La position des collaborateurs dans le mercato des associés
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires N°1338 du 19 février 2018
Par Jeanne DISSET
Deux tiers des 209 mouvements d’associés ayant eu lieu en 20171 concernent des avocats déjà associés dans leur structure d’origine. Avec ceux quittant un cabinet pour fonder le leur, ce sont environ 200 équipes qui bougent chaque année. Et en général, ces associés emmènent tout ou partie de leur équipe. Mais comment les collaborateurs vivent-ils ce changement ?
«Plus on est dépendant de l’associé qui part, plus on est contraint de le suivre », reconnaissent unanimement les collaborateurs. Il est plus simple de ne pas suivre le partant quand plusieurs associés vous donnent du travail ou que vous êtes dans un pool. Dans le cas contraire, il n’y a pas vraiment de choix…
« Une équipe soudée, un atout de plus pour l’associé »
À Paris, 12041 avocats sont collaborateurs dont seulement 288 salariés2. Le statut libéral l’emporte donc, et la notion d’équipe n’a dès lors rien de contraignant. Il n’y a d’ailleurs pas de conflits sur ce thème au niveau ordinal. Hannelore Schmidt, MCO, le confirme « les problèmes des collaborateurs portent sur la rupture du contrat, pas sur les déplacements d’équipe ». Elle conseille cependant d’être très attentif sur les conséquences d’un changement de cabinet : « les avantages acquis dans l’ancien cabinet -ou les perspectives de développement, d’association-, ne suivent pas nécessairement dans le nouveau cabinet, il faut bien penser à les inclure dans la négociation ». En effet, le nouveau cabinet n’est pas forcément très enclin à supporter l’historique du collaborateur avec l’associé. Le transfert peut devenir un moment de perte de sécurité et d’avantages pour le collaborateur.
Car la réussite du transfert dépend de la qualité de l’implication des collaborateurs dans l’aventure à venir. Plus ils sont un élément actif du changement et plus la réussite est au rendez- vous. Les associés comprennent d’ailleurs désormais que l’équipe permet de fidéliser les talents, de conserver les clients et de valoriser l’activité. Ils doivent donc composer entre l’individualisme du contrat libéral de collaboration et l’aspect collectif de l’équipe. Car celle-ci est utile à la transaction, même pour les clients qui apprécient de retrouver les mêmes intervenants sur leurs dossiers. Pour Valérie Munoz-Pons, Benoît Javaux (counsels), et Noémie Coutrot-Cieslinski et Helen Adler (collaboratrices) qui ont suivi Kami Haeri chez Quinn Emanuel, l’équipe en tant qu’entité est le point fondamental. Ils le disent en choeur : « Pour nous, c’était un départ en équipe, pour travailler en équipe, pour faire des projets ensemble. Une équipe soudée, c’est un atout de plus pour l’associé. »
Le rôle clé de l’associé comme manager
Mais tout dépend de l’associé lui-même. Sa position, son implication, sa capacité managériale, son charisme, tout joue. La transparence de son discours est de mise : il doit être clair sur le projet et les conditions. Son rôle est d’autant plus important qu’il négocie pour l’équipe. Dans l’hypothèse d’une création de structure, c’est plus simple : il discute avec les autres fondateurs. Mais son rôle est crucial dans un transfert où il doit présenter l’autre cabinet, proposer les conditions aux collaborateurs et les traiter avec le nouveau cabinet. Chez Quinn Emanuel, les collaborateurs affirment avoir décidé ensemble : « la présentation par Kami Haeri, puis par Philippe Pinsolle (fondateur du bureau de Paris) et Thomas Voisin (managing partner) nous a permis de partager le projet puis d’y adhérer. Ce projet est devenu le nôtre. Et cela a renforcé notre esprit d’équipe ».
Faire preuve de transparence
Si la qualité du projet est importante, c’est l’information qui est fondamentale. Au-delà de la seule rémunération, doivent être abordées de manière transparente les conditions de travail, l’évolution, les possibilités de s’investir sur de nouvelles activités (recrutement, communication…). « La dimension entrepreneuriale présentée par l’associé a été déterminante : nous créons une pratique et nous sommes tous impliqués dans ce challenge, cela motive à quitter sa zone de confort ! » souligne Benoît Javaux. Les collaborateurs veulent savoir. Plus l’associé et le managing partner accueillant sont clairs, plus la greffe prend. Le rôle du cabinet d’arrivée n’est donc pas à négliger.
Et ceux qui restent ?
Pour les seniors qui restent dans le cabinet de départ, la situation peut devenir complexe. « Il n’est pas forcément simple de se recaser si l’associé part sans vous et qu’aucun autre associé ne vous fait travailler, reconnaît un collaborateur sous couvert d’anonymat. C’est même pire lorsqu’une équipe nouvelle arrive et ne veut pas de vous ! » Le risque est bien de voir son contrat rompu. Mais tout n’est pas noir. Il s’agit bien pour le collaborateur de transformer le départ de son associé en une opportunité de progresser. C’est aussi l’occasion de proposer au cabinet un projet d’association, de reconstruction d’une pratique, de reconstitution d’une équipe… Il n’est pas rare de voir des collaborateurs être cooptés après un départ d’associés. Car tout porte à croire que les liens développés entre les seniors et les clients comptent pour beaucoup dans la balance.
Notes (1) Baromètre Day One des mouvements d’associés dans les cabinets d’avocats. (2) source Ordre de Paris, chiffres au 12 février 2018