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3 questions à Yves Mahiu, nouveau président de la Conférence des bâtonniers

Par LJA - LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

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Yves Mahiu, nouveau président de la Conférence des bâtonniers

Yves Mahiu, ancien bâtonnier de Rouen, vient de succéder à Marc Bollet à la présidence de la Conférence des bâtonniers, le 1er janvier 2016. L'occasion de faire le point sur ses projets à la tête de cette institution.

Quels seront les grands axes de votre mandat ?
Yves Mahiu : Prospective et services. La Conférence des bâtonniers fédère les Ordres et porte la voie des bâtonniers, elle relaie leurs inquiétudes et soutient leurs combats. Elle a toujours anticipé l’évolution nécessaire de notre profession pour que celle-ci puisse répondre aux exigences de notre temps. Ne pas s’endormir sur nos lauriers mais toujours anticiper. C’est dans cet esprit que j’ai confié au bureau de la Conférence la tâche de travailler sur des thèmes propres à l’évolution de l’ordinalité et au statut de l’avocat. Les Ordres ne souffrent d’aucun déficit de légitimité : cela se mesure au degré de participation extrêmement important des confrères aux élections ordinales, en tout cas pour la province. Cependant, nous devons réfléchir à ce que doit être la réglementation d’un Ordre d’avocats au XXIe siècle.


"Nous ne pouvons pas non plus nous dispenser d'une véritable réflexion en profondeur
sur l'évolution de notre déontologie"


Nos règles et usages présentent à cet égard des bizarreries : ainsi, est-il normal qu’une assemblée générale d’avocats réunie à l’initiative de son bâtonnier ne puisse émettre que des vœux et n’ait aucun pouvoir décisionnaire ? Est-il normal que le bâtonnier préside un conseil de l’Ordre dont il ne fait pas partie ? Est-il normal, face à un rajeunissement de nos confrères, que les plus jeunes d’entre eux n’aient pas la possibilité de se présenter au conseil de l’Ordre ? Voilà un certain nombre de pistes de réflexion qui s’ouvrent à nous.
Nous ne pouvons pas non plus nous dispenser d’une véritable réflexion en profondeur sur l’évolution de notre déontologie. Cette réflexion n’est pas menée actuellement. La Conférence a toujours proclamé que l’avocat était un professionnel libre et indépendant. De cette indépendance découle la préservation du secret professionnel et du conflit d’intérêts. C’est ce que j’appelle le dogme. Mais dans le respect du dogme, le reste doit pouvoir évoluer pour nous permettre notamment de conquérir des marchés nouveaux.
À cet égard, nous devons faire face à un certain nombre  de défis, dont la concurrence des autres professionnels qui ne sont pas enfermés dans un carcan et qui, chaque jour, étendent le domaine de leurs interventions, pas forcément de leurs compétences, sur des domaines qui nous étaient traditionnellement réservés. Cette concurrence prend des formes diverses. L’une des plus inquiétantes est l’ubérisation du droit. La démographie galopante de la profession d’avocat en est une autre. Quand j’ai prêté serment à Rouen en 1982, nous étions 120 ; aujourd’hui, nous sommes presque 500. Or, le marché tel qu’il se présente n’est pas extensible. Il y a certes de nouveaux services qui peuvent être rendus aux clients, notamment aux entreprises. Mais je m’interroge également sur la question de savoir pourquoi les avocats ne pourraient-ils pas faire des actes de commerce – ce qui est interdit actuellement. Dans certains domaines, tels que l’immobilier, par exemple, le consommateur ne préférerait-il pas avoir affaire à un professionnel soumis à une déontologie exigeante et contrôlée plutôt qu’à un professionnel affranchi d’un grand nombre de règles ?


"Je m’interroge également sur la question de savoir
pourquoi les avocats ne pourraient-ils pas faire des actes de commerce"


La Conférence des bâtonniers, c’est aussi des services qui sont rendus aux bâtonniers pour leur permettre de mener à bien leurs missions. Les tâches confiées aux bâtonniers sont de plus en plus lourdes et complexes, et la légitimité des Ordres sera sauvegardée dès lors que la mission du bâtonnier sera remplie avec compétence et même excellence. C’est le rôle traditionnel de la Conférence que d’apporter aux bâtonniers une aide à la décision en matière déontologique, disciplinaire, dans l’exercice de leurs missions de contrôle, etc. Sous la présidence de Jean-Luc Forget, la Conférence a initié des sessions de formation à destination des élus de la profession, formations qui remportent un véritable succès. Il faut poursuivre ce travail. De même, la Conférence, avec le concours du barreau de Paris, a mis en place des services en direction des Ordres ou des avocats : je pense à Praeferentia, la centrale de référencement, ou encore Avosactes, qui permet la conservation à moindre coût des actes contresignés par avocats.
Il y a encore beaucoup à faire. Nous réfléchissons actuellement à la mise en place d’un système d’archivage des dossiers des cabinets « en déshérence », problème important que rencontrent les bâtonniers, et à la création d’une banque de données jurisprudentielle pour les avocats. Je veux également travailler à l'élaboration d’une encyclopédie virtuelle du bâtonnier. Ce sont des projets ambitieux que j’espère pouvoir mener à bien ; je sais que pour certains d’entre eux, nous pourrons là encore travailler de conserve avec le bâtonnier de Paris, avec lequel je me félicite de pouvoir entretenir d’excellents rapports.

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©MirenLartigue


Le Conseil national des barreaux travaille actuellement sur l'exercice en entreprise et le nouveau bâtonnier de Paris, Frédéric Sicard, a déclaré qu'il n'était pas opposé à l'avocat en entreprise pour les juristes les plus gradés. Ce sujet, auquel la Conférence des bâtonniers est traditionnellement hostile, va-t-il revenir dans les débats au sein de la profession ?
Y. M. : La Conférence des bâtonniers n’est nullement hostile à l’avocat en entreprise ; au contraire, nous considérons qu’il faut dépasser un débat que nos institutions ont trouvé souvent organisé de façon frontale  entre l’avocat et l’entreprise. Lors des États généraux des Ordres organisés par la Conférence des bâtonniers en octobre 2013, nous avons présenté pour la première fois ce qui pourrait être un statut de l’avocat en mission dans l’entreprise, statut que nous pouvons accepter dès lors qu’il préserve l’identité de l’avocat, conseil qui doit rester indépendant. Nous ne pouvons être dans la confusion des genres : l'intervention de l’avocat dans l'entreprise est une véritable plus-value à la seule condition qu’il reste indépendant. La Conférence demeure en revanche extrêmement hostile à la création d’un statut d’avocat salarié en entreprise. Mais elle n’est nullement opposée à la création d’un statut d’avocat ambitieux ou détaché en entreprise, statut exclusif de toute possibilité de requalification en contrat de travail. Ce qui est certain, c’est que ce vieux débat n’a que trop duré et nous empêche d’aller de l’avant. Il est donc nécessaire d’en terminer le plus rapidement possible et de présenter aux pouvoirs publics un projet qui puisse satisfaire toute la profession.


"La Conférence demeure extrêmement hostile
à la création d'un statut d'avocat salarié en entreprise"


Comment voyez-vous vos relations avec la Chancellerie ?
Y. M. : Lors de ma visite protocolaire à Madame Taubira, garde des Sceaux, le 22 décembre dernier, j’ai eu la satisfaction d’entendre de la bouche de la ministre de la Justice que la Conférence était un partenaire loyal et fiable quelles que soient les divergences d’opinion exprimées de part et d’autre. Madame Taubira a ainsi souligné la qualité des rapports qu’elle avait pu entretenir avec le président Forget ainsi qu’avec le président Bollet. Mon caractère me conduit tout naturellement à dire les choses franchement, avec courtoisie certes, mais franchement.
Les avocats sont remuants, contestataires. Ils descendent dans la rue et, comme le disait le président Forget, pas toujours pour eux car ils ont cette faculté, qui est à la fois leur force et leur fragilité, de pouvoir confondre la défense des citoyens avec la défense de leur profession. Madame Taubira, lors de la dernière rentrée de la Conférence du stage du barreau de Paris, le reconnaissait elle-même : les avocats sont les sentinelles des libertés individuelles et doivent rappeler l’État à ses devoirs, lorsque cela est nécessaire.


"La Conférence travaille actuellement sur ce sujet global de l’accès au droit et formulera à la Chancellerie un certain nombre de propositions à la fin du mois de mai prochain"


Le dossier de l’aide juridictionnelle a encore été le siège d’une crise particulièrement aiguë, au point même que pour la première fois, des violences policières ont été exercées sur la personne d’avocats manifestant pacifiquement en robe. Cela n’est évidemment pas tolérable. Un protocole a été conclu entre la Chancellerie et les organes représentatifs de la profession, au terme duquel la Chancellerie a revalorisé le montant de la base de calcul de la rémunération des avocats à l’aide juridictionnelle pour seulement rattraper l’érosion monétaire. Cela n’était d’ailleurs que la moindre des choses. La Chancellerie a également renoncé à certains dispositifs que la profession ne pouvait admettre, dispositifs conduisant les avocats à financer l’accès au droit pour les plus démunis. Le dossier n’est pas clôt et les satisfactions obtenues par la profession ne sont que provisoires. Il faut toutefois se féliciter de ce que, contrairement aux crises des années passées, le dossier n’est pas refermé puisque les discussions continuent avec la Chancellerie pour réformer l’aide juridictionnelle, qui n’est d’ailleurs qu’un aspect de l’accès au droit en général. La Conférence travaille actuellement sur ce sujet global de l’accès au droit et formulera à la Chancellerie un certain nombre de propositions à la fin du mois de mai prochain.
D’autres sujets suscitent notre inquiétude. Le recours systématique à la médiation,par exemple, qui semble être privilégié non pas comme une solution pour apaiser des conflits mais comme un moyen de gérer la pénurie. En aucun cas nous ne pourrons accepter que la médiation soit un préalable obligatoire ; elle ne peut d’ailleurs réussir que si elle repose sur une démarche volontaire des parties. Elle ne peut non plus être confiée à des médiateurs « judiciaires ». Mais surtout, le citoyen doit toujours avoir la possibilité de recourir au juge : dans un État de droit, dans un État démocratique, affaiblir le juge est une mauvaise chose.


"Mes relations avec la Chancellerie seront constructives,
et s’il peut y avoir des compromis, il ne saurait y avoir de compromissions"


Enfin, le nouveau projet de réforme pénale suscite chez les avocats une plus grande inquiétude. Ce nouveau projet de loi confirme un élargissement des pouvoirs de police, des parquets et des préfets aux dépens des juges d’instruction. Après la loi sur le renseignement, voici un nouveau texte qui a pour effet de marginaliser l’institution judiciaire, spécialement les juges d’instruction indépendants au profit des procureurs nommés par le gouvernement. Des perquisitions de nuit et des écoutes pourront être organisées par les procureurs, sans aucun contrôle d’un juge indépendant et sans la garantie d’un avocat. Il en est de même pour certaines mesures privatives de liberté. Ainsi, les méthodes de lutte contre l’anti-terrorisme vont pouvoir être utilisées contre le crime organisé et celles du crime organisé contre la délinquance ordinaire. Les procédures d’exception comme celles autorisées dans le cadre d’un état d’urgence vont devenir le droit commun. Les avocats sont des veilleurs ; dans une démocratie, leur rôle n’est pas seulement celui d’une vigie mais également celui d’un rempart destiné à protéger le citoyen contre de telles dérives.
Vous me demandez comment seront mes relations avec la Chancellerie. Je vous réponds qu’elles seront constructives et que s’il peut y avoir des compromis, il ne saurait y avoir de compromissions.


Propos recueillis par Julie Marchand

 

 
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