Préavis de départ d’associé : attention, terrain miné !
Paru dans La Lettre des Juristes d’Affaires, N° 1326 du 20/11/2017
Compris entre trois et six mois, le préavis que doit respecter un associé qui décide de quitter son cabinet est une période de haute tension d’un côté comme de l’autre. Explications.
On dénombre chaque année à Paris entre 150 et 200 séparations qui se passent mal, estime Didier Dalin, directeur du centre de règlement des litiges professionnels du barreau de Paris, associé du cabinet In extenso Avocats. Heureusement, on parvient à une conciliation dans 95 % des cas .
Dans les cabinets d’avocats, les départs d’associés prennent parfois une tournure shakespearienne. Et pour cause, ces départs touchent à la fois aux finances et à l’ego des intéressés, deux sujets hautement inflammables dans cette profession. Aussi étonnant que ça paraisse concernant des juristes, il arrive que les conditions de séparation entre associés ne soient pas prévues dans les statuts, ce qui ne fait qu’envenimer les choses. Et c’est ainsi que le départ d’associé peut très vite tourner à la bataille judiciaire et psychologique. Une guerre particulièrement dure à gérer quand on est obligé de coexister.
Impossible en effet pour un associé ou une équipe qui a décidé de partir de le faire du jour au lendemain, il faut respecter un délai afin de permettre à celui qui part mais aussi à ceux qui restent de se réorganiser. « La durée du préavis dépend des structures et de leurs statuts, en général il est compris entre 3 et 6 mois, 6 mois étant le délai usuel, explique Didier Dalin. Le préavis permet à la structure de ne pas se trouver confrontée à un problème immédiat de trésorerie par exemple pour régler le loyer. C’est important quelque soit la taille du cabinet. Même une grosse structure peut être fragilisée par un départ d’associé ou d’une équipe si cela entraîne une perte significative de chiffre d’affaires et une déstabilisation des équipes. Les gros cabinets doivent aussi gérer la communication externe vis à vis du marché ».
Impossible aussi et à l’inverse, pour un cabinet qui veut chasser un de ses associés de lui tendre le carton contenant ses affaires le lendemain de la décision de séparation.« Sans même parler de procédures d’exclusion parfois très brutales, j’ai vu des cas où un associé était sommé de partir du jour au lendemain, avec ses affaires dans un carton sur le palier, sous la surveillance d’un vigile, en étant privé de tout accès à ses mails et à ses dossiers pour le couper des clients et éviter qu’il n’emporte des dossiers. De tels agissements sont totalement irréguliers et constituent des manquements déontologiques qui relèvent du disciplinaire : quels que soient les circonstances du départ, il n’est pas possible de priver un avocat de ses moyens d’exercice » met en garde Christophe Thévenet, associé du cabinet Librato Avocats qui intervient régulièrement dans ce type de conflits entre avocats associés.
Gare à la politique du stylo en l’air
Clients et personnel pris en otages
Le préavis est le moment de gérer un certain nombre d’aspects de la séparation parmi lesquels le plus important, en dehors des questions financières, est le sort des clients. Deux principes fondamentaux président à cette question. Le premier est la liberté du client de choisir le conseil qu’il veut. Le deuxième est le droit de chaque avocat de choisir sa structure d’exercice, le retrait en lui-même n’étant pas blâmable. Mais les modalités de ce retrait doivent être loyales, notamment pendant l’accomplissement du préavis. Or ce n’est pas toujours le cas. « Je me souviens d’un associé dont nous avions décidé de nous séparer et à qui nous refusions de régler l’intégralité de sa rémunération en raison de son comportement très choquant déontologiquement, il avait diligenté une saisie-arrêt chez l’un des clients du cabinet qui n’avait pas encore réglé sa note d’honoraires pour se payer lui-même directement ! » raconte effaré l’associé gérant d’un cabinet parisien.
« L’associé qui s’en va peut aviser ses clients de son départ mais seulement après avoir informé ses associés de sa décision de se retirer. L’idéal est l’envoi d’un courrier aux clients co-signé par l’associé retrayants et un associé dirigeant du cabinet, par lequel on informe en termes neutres les clients du départ de l’avocat, en rappelant au client qu’il lui appartient de faire connaitre son choix, sans autre précision, explique Christophe Thévenet.
En aucun cas le courrier ne doit dénigrer le retrayant ou le cabinet qu’il quitte et il ne doit pas non plus être laudatif pour le cabinet qu’il rejoint, afin de ne pas influencer le choix du client. La notion de concurrence déloyale n’est jamais très loin de telles situations souvent très tendues ».
Souvent, c’est le personnel qui est pris en otage ou coincé dans des conflits de légitimité. « L’un des associés qui a quitté notre cabinet a laissé sa secrétaire enceinte 3 jours dans le cabinet alors qu’il avait promis de l’emmener, c’était sa façon de faire pression sur nous pour qu’on lui règle le plus vite possible ce qu’on lui devait » confie le patron d’un cabinet parisien.
La guerre peut parfois tourner au guignolesque. Par exemple quand un cabinet trace une ligne blanche au sol pour délimiter les parties où l’associé sur le départ a encore le droit de circuler à l’intérieur du cabinet.
Les conseils pour limiter les risques de contentieux en cas de séparation ?
Dépatrimonialiser, prévoir les conditions de départ dans les statuts et fixer un délai de préavis court. « Il faut payer tout ce qu’on doit payer au cabinet et partir vite », confie un spécialiste auquel répond en écho le managing partner d’un célèbre cabinet parisien : « inutile de se battre pour récupérer ce que l’on estime dû au cabinet, le mieux est de se séparer le plus vite possible, mais si ça coute ».
Il est d’autant plus nécessaire d’être vigilant sur l’ensemble de ces sujets que les départs d’associés se multiplient. Le temps où l’on passait une vie entière dans la même structure est révolu. « Le point positif c’est que ces mouvements d’associés pollinisent les cabinets et leur permettent d’évoluer, de se remettre en cause et de progresser. Le danger c’est que les départs fragilisent les cabinets et nuisent à leur développement même s’il ne faut pas dramatiser, dans leur majorité, ils se passent bien » conclut Didier Dalin.