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Affectio societatis - Chapitre 1

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Voici le tout premier épisode, en accès libre, de notre nouvelle fiction, à retrouver chaque trimestre dans votre magazine, sur la vie quotidienne au sein du cabinet d'affaires parisien Saint-Ferdinand de la Popie, écrite par Floriane Bass, et illustrée par la talentueuse Maître Et Talons. "Toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé n'est que pure coïncidence".

Si vous souhaitez lire l'intégralité des épisodes, la séance de rattrapage se déroule ici.

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Chapitre 1

Mercredi 31 janvier, 00 h 52

Peu de bureaux restent éclairés dans l’hôtel particulier qu’occupe le prestigieux cabinet Saint-Ferdinand-de-La-Popie & Associés, connu aussi sous le diminutif « Saint Fer de la Pop ». Il est presque une heure du matin, Caroline Delambret apporte les dernières touches au closing de l’acquisition d’une entreprise. Elle conseille depuis des mois Xavier Bielle, un entrepreneur de la nouvelle économie à qui tout réussit. Tout doit être prêt demain à 9 h 30.

 

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Dernière sauvegarde. Des pas dans le couloir se dirigent vers son bureau. « Oh non, pitié, pas le temps, ni l’envie de servir de récréation à Jean qui va encore me répéter que je suis la fille qu’il aurait tant aimé avoir ». Jean de Saint-Ferdinand, fils du fondateur du cabinet, sort d’un dîner arrosé à « l’Auto » - club parisien huppé fréquenté par les grands de ce monde et encore réservé à la seule gent masculine. Cheveux gris et yeux bleu vif, très attentif à sa silhouette, ses costumes impeccables viennent tous de chez Arnys. À 70 ans, il a du mal à passer la main. Il s’appuie sur la jeune garde d’associés choisie par lui avec le plus grand soin. Sa notoriété est encore remarquable et les clients impressionnés d’être face à celui qui a conseillé les deals les plus importants des années 2000.

 


− Bonsoir Caroline, mais que faites-vous encore ici à cette heure tardive ? Ce n’est pas raisonnable ! Je vais vous chercher un café ?

− Non, merci Jean. J’allais partir.

− Vous êtes encore sur le dossier Bielle ? J’ai regardé ce que vous avez fait, c’est brillant. Bravo.

− Merci, Jean. Cela me fait plaisir surtout quand cela vient de vous. Vous avez parfois la dent dure !

− Parfois. C’est vrai. Mais je sais aussi reconnaître le talent.

− J’ai fini, je vais y aller.

− Votre petit ami n’en a pas marre de vous attendre tous les soirs ? Il a de la chance de vous avoir dans sa vie. Jolie, intelligente, future associée de ce cabinet. Vous êtes la femme que j’aurais rêvé d’avoir.

 

« Aïe, celle-là, je ne m’y attendais pas ! Je suis passée de la fille idéale à la femme idéale. Manquait plus que ça. Future associée de ce cabinet ? Mais à quoi il joue ? ». Jean passe derrière elle. Ses mains se posent sur ses épaules.

 

« Oh mais que vous êtes tendue. Vous savez que j’ai des doigts en or, laissez-moi faire ! »

Réaction en chaîne dans la tête de Caroline : « Quelle conne ! J’aurais dû accepter le café brûlant, cela m’aurait fait une arme ! Un recul inopiné de mon fauteuil pour écraser ses mocassins Berluti ? Mon coupe papier planté dans la cuisse ? ».


− Ce n’est pas nécessaire, Jean ! Je suis fatiguée et je vais rentrer. Vous aussi vous devriez rentrer.

− Mais qu’est-ce que vous imaginez ma petite ? Ne prenez pas vos rêves pour des réalités !

− Ce qui est bien réel, ce sont VOS mains sur MES seins ! lui répond-elle du tac au tac. « Mais tu es folle de lui dire un truc pareil » pense-t-elle.

− Ce qui est bien réel, ma petite, c’est que je vais m’impliquer personnellement dans la gestion de la fin de votre carrière dans ce cabinet !

 

Jean s’écarte, furieux et quitte le bureau en claquant la porte, celle-ci sort presque de ses gonds mais pas autant que Caroline qui fulmine encore. « J’aurais dû mieux doser. Erreur du joueur de tennis qui veut marquer le point mais fait sortir la balle loin derrière la ligne de fond de court. Demain, il fera jour. Concentre-toi sur ce closing ».

 

Mercredi 31 janvier, 7 h 30

Caroline se réveille, avale un café. Elle file sous sa douche, choisit un pantalon et un col roulé noirs, une veste rouge. C’est le genre de tenue qu’elle porte souvent. « On ne peut pas me reprocher d’être provocante. Plus mes Louboutin ! Je ne vais quand même pas y aller en Crocs pour m’assurer de n’exciter personne ». Elle veut être la première au cabinet pour s’assurer que la salle de réunion est prête et que les documents sont bien en place.

Dernier coup d’œil sur son smartphone avant de partir. Un email vient de tomber. De Matthieu de Saint-Ferdinand, associé du cabinet et en charge du dossier « Bielle », le fils de Jean.


>> De Matthieu de Saint Ferdinand
>> A Caroline Delambret
Mercredi, 31 janvier 2018, 7 h 56

Bonjour Caroline, j’espère que tu auras ce message à temps. J’ai appris que tu avais travaillé tard hier soir. Repose-toi ce matin, nous n’aurons pas besoin de toi pour le closing de ce matin.

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Caroline relit le mail une dizaine de fois. « C’est une blague ? Il se fout de moi ? ». Elle l’appelle immédiatement. Il ne décroche qu’à la troisième tentative.


− Bonjour Matthieu, c’est Caroline. Je n’ai pas bien compris ton mail de ce matin.

− Bonjour Caroline, mon père souhaite prendre la relève pour la réunion. Il connaît bien le client et il a revu dans la nuit les clauses de garantie de passif. Il semble que tu aies oublié des détails essentiels.

− Des détails essentiels que TU n’aurais pas repérés ? Ou des détails essentiels sur les échanges un peu houleux que nous avons eus hier soir ton père et moi ?

− Mais de quoi me parles-tu ?

− Je pense que ton père ne t’a pas tout raconté. Je t’assure que je n’oublierai aucun détail essentiel. J’arrive.

 

Mercredi 31 janvier, 8 h 30

Caroline saute sur son scooter et arrive 10 minutes plus tard au cabinet. Matthieu l’attend déjà dans la salle de réunion. Elle ne prend même pas la peine de s’asseoir et raconte la soirée. Le terrain est plus miné qu’une plage du débarquement.


− Mais enfin Caroline, tu sais bien que mon père est assez tactile. Tu as dû mal interpréter.

− Et m’exclure de la réunion de ce matin, Matthieu, c’est une mauvaise interprétation aussi ? J’ai facturé 1 000 heures sur ce dossier. Je le connais sur le bout des doigts alors que l’on soit très clair : soit tu fais comprendre à ton père que j’attends des excuses et que je participerai à cette réunion et lui non, soit je vais profiter de ma matinée libérée pour aller parler au Conseil de l’Ordre.

− Je ne suis pas du tout impressionné par tes menaces mais il y a ce deal. Ne bouge pas de cette salle de réunion, je vais voir ce que je peux faire.

Mercredi 31 janvier, 9 h 30

La salle de réunion « Alfred Nobel » est prête à accueillir les acteurs de l’opération. Si Alfred est connu pour avoir donné son nom aux Prix, sa grande invention est la dynamite ! Caroline a justement l’impression d’être assise sur une dizaine de bâtons d’explosif. On n’a jamais vu une dame battre un roi. Vendeurs, acheteurs, conseils des cédants et banquiers arrivent les uns après les autres. Matthieu les rejoint. Échanges de regards, Caroline ne cille pas. Pas de trace de Maître Jean de Saint-Ferdinand.


− Mon père m’a prié de vous présenter ses excuses, il a été retenu par un imprévu de dernière minute, annonce Matthieu. Caroline a pensé un instant que les excuses s’adressaient à elle…

− Il est tout excusé. Grâce à Caroline, je suis certain que cette réunion va se dérouler à merveille, sourit Xavier Bielle pressé d’acquérir cette société indispensable au développement de son entreprise. « La dame bat le roi sur ce coup, à moins que je ne sois un as ? », se dit Caroline.

 

 

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Mercredi 31 janvier, 19 h 30

La réunion vient juste de se terminer. 10 heures d’affilée à discuter les conditions suspensives et les garanties de passif. Mais c’est fait ! Tout le monde se félicite. Le vendeur va pouvoir prendre de très longues vacances à kiter sur les plus beaux spots au soleil. « Retraité à 42 ans, ça fait rêver », songe Caroline.


− Merci beaucoup, chère Caroline, sans vous, tout cela n’aurait jamais été possible, sourit Xavier. J’ai d’autres projets. J’espère que vous accepterez de me conseiller à nouveau.

− Tout le plaisir a été pour moi, Xavier. Je serai ravie de repartir avec vous pour de nouvelles aventures, répond Caroline en se disant qu’elle n’aurait peut-être pas dû employer le mot « aventures », qui peut prêter à confusion. « Arrête-toi tout de suite, ma fille ! Tu deviens complètement parano ! », pense-t-elle.

− Matthieu, j’espère que tu as conscience de la valeur de ta collaboratrice. Je ne sais pas si c’est grâce à sa double formation Droit / HEC, mais elle comprend tout au quart de tour. Pas seulement les aspects juridiques mais aussi les implications économiques de toutes les clauses qu’elle rédige. Si tu n’en prends pas soin, je te la pique pour qu’elle devienne ma directrice juridique !

− Nous prenons un soin particulier à la formation de tous nos collaborateurs. C’est la raison pour laquelle tu es si bien servi par notre cabinet. Mais qui sait, le jour où Caroline décidera d’avoir une vie de famille, elle pourra réfléchir à ta proposition ? Le métier de directrice juridique est plus compatible avec une vie de mère que celui d’avocat.

« Jolie pirouette pour éviter de me féliciter et s’attribuer tous les mérites de l’opération. Quant à la compatibilité vie pro / vie perso, je vais en parler à ma copine Marie qui est partie en entreprise et bosse autant que moi. Quel cliché débile ! », peste Caroline à voix basse.

 

En réalité, elle doit sa formation à Paul, le cousin de Matthieu. Egalement associé du cabinet, il est celui qui trouve une solution à toutes les problématiques juridiques complexes. Celui qui est capable de dégainer une jurisprudence pour débloquer une situation qui semblait inextricable. Celui dont tous les raisonnements sont structurés, clairs, limpides. Malheureusement ses costumes ne viennent pas de chez Arnys… Mais ce n’est ni le lieu, ni le moment pour régler ses comptes. On décide de fêter cela dans un restaurant chic du quartier.


Si vous souhaitez lire les autres épisodes, cliquez ici.

 

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