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Kathryn Khamsi : la baroudeuse

Paru dans LJA Magazine n°53 - Mars/Avril 2018

En janvier, la Canadienne Kathryn Khamsi a été nommée associée chez Three Crowns, cabinet spécialisé dans l’arbitrage international, créé il y a quatre ans par des anciens de Freshfields et de Shearman & Sterling. Portrait.

La pièce, au 4e étage du 104 avenue des Champs-Élysées, paraît d’autant plus spacieuse qu’elle est encore peu meublée. Rien sur les murs pour l’instant, et sur le long bureau blanc, pas grand-chose non plus. Juste un ordinateur, quelques documents, une bouteille d’eau et une boîte décorée de paillettes et de petits bouts de papier coloré. Le premier cadeau de fête des mères de Julien, le fils aîné de Kathryn Khamsi. « On va plutôt aller s’installer dans une salle de réunion en bas, mais puisque vous vouliez voir mon bureau, le voici ! » Elle a la voix joyeuse, accueillante, juste ce qu’il faut d’accent anglo-saxon. De grandes lunettes à monture en écaille et un rouge à lèvres rouge vif qui, malgré la tenue chic et sobre, lui donne un petit côté artiste tout à fait engageant.

Elle s’avance vers la grande fenêtre d’angle et désigne l’extérieur, tout sourire. « J’ai vue sur Louis Vuitton et sur la Tour Eiffel, dit-elle. J’ai souvent eu des vues pittoresques dans mon travail, mais jamais aussi classiquement pittoresques. Quand j’étais au Timor, j’avais une vue dégagée sur la mer, mais avec un impact de balle dans la vitre ! ». Taiwan, Timor Oriental, Afghanistan, RDC, dans beaucoup de pays où son travail l’a menée, le pittoresque n’avait en effet pas grand-chose à voir avec les Champs-Élysées.

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C’est à Paris que Kathryn Khamsi la baroudeuse a décidé de se poser, il y a dix ans cette année. À Paris qu’elle a rencontré son mari, Gilles Corman, un communicant originaire de Lyon. Et à Paris que ses deux enfants, Julien, quatre ans, et sa petite sœur Stella, trois ans, sont nés. Dix ans qu’elle est ici, oui. De toute sa vie d’adulte, elle ne s’était jamais posée aussi longtemps quelque part. « J’adore Paris », dit-elle. Associée depuis janvier au cabinet Three Crowns, qu’elle a rejoint il y a deux ans en qualité de counsel, elle va continuer à y développer sa pratique d’arbitrage, en particulier dans les secteurs de l’énergie et des ressources naturelles, pour des sociétés privées et des États. « Bon, on y va ? » dit Kathryn en sortant de la pièce. Avant de descendre, elle ouvre la porte voisine : une vaste salle de réunion où les chaises disposées en cercle attendent sagement la livraison de la table « On vient de récupérer cet étage, comme vous voyez tout n’est pas encore terminé ! »

Associée de Three Crowns, une boutique d’arbitrage international

Quatre ans après sa création par des anciens de Shearman & Sterling (Todd Wetmore et Scott Vessel) et de Freshfields (Jan Paulsson, Constantine Partasides et Georgios Petrochilos), Three Crowns – 3C pour les intimes – affiche une santé de fer. « Nous tenons à être une boutique mais pas forcément par la taille, juste dans le sens où nous sommes spécialisés », précise Kathryn Khamsi. Three Crowns compte pour l’instant neuf associés, trois counsels et trente-huit collaborateurs, répartis sur trois bureaux ouverts concomitamment en avril 2014 à Londres, Paris et Washington. Mais le cabinet grandira encore si la nécessité se fait sentir. Fin 2015, Kathryn y a rejoint Todd Wetmore avec qui elle travaillait déjà chez Shearman & Sterling. Todd, qui loue « son esprit vif, sa grande curiosité intellectuelle et ses nombreuses expériences », a toujours voulu voir Kathryn rejoindre l’équipe. Il était intimement convaincu que «Three Crowns lui offrirait la carrière à laquelle elle aspirait : des dossiers exigeants qui sauraient nourrir son intérêt dans de nombreux domaines, des technologies complexes à la diplomatie interétatique. » Dès le départ, l’association était envisagée. « Ce n’était pas promis, précise Kathryn Khamsi, mais nous en avions parlé. C’était notre espoir mutuel. »

Pourtant, ça n’était pas forcément dans ce genre de carrière qu’elle se voyait en sortant du lycée. « J’ai fait beaucoup de choses avant le droit », glisse-t-elle. Née à Toronto en 1973, d’une mère canadienne et d’un père iranien qui a quitté son pays en 1950 pour aller étudier en Grande-Bretagne, Kathryn Khamsi était à l’époque plus intéressée par les sciences. En 1991, elle intègre Harvard pour y suivre un double cursus pre-med/étude comparative des religions. Car elle envisage d’être médecin, comme ses parents. Et parce que les liens entre religion et politique l’intéressent, elle rédige un mémoire sur la rhétorique de la Nation of Islam et de la musique hip-hop.

En 1995, son A.B obtenu, elle décide finalement de ne pas faire médecine. Et part s’installer à New York où elle travaillera un an comme infographiste de films d’animation. Elle habite dans l’East Village, sur la 13e rue, à l’angle de l’avenue B. Le quartier underground, où artistes et musiciens sans le sou cohabitent avec une importante communauté hispanique. « J’étais un peu perdue, glisse-t-elle, j’avais une vision un peu romantique d’une carrière en tant qu’artiste. » Ses parents, eux, l’encouragent à candidater pour des écoles de droit. Ils la connaissent bien : avec sa curiosité intellectuelle et son attrait pour la rhétorique, son « petit côté raisonneur » pourrait la mener loin. Elle suit leurs conseils, « un peu à contrecœur ».

Des expériences au bout du monde

En 1996, elle s’inscrit en LL.B à McGill, à Montréal. Et ne le regrette pas. « J’ai trouvé que ça me correspondait beaucoup. J’ai beaucoup aimé les études de droit. » À l’époque, l’arbitrage tel qu’on le connaît aujourd’hui en était à peine à ses balbutiements. Mais Kathryn participe à un concours de plaidoiries de droit international, qui abordait des questions se posant aujourd’hui en droit de l’arbitrage et le sujet lui plaît déjà bien. Puis en 2000, son diplôme en poche, elle intègre le cabinet McCarthy Tétrault, où elle intervient essentiellement en droit de la concurrence.

La même année, à Taïwan, à l’issue des élections, Chen Shui-bian devient le premier président non-membre du Kuomintang. Et courant 2001, le régime de Taïpei propose à Peter Leuprecht, dean de l’école de droit de McGill, une mission de consulting visant à promouvoir la reconnaissance internationale de l’État de Taïwan. Lequel décline et propose Kathryn Khamsi. En janvier 2002, la voilà donc partie pour six semaines dans l’île. « Six semaines qui ont correspondu parfaitement à la saison des pluies », sourit-elle. Sur place, elle rencontre des politiques, essaie d’évaluer l’évolution du pays au regard des droits de l’homme. Mais inutile d’y rester plus longtemps. « L’analyse que je faisais était avant tout une analyse de droit international », précise-t-elle. De retour au Canada, elle reprend parallèlement son poste chez Mc Carthy Tétrault et ne retournera à Taïwan que brièvement en octobre, le temps d’aller présenter son travail.

L’année suivante, une opportunité se présente de repartir à l’autre bout du monde. Kathryn Khamsi quitte McCarthy, pour de bon cette fois, et s’envole pour le Timor Oriental. Au départ pour un an, qui en deviendront finalement deux. « J’avais fait un stage au Pakistan quand j’étais à McGill, j’avais donc un peu l’habitude de barouder », précise-t-elle. Le Timor a officiellement recouvré son indépendance le 20 mai 2002. Sur place, elle travaille avec Peter Galbraith, en tant que coordinator and legal advisor du Timor Sea Office, dans le cadre des négociations avec l’Australie concernant l’exploitation des champs pétrolifères de la mer de Timor. « Un énorme exercice de diplomatie », se souvient le diplomate. « Kathryn a vite compris que le plus important dans cette négociation était de convaincre notre camp, dont la délégation ne cessait de grossir. Il fallait nous assurer que nous nous adressions aux Australiens d’une seule voix, raconte-t-il. Ce qui exige de savoir prendre du recul. Et sa compréhension des nuances du dossier était magnifique ».

Ravie de sa première année sur l’île, elle renouvelle son contrat pour une année supplémentaire. Puis, en 2005, se « retrouve à essentiellement ne pas faire grand-chose à New York ». Ce qui ne dure qu’un temps, bien sûr. Car fin 2005, elle repart vers l’est. Pour l’Afghanistan cette fois. En qualité de consultante pour une organisation non-gouvernementale : l’International Development Law Organisation. Là-bas, tout est à faire. Le pays a connu, au cours de son histoire, plusieurs droits – le droit civil, le droit soviétique et le droit taliban. « Le droit civil datait des années soixante, raconte-t-elle. Plus personne ne le connaissait. Il fallait chercher les textes, les identifier, les photocopier… » Un vrai travail de fourmi. L’organisme s’occupe aussi de mettre en place des formations pour les juges, les avocats, les procureurs. « Nous donnions aussi des conseils au gouvernement sur les mesures à mettre en place pour le respect des conventions internationales, la lutte contre le trafic de drogue, le terrorisme, la corruption… » Mais Kathryn Khamsi le sait bien, le pays étant confronté à un énorme problème de corruption, « l’impact des programmes était minimal ».

En 2008, elle quitte Kaboul pour reprendre ses études de droit aux Etats-Unis. « J’avais envie de retourner à quelque chose de plus stable mais je ne savais pas trop quoi. » Elle se voit peut-être prof de droit, continuant à mener en parallèle des missions de consulting. « Mais ce que j’ai découvert quand j’étais à Columbia, c’est que mon cœur était vraiment sur le terrain. » La doctrine ne la rebute pas pour autant. Elle s’investit dans une law clinic qui la conduit cette fois… en République Démocratique du Congo, où elle participe à l’analyse des contrats miniers en vue de leur renégociation. Son LL.M en poche, elle reste investie sur le projet, qu’elle n’abandonnera qu’en septembre 2008 à son arrivée chez Shearman à Paris.

Elle avait postulé là-bas « un peu par hasard. » « Je ne cherchais pas activement, dit-elle. Et même dans ce domaine, je ne savais pas si le métier me plairait. » Mais en rentrant d’un de ses voyages en RDC, elle fait un détour par l’Hexagone. Pour y rencontrer Yas Banifatemi, associée en arbitrage au cabinet qu’elle avait croisée dans une conférence en Malaisie en 2004, et les autres associés. Le courant passe. Et Kathryn vient s’installer à Paris.

« Je me suis vite rendu compte que l’arbitrage me correspondait parfaitement », dit-elle. « Les dossiers sont énormes, complexes et très variés et ils me permettent de retourner un peu à mes racines scientifiques. Finalement, avec l’arbitrage, je retrouve au quotidien tout ce qui m’a attirée dans ma vie. »

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