Renforcement du droit des minoritaires : quelles conséquences pour les émetteurs ?
La proposition de loi visant à renforcer le financement des entreprises et l’attractivité de la France a fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire la semaine passée. Le texte prévoit d’accorder plus de droits pour les actionnaires dans le cadre d’une assemblée générale d’une société anonyme. Kami Haeri, associé du cabinet White & Case, analyse son contenu.
Que prévoit cette proposition de loi s’agissant
des droits des actionnaires minoritaires dans
le cadre d’une assemblée générale ?
Dans sa version adoptée par la commission mixte paritaire le 28 mai dernier, la proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France entend renforcer les droits des actionnaires minoritaires des sociétés anonymes. Un amendement du rapporteur Louis Vogel reprend en effet à son compte une proposition du Haut Comité juridique de la Place financière de Paris (HCJP), publiée dans son rapport sur les résolutions climatiques « Say on climate » du 15 décembre 2022.
En particulier, l’article 10 bis A du texte de la commission complète le deuxième alinéa de l’article L.225-105 du code de commerce (lequel permet à un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital, ou une association d’actionnaires, de solliciter l’inscription à l’ordre du jour de projets de résolution), par une disposition ainsi rédigée : « En cas de contestation du refus d’inscription de ces points ou de ces projets de résolution, le tribunal de commerce compétent statue selon la procédure accélérée au fond ».
Pourquoi les parlementaires jugent-ils
nécessaire de faire évoluer les textes ?
Sous l’empire du droit positif, le conseil d’administration (ou le cas échéant, le directoire) est obligé, à peine de nullité de la convocation, d’inscrire les projets de résolutions régulièrement reçus, à condition qu’ils portent sur des questions appartenant à la compétence de l’assemblée, et qu’elles n’empiètent pas sur les prérogatives du conseil d’administration (au nombre desquelles figurent les décisions qui relèvent de la stratégie de la société). Cette seconde condition, qui repose sur le très célèbre arrêt Motte, rendu le 4 juin 1946 par la Cour de cassation, est en effet très discutée et cristallise un contentieux fourni.
Le HCJP, notamment, a fait valoir que « le fait d’imposer au conseil l’inclusion de certains éléments, par exemple des objectifs déterminés (notamment pour qu’ils soient compatibles avec l’Accord de Paris), dans la stratégie qu’il lui appartient seul d’arrêter, ou de le contraindre, via une modification des statuts par exemple, à inclure des précisions, au-delà des exigences légales, dans le rapport de gestion (par exemple l’utilisation de certains référentiels donnés), pourrait vraisemblablement caractériser un tel empiétement sur ses pouvoirs propres permettant aux émetteurs de refuser l’inscription de telles résolutions »1.
Ainsi, en l’état du droit positif, les actionnaires minoritaires qui se heurtent à un refus d’inscription du conseil se trouvent dépourvus d’un accès au juge. Il est en effet jugé le plus souvent que la contestation du refus d’inscription, en ce qu’une telle inscription empiéterait sur les pouvoirs du conseil d’administration, excède les pouvoirs du juge des référés, juge de l’évidence.
Le recours à la procédure accélérée au fond de l’article 839 du code de procédure civile, bien plus appropriée au temps des affaires, pourrait ainsi modifier les rapports de pouvoirs dans les sociétés anonymes.
Vous attendez-vous à une augmentation des contentieux grâce à cette procédure accélérée ?
Voie rapide préservant l’autorité de la chose jugée au principal, la procédure accélérée au fond (autrefois appelée « en la forme des référés ») permet l’obtention d’un jugement au fond dans des délais comparables à ceux d’une ordonnance de référé, soit 2,5 mois en moyenne en 2022 contre 9,5 mois pour un jugement au fond d’après les statistiques du ministère de la Justice pour l’année 2023.
Le recours à une telle procédure permettrait ainsi aux actionnaires minoritaires de contester utilement le refus d’inscription de résolution opposé par le conseil avant la tenue de l’assemblée, et de mettre fin à la toute-puissance de celui-ci tirée de sa maîtrise du calendrier.
Il est toutefois à craindre que la conciliation de l’efficacité souhaitée de la procédure avec l’exercice des droits de la défense ne permette pas, dans certaines hypothèses, un débat judiciaire en temps voulu. Doit être signalée à ce titre la version initiale de l’article 10 bis A de la PPL attractivité financière, adoptée en commission au Sénat, qui prévoyait qu’il soit statué sur le refus d’inscription « sans recours possible ». Sur amendement du gouvernement, inquiet de l’inconventionnalité de loi, ces termes avaient ensuite été retirés.
Faut-il en conclure à une possible reconfiguration des rapports de force entre émetteurs et actionnaires ?
L’article L. 225-105 du code de commerce, dont la modification entrera en vigueur trois mois après la promulgation de la loi attractivité financière, permettra, lors de la saison 2025 des assemblées générales, un exercice plus efficace, par les actionnaires minoritaires, de leur droit d’inscrire des résolutions à l’ordre du jour.
L’on pense à cet égard aux actionnaires activistes, des tenants du « Say on climate » et « Say on gouvernance », aux coalisations anti-ESG qui s’illustrent de plus en plus outre-Atlantique et pourraient tirer avantage du nouveau cadre français.
Par ailleurs, la proposition de loi « attractivité financière » ne tranche pas la question de savoir si la procédure accélérée au fond serait applicable aux CSE qui tirent de l’article L. 2312-77 du code du travail le droit de requérir eux aussi l’inscription de projets de résolutions à l’ordre du jour des assemblées.
Notes
(1) HCJP, Rapport sur les résolutions climatiques « Say on climate », 15 déc. 2022.
K. Haeri