Le HCPJ veut rendre le droit français des sociétés plus attractif
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires N°1339 du 26 février 2018
Fusions triangulaires, actions de préférence, lisibilité du droit des sociétés cotées, le Haut comité juridique de place financière de Paris (HCJP) travaille d’arrache-pied sur différents projets d’amélioration du droit des sociétés français.
À voir le taux de succès des propositions de réforme du droit économique en France élaborées par le Haut comité juridique de la place financière de Paris, il paraît évident qu’il faut suivre avec attention ses travaux car tôt ou tard ils se retrouveront intégrés dans la réglementation. Le secret de ce Haut comité créé début 2015 pour proposer des améliorations du système juridique aux pouvoirs publics ? - Une structure resserrée composée à la fois de spécialistes de haut niveau et de représentants des pouvoirs publics (AMF, ACPR, Trésor, Chancellerie) qui se retrouvent autour d’un objectif : promouvoir la compétitivité juridique de la Place de Paris. Le résultat, c’est par exemple la création officielle le 7 février dernier des chambres spécialisées en contentieux international qui ambitionnent d’attirer une partie des 10 000 dossiers de contentieux international actuellement jugés à Londres, quand les décisions de justice londoniennes perdront l’avantage d’être exécutoires dans l’ensemble de l’Union à l’issue du Brexit. L’idée est née d’un rapport du Haut comité publié en janvier 2017. Et c’est loin d’être la seule à avoir trouvé une consécration.
Le droit des sociétés cotées est illisible
Parmi les très nombreux chantiers en cours au sein du Haut comité, plusieurs concernent le droit des sociétés. Par exemple, celui sur la lisibilité du droit des sociétés cotées, piloté par France Drummond, professeur à l’université Panteon-Assas. « Le parti pris dans le code de commerce de ne pas distinguer le régime des sociétés cotées de celui des sociétés non cotées est intenable, le chapitre consacré aux sociétés anonymes est devenu illisible pour les non-spécialistes, explique cette spécialiste du droit des affaires. Beaucoup de dispositions relatives aux sociétés cotées sont issues de directives européennes. Elles ont été disséminées dans des articles préexistants du code de commerce. Coexistent ainsi au sein des mêmes articles des dispositions de source et d’inspiration différentes. Le sens en est brouillé ». L’idée consiste donc à créer un espace spécifique dans le code de commerce, le chapitre 10 du titre 2 du livre 2, dans lequel on isolerait les dispositions spéciales aux sociétés cotées relatives, par exemple, au nombre d’actionnaires, à la composition du conseil d’administration, aux rémunérations des dirigeants sociaux, au quorum dans les assemblées, aux droits de vote double, au contenu du rapport de gestion… « Par ailleurs, il existe actuellement des dispositions dans le code de commerce qui seraient plus à leur place dans le Code monétaire et financier. C’est le cas par exemple des règles de franchissements de seuil et des défenses anti-OPA. L’idée consiste à désimbriquer les textes et à procéder à leur reclassement pour en améliorer la lisibilité et en sécuriser l’interprétation » précise France Drummond. Le Haut comité met la dernière main à un rapport qui sera rendu public et dans lequel figurera un tableau rationalisant les textes. Mais la réalisation de l’objectif passe par une révision de l’organisation du code de commerce et du CMF à droit constant, ce qui suppose de trouver un véhicule législatif pour opérer. A priori, la Chancellerie et Bercy sont favorables à la démarche.
Des fusions triangulaires en France ?
Ce sera peut-être l’occasion d’effectuer une autre réforme, également préconisée par le Haut comité, cette fois dans le cadre de ses réflexions sur la modernisation du droit des fusions. Celle-ci est décrite dans un rapport publié le 13 décembre 2017, piloté par l’avocat Olivier Diaz, associé de Skadden Arps. En principe quand une société en absorbe une autre, cela entraîne la dissolution de l’absorbée. L’idée du groupe de travail consiste à s’inspirer de ce qui existe en Grande-Bretagne et aux États-Unis à permettre en France les fusions triangulaires. Il en existe deux modèles.
La fusion triangulaire américaine (« triangular merger ») implique trois sociétés distinctes. Sa caractéristique est de permettre une rémunération de la fusion en actions d’une société autre que la société absorbante. Elle consiste à réaliser la fusion d’une société cible (A) avec une société absorbante (B’) (éventuellement créée pour les besoins de la cause), et à rémunérer les actionnaires de la société cible, non pas par des actions de la société absorbante (B’), mais par des actions de la société initiatrice de l’opération (B) qui contrôle la société absorbante (B’). « Le problème c’est que le droit français ne prévoit qu’une rémunération par les actions de la société absorbante à l’exclusion de toute autre. Par conséquent si une société française veut réaliser cette opération en étant absorbée par une société américaine, c’est impossible, et si la société française est l’absorbante la réalisation de l’opération soulève des questions juridiques qui ne sont pas résolues de façon claire », commente Olivier Diaz.
Le second modèle de référence est le “scheme of arrangement”, une procédure de droit anglais entre deux sociétés aux termes de laquelle les associés de la cible deviennent associés de la société initiatrice. Elle permet la fusion sans dissolution d’une société cible (A) dans une société initiatrice (B). La rémunération s’effectue par échanges de titres étant précisé que la société cible (A) ne disparaît pas à l’occasion de l’opération, mais devient une filiale de la société initiatrice (B). Mais pourquoi vouloir introduire ce type de dispositif en France ? « La dissolution pose des difficultés techniques dans un certain nombre de cas, explique Olivier Diaz. Certes, elle opère un transfert de patrimoine à l’absorbante, mais celui-ci ne fonctionne pas dans toutes les hypothèses. Par exemple les contrats inutuitu personae échappent au transfert automatique des contrats.
De même, pour prendre le secteur médical, les autorisations sont délivrées à la personne morale et non transmissibles, en cas de disparition de la personne morale, il faut donc reprendre toutes les procédures d’autorisations. Cela aboutit également à une situation étrange en droit du travail car les contrats sont transférés mais si la société est étrangère, ils deviennent des contrats, certes de droit français, mais avec une société étrangère… ».
Le groupe de travail formule deux propositions. D’une part, que le projet de fusion puisse prévoir que la société absorbée n’est pas dissoute et conserve son patrimoine, sans que ceci ne remette en cause l’échange de titres de la société absorbée contre des titres de la société absorbante par l’effet de la fusion ; et, d’autre part, que les titres remis aux associés de la société absorbée puissent être des titres d’une société détenant directement ou indirectement plus de la moitié du capital de la société « absorbante ». La réforme que préconise le Haut comité est en principe sans incidence sur les autres volets de l’opération et notamment sur la fiscalité. « Les praticiens de ces opérations ont tous connu des projets qui ne se sont pas réalisés ou difficilement en raison de ce manque de souplesse du droit français. Nous espérons donc être suivis dans les propositions d’évolution en la matière qui, naturellement, devront se faire sans perte de matière fiscale », confie Olivier Diaz.
Encourager le développement des actions de préférence
Troisième réforme envisagée, la modification du régime des actions de préférence pour en développer l’utilisation chez les sociétés cotées.
Depuis 2004 il n’y a plus en France que deux catégories d’actions, les actions ordinaires et les actions de préférence. L’action de préférence représente le capital social mais elle confère des droits différents de l’action ordinaire, pas forcément des droits supérieurs, cela peut être aussi des droits en moins. Les émetteurs sont assez libres de modifier l’étendue des droits pécuniaires, en revanche c’est plus encadré s’agissant des droits de vote. Il est possible de faire des actions de préférence sans droits de vote mais pas de prévoir des droits de vote multiples.
« Dans le secteur non coté, les actions de préférence sont très utilisées, notamment dans les LBO et dans les opérations d’augmentation de capital dans les sociétés familiales. L’investisseur ne s’intéresse pas forcément aux droits de vote ; en revanche il est nécessairement attentif à sa rémunération, et il négocie pied à pied sa rémunération. Le recours aux actions de préférence permet de mettre en place des solutions sophistiquées souvent calculées sur le TRI. Les banquiers d’affaires aiment beaucoup cet outil » explique Hervé Synvet, professeur à l’université Panthéon-Assas.
À l’inverse, les actions de préférence n’ont jamais réussi à s’installer dans les sociétés cotées. « Il y a eu des actions de préférence au moment de la crise financière, elles ont servi à rémunérer l’État qui était venu au secours des banques, mais celles-ci les ont remboursées dès qu’elles sont revenues à meilleure fortune car c’était très cher comme financement. Il y a eu aussi deux cas d’actions de préférence émises par des sociétés cotées. Areva a émis des certificats d’investissements qu’elle a transformés en actions de préférences puis très vite en actions ordinaires.
Mediawan a émis des actions de préférence dans le compartiment professionnel d’Euronext qu’elle a converties en actions ordinaires. On peut aussi citer une dizaine de sociétés cotées qui ont émis des actions de préférence non cotées dans le but d’accorder des droits particuliers à tel ou tel actionnaire » analyse Hervé Synvet.
Si ça ne marche pas, c’est en partie parce que d’autres catégories de titres offrent des possibilités similaires, les titres convertibles, hybrides, subordonnés. Mais l’obstacle est aussi réglementaire. « Procéder à une émission d’actions de préférence est plus compliqué car cela suppose une modification des statuts pour décrire les actions de préférence et donc la réunion d’une AGE alors qu’en pratique les émissions d’actions s’opèrent sur délégation de l’assemblée générale. C’est ainsi qu’il faut compter 7 mois pour monter une émission d’actions de préférence contre 4 mois pour une émission d’actions ordinaires » explique Hervé Synvet.
L’idée du Haut comité consiste à créer les contours d’une action de préférence standard qui pourrait entrer dans le champ de la délégation. Cela permettrait au conseil d’administration de déclencher l’émission dans les mêmes conditions que pour des actions ordinaires. La deuxième idée consisterait à organiser une solution de sortie. Actuellement en effet la société a la faculté de racheter les actions de préférence, mais le porteur ne peut pas demander ce rachat. Les rapports relatifs à ces travaux sont en ligne sur le site du Haut comité.