« Raccourcir, moderniser et rendre plus prévisible la procédure commerciale »
Au cours d’un entretien exceptionnel, le président du tribunal des affaires économiques de Paris, Patrick Sayer, son vice-président, Bertrand Kleinmann et le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris, Pierre Hoffman ont détaillé les dispositions et la philosophie du protocole conclu le 19 décembre 2024 dont l’objectif est de permettre de raccourcir les délais et d’en augmenter la prévisibilité tout en accentuant le recours à l’amiable.
Dans quelles circonstances a été conclu ce protocole d’accord ?
Patrick Sayer : Pour introduire notre propos, je tiens à souligner que nous nous félicitons des relations que nous entretenons avec les avocats, qui sont les auxiliaires de justice que nous côtoyons le plus au tribunal. Nous nous connaissons de longue date avec Pierre Hoffman, et nos bonnes relations sont essentielles pour l’intérêt de nos professions et celui du justiciable.
Pierre Hoffman : Nous partageons la même vision d’avenir et avons le souhait commun de moderniser nos institutions. Dans une période politique troublée, il est heureux que nous ayons pu avoir un dialogue fécond, impulsé par certains membres du conseil de l’Ordre et notamment par Arthur Dethomas et Yann Utzschneider. Il était aussi important pour les avocats de recueillir l’avis des mandataires au commerce, qui sont les interlocuteurs réguliers de la juridiction consulaire.
Bertrand Kleinmann : Le dernier protocole d’accord conclu entre les avocats et le tribunal de commerce datait de 2021 et portait sur le déroulement de la procédure orale. L’oralité de cette procédure, prévue par une disposition du code de procédure civile qui date de 1807, avait été adoptée pour que les justiciables puissent s’adresser simplement au tribunal, sans avoir besoin d’être représentés par un avocat. Mais depuis cette époque, les textes ont évolué et prévoient désormais la représentation obligatoire par un avocat pour les litiges supérieurs à 10 000 €.
Patrick Sayer : Au fil des années, des strates de pratiques se sont superposées, rendant la procédure nébuleuse aux yeux des justiciables. Avec ce protocole d’accord, nous avons voulu encadrer et clarifier les pratiques tout en conservant l’esprit de procédure orale devant la juridiction consulaire, comme l’ont démontré les travaux sur les articles 446-1 à 446-2 du code de commerce. Cette oralité des débats est du reste très appréciée des avocats. La confusion intervenait plutôt en amont, au moment de la mise en état.
Que contient cet accord ?
Bertrand Kleinmann : Dans l’intérêt des justiciables, il nous est apparu utile de clarifier cette phase de mise en état, pour éviter que le calendrier de traitement, à la discrétion du juge, puisse déraper. Désormais, les délais sont clairs : le dossier est audiencé en 15 semaines pour les affaires simples et en 21 semaines dans les cas plus complexes. Bien entendu, pour les dossiers d’une rare complexité, la juridiction prendra le temps nécessaire et adaptera le calendrier. Ce cadre fixe est rassurant pour les avocats et les parties puisqu’il augmente la prévisibilité du traitement des affaires.
Patrick Sayer : Rappelons que la juridiction consulaire parisienne est saisie de 9 000 nouvelles affaires par an au fond. Elle fait historiquement preuve d’une certaine célérité puisque la moyenne du temps de traitement des affaires au fond est de 12 mois, et que le délai moyen entre l’audience de plaidoiries et le jugement est de deux mois. Mais dans la période actuelle, un délai de 10 mois, par exemple dans le cas d’une rupture brutale de relations commerciales établies, peut signifier la mort d’une entreprise. Il nous a donc semblé urgent que les procédures soient traitées encore plus vite. La justice commerciale doit s’aligner sur la vie économique des entreprises. En raccourcissant les délais, nous modernisons la procédure et rendons le contentieux plus prévisible. Certaines dispositions renforcent par ailleurs la communication électronique, dans cette même ambition de modernité.
Le protocole vise également à favoriser l’amiable ?
Patrick Sayer : En effet, notre objectif est d’atteindre un millier de conciliations par an et d’aller plus loin dans le développement de l’amiable et de tous les modes alternatifs de règlement des litiges. Je rappelle tout de même que le tribunal de commerce de Paris, depuis déjà de nombreuses années, encourage les parties à concilier dès la chambre de placement. À Paris, les conciliateurs sont d’ailleurs souvent d’anciens juges consulaires. En 2023, notre tribunal a traité de 480 conciliations. Ce nombre a été porté à 885 en 2024. En 2025, nous avons pour objectif de développer les médiations.
L’audience de règlement amiable (ARA) est venue compléter l’arsenal des possibilités amiables applicables devant le tribunal de commerce au 1er septembre 2024. Elle peut s’avérer intéressante car elle autorise le juge, au cours de l’audience, à guider les parties sur les prétentions et les moyens qui n’ont pas de sens, qui ont peu de chance d’aboutir ou qui semblent déraisonnables. Le juge peut ainsi passer un message aux avocats dans l’intérêt de leurs clients.
Pierre Hoffman : Ce circuit court est également un moyen pour les avocats de rassurer leurs clients et de faire avancer leur dossier. La célérité et la confiance sont clés dans ce protocole.
Bertrand Kleinmann : Le protocole mentionne la possibilité de procéder à une conciliation, à une médiation ou à une ARA, et le calendrier est encadré afin de limiter le dilatoire. Si les parties acceptent de rechercher un règlement amiable, le juge renvoie l’affaire à la mise en état dans les cinq semaines devant la chambre où elle a été introduite. Si les parties ont effectivement engagé une conciliation, le renvoi sera alors prévu à huit semaines. Sinon, le dossier sera traité comme une affaire nouvelle.
Quelles actions vont être mises en œuvre pour faire vivre ce protocole ?
Patrick Sayer : Pour la partie mise en état, la formation des greffiers et des présidents d’audience est en cours et, après Pâques, nous devrions commencer à appliquer le calendrier prévu par le protocole. La formalité de la prise de date au fond est d’ores et déjà opérationnelle. Elle est beaucoup moins cadrée qu’au tribunal judiciaire et nous utilisons le même module que pour la prise de date en référé. L’audience de plaidoiries interactive existait déjà dans la pratique, de même que la possibilité d’audience préalable au cours de laquelle le juge soulève les points qui seront discutés lors des plaidoiries.
Pierre Hoffman : Ce protocole n’est pas qu’une lettre d’intention. Nous allons, tous ensemble, juges, greffiers et avocats faire des points réguliers pour permettre les remontées pratiques et les ajustements. Un premier point d’étape est d’ores et déjà prévu dans trois mois.
Qu’en est-il des avocats mandataires au commerce ?
Pierre Hoffman : Sur ce point, je tiens à rassurer mes confrères qui exercent cette activité. Cette modernisation des procédures ne modifiera pas leur activité économique, bien au contraire. L’ensemble des avocats plaidants sont très conscients qu’il serait dangereux de ne plus faire appel aux mandataires au commerce pour les procédures devant le TAE. Ils gardent donc toute leur place dans la procédure commerciale.
Bertrand Kleinmann : La négociation de ce protocole a d’ailleurs été l’occasion d’un dialogue avec les mandataires au commerce qui ont attiré notre attention sur beaucoup de cas atypiques dont nous avons tenu compte. Je pense que la prévisibilité instaurée par le protocole leur permettra de mieux orienter les dossiers et d’y apporter une meilleure valeur ajoutée, et ce d’autant plus qu’en général, ils prennent un forfait par affaire. Cette clarification de la procédure leur sera profitable.
Pierre Hoffman : Les mandataires au commerce seront ainsi en mesure d’être plus actifs en ce qui concerne la stratégie du dossier, débarrassés de la crainte de savoir dans quelle direction sera orientée l’affaire et de certaines incertitudes. À cet égard, on peut faire le parallèle avec les anciens avoués, qui continuent à être des spécialistes prisés de la procédure d’appel.
Patrick Sayer : Les mandataires au commerce resteront l’âme du tribunal de commerce.
Le tribunal de commerce de Paris est devenu le tribunal des affaires économiques (TAE) au 1er janvier 2025. Quel volume d’affaires supplémentaires devra-t-il absorber ?
Patrick Sayer : Nous sommes honorés de prendre part à cette expérimentation et nous allons tout faire pour qu’elle soit un succès, l’objectif étant qu’à terme, le TAE s’étende à d’autres tribunaux de commerce. Pour le moment, nous n’avons pas encore d’idée précise du volume d’affaires que nous allons devoir absorber. Nous commençons tout juste à connaitre des dossiers portés par des associations. Nous avons évalué les dossiers en matière de procédures de règlement judiciaire amiables ou collectives des nouveaux justiciables à environ 10 % d’affaires supplémentaires, ce qui est très gérable.
La rédaction