L’avocat coureur de fond
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1368 du 15 octobre 2018Par Ian De Bondt, directeur associé chez Fed Légal
L’idée de cet article a germé lors d’un déjeuner avec l’associé d’un cabinet d’avocats. Ce dernier s’est rendu il y a quelques mois à une conférence sur l’attractivité des cabinets pour les jeunes collaborateurs. Il y intervenait en compagnie de deux confrères. Ces derniers étaient dirigeants de « grands cabinets » et tenaient un discours qui se voulait moderne mais qui me semble dangereusement faux. « Venez chez nous, éclatez-vous », tel était leur slogan. Est-ce vraiment ce que souhaite entendre un jeune avocat qui sort de 7 ans d’études et avec un minimum d’ambition ?
Respecter son jeune collaborateur, c’est opter pour un langage de vérité et lui préciser que ce métier est un marathon, une course de fond durant laquelle l’abnégation et l’humilité sont les maîtres mots.
Le métier d’écrivain n’est pas le même, mais Murakami dans « Autoportrait de l’auteur en coureur de fond » parle des écrivains comme de besogneux qui doivent « creuser un trou profond avant de découvrir la source de la créativité ». Il faut du talent comme dans toute activité, intellectuelle notamment, mais sans la concentration, la persévérance et « un travail semblable à l’entraînement musculaire », aucun résultat n’est possible.
Croire que c’est en vendant du « fun » qu’on va attirer les Millenials est, selon moi, une double erreur. Le premier risque est de dénaturer le métier d’avocat qui est avant tout un métier de patience, d’endurance, où seule la répétition des efforts est payante. On ne naît pas avocat, on le devient en travaillant.
Le second danger est d’engager les mauvaises recrues, ceux qui justement n’ont pas compris ce qu’impliquait cette profession.
En tant que recruteur, je peux affirmer que plus de la moitié des personnes que je rencontre en entretien ne sont pas faites pour ce métier. Ce n’est pas un jugement de valeur, mais il faut vouloir devenir avocat et identifier ses leviers de motivation avant de se lancer dans cette carrière.
Les jeunes d’aujourd’hui ont leurs particularités, tout comme ceux d’hier, ni plus, ni moins. Pour attirer, fidéliser et pouvoir compter sur des collaborateurs engagés, se focaliser sur les leviers que sont la rémunération et les conditions de travail est une solution de facilité. La formation, la reconnaissance, l’épanouissement au travail sont des leviers moins facilement identifiables, demandant plus de travail pour le manager, mais sans doute bien plus fiables.
Il est plus intéressant de reconnaître vos collaborateurs pour ce qu’ils sont et pas seulement pour ce qu’ils produisent. Et pour cela de travailler sur vos valeurs communes afin de donner du sens à leur quotidien.