Personne morale en procès, cherchez la personne physique…
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°62 - septembre / octobre 2019
Par Jeanne Disset
« Je n’ai jamais déjeuné avec une personne morale. » À cet aphorisme de Léon Duguit, le Pr Jean-Claude Soyer répondait : « Moi non plus, mais je l’ai souvent vu payer l’addition. » Paradoxe et réalité de la personne morale devant les salles d’audience.
Les personnes morales sont bien des justiciables comme les autres, notamment dans les salles d’audience. Mais la médiatisation des dossiers n’est souvent pas comparable. Procès UBS, procès France Telecom, Oil For Food ou AZF, CJIP Google, Carmignac ou Société Générale… En 2015, 80 600 personnes morales ont fait l’objet d’une poursuite ou d’un classement de leur affaire par les parquets, soit 4 % des 2 millions d’auteurs des affaires traitées par ces mêmes parquets1. Quelque 45 % sont des affaires « poursuivables ». Moins de 5 % des auteurs d’infractions, et au final, moins de 1 % des auteurs des affaires jugées par le tribunal correctionnel soit 3 900 personnes morales concernées. Cela semble peu, surtout par rapport à l’impact médiatique de ces situations. Mais depuis 1994, le nombre des condamnations de personnes morales n’a cessé d’augmenter. En 2015, environ 5 000 condamnations de personnes morales ont été prononcées. En 2000, c’était 200.
Didier Rebut
Extension
Si « la responsabilité pénale des personnes morales ne date que de l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal en 1994 », comme le souligne François Saint-Pierre dans Pratique de défense pénale, c’est en 2004 qu’elle s’est généralisée. Ce qui conduit le pénaliste à inclure la problématique de la personne morale quasiment dès l’ouverture de son ouvrage, soulignant ainsi tant la spécificité de sa situation que sa place devenue incontournable. Didier Rebut, professeur de droit à l’université Paris II Panthéon-Assas, spécialiste du droit pénal, constate : « L’article 121-2 du Code pénal est la clé de voûte de la responsabilité pénale des personnes morales. En 2004, la responsabilité pénale des personnes morales s’est généralisée à l’ensemble des infractions. Cela a considérablement étendu la possibilité d’une telle mise en cause. » Aujourd’hui, les personnes morales représentent 28 % des auteurs d’infraction à la législation du travail, 25 % des auteurs d’infractions financières et économiques et 16 % des auteurs d’atteinte à l’environnement. Les atteintes aux personnes sont principalement des atteintes involontaires. Les infractions en droit pénal du travail sont un grand classique : accidents, travail dissimulé et harcèlement au principal. Mais la consommation, la corruption, la fraude fiscale, et l’environnement, la santé publique sont également très présents dans les chefs de prévention. Martin Pradel, associé du cabinet Betto, ajoute également la place des droits humains et de tout ce qui découle des politiques RSE. « Une entreprise française a été mise en cause pour financement du terrorisme et complicité de crime de guerre et de crime contre l’humanité. Première fois qu’une entreprise est mise en cause pour des faits en lien avec une entreprise terroriste et première fois s’agissant de poursuites pour crime de guerre et crime contre l’humanité, mais aussi première fois qu’une multinationale est mise en examen pour les activités d’une de ses filiales à l’étranger. »