cette créativité va, pour elle, de pair avec l’éthique. À cet égard, les avocats, avec leur culture ancienne de l’éthique et de la déontologie, ont une carte majeure à jouer. Les juristes d’aujourd’hui, à l’image des commerciaux, ne doivent pas pratiquer le « one shot » ou la politique de la terre brûlée. Au contraire, ils doivent devenir garants de la parole donnée et de la signature, travailler en mode collaboratif. « Même la logique du win/win est dépassée et les juristes doivent apprendre à travailler ensemble pour savoir comment faire mieux. La vision du juriste comme le doorkeeper, comme le “Monsieur NON” qui empêchait les opérationnels de faire des bêtises, est aujourd’hui surannée », analyse-t-elle. Aujourd’hui, le juriste anticipe, analyse les risques en amont. La créativité et l’innovation, antiennes connues dans le monde juridique moderne, Laure Lavorel les a toujours appliquées. « J’ai l’impression d’avoir toujours fait du legal design» dit-elle quand le sujet est évoqué.
Elle révèle avoir réalisé, avec ses opérationnels, des trainings de compliance sous forme de pièce de théâtre ou de jeux de rôle. « L’humain est au cœur de tout. C’est pour cette raison que l’intelligence émotionnelle est très importante. » Elle dit avoir compris cela de manière aiguë, lors de son passage au tribunal de commerce, en étant notamment confrontée aux faillites.

Pas de deux

C’est parce qu’elle a exercé ces trois fonctions (avocat, juriste et juge consulaire) et qu’elle est passée de l’une à l’autre que Laure Lavorel se sent légitime à œuvrer en faveur d’une communauté de juristes unique et à apporter sa contribution aux débats sur la grande profession du droit. « Il est indispensable d’assouplir les corporatismes », martèle-t-elle. Nicolas Guérin estime que son parcours lui donne « une vision très moderne de ces trois métiers qu’elle a tous exercés. Elle est l’emblème de la grande profession du droit ». Frank Gentin, ancien président du tribunal de commerce, qui a connu Laure Lavorel comme juge consulaire sous sa juridiction, et qui a également eu l’occasion de la côtoyer à l’occasion d’évènements associatifs, salue « sa vision à 360°, qui est rare ».

Celle qui pourrait porter le bonnet de Marianne de la grande profession du droit estime que la réunion des professions est un enjeu d’attractivité de Paris comme place de droit et qu’il y va du dynamisme de l’économie. Elle plaide en faveur d’une évolution des mentalités et déplore la césure entre avocat et juristes. Dans le cadre de l’association « Le Barreau en entreprise », qu’elle a initiée en 2010, elle s’est attachée à construire des ponts entre les deux professions. Considérant que le juriste est au plus proche des besoins et des attentes des opérationnels, car il vit au sein de l’entreprise, elle exhorte également les avocats à trouver leur place et à se rapprocher de leurs clients. Elle estime que les avocats, parfois dans le déni de la transformation digitale et dans la crainte de perdre des marchés, ont tendance à confondre le projet et l’outil pour le mener à bien. Si beaucoup d’avocats voient le fait de fusionner les professions comme une menace pour eux, Laure Lavorel considère, au contraire, le risque de voir les juristes d’entreprise se détourner des avocats. Les juristes se réinventent, c’est désormais aux avocats de se remettre en question. Et pourquoi ne pas rendre leur robe aux juristes qui ont été avocats ? « C’est ainsi partout, avocats et juristes ont un avenir commun. Nous devons construire le juriste de demain tous ensemble. ».

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