Thé ou café : comment prenons-nous nos décisions ?
Par William CARGILL - Fondateur de deinceps
Dans un monde en pleine mutation, prendre une décision- et à plus forte raison la bonne décision- relève parfois du dilemme Cornélien.
Décider, c'est accepter de s'engager dans une voie. C'est accepter de prendre des risques. C'est, en quelque sorte, "exercer sa liberté " selon Andreu Solé, sociologue et spécialiste mondial de la décision.
Pour décider, il faut déjà choisir…de décider
Décider peut pourtant s'avérer si difficile que nous n'y parvenons pas. Ne sachant que décider, nous expérimentons alors un sentiment de confusion et de paralysie.
Or, l'indécision est fatale !
Ne pas décider, c'est se condamner à l'immobilité, voire à l'immobilisme si cela devient une habitude. Ne pas décider, c'est aussi se condamner à subir le choix des autres. Ne pas décider, c'est enfin renoncer à vivre en "homme libre".
Dès lors, pas de meilleur choix que de préférer la décision à l'indécision.
Décider peut néanmoins être facile, même quand il y a un fort enjeu
Prendre une décision n'est pourtant pas toujours difficile. En effet, nous prenons des milliers de décisions avec une facilité déconcertante, sans même nous en rendre compte: décider de rester dîner à la maison ou de sortir, de mettre son réveil à telle heure plutôt qu'à telle autre… Ces décisions sont anodines, et c'est pour cela qu'elles sont faciles à prendre, me direz-vous.
Mais nous sommes également capables de décider, avec une grande facilité, de nous endetter sur plus de 20 ans pour devenir propriétaires. Et, cette fois, l'enjeu est de taille !
Alors, pourquoi certaines décisions sont-elles si faciles à prendre et d'autres quasi impossibles?
Pour y répondre, il faut s'intéresser au processus de prise de décision. Sur quels critères prenons-nous nos décisions?
Raisonner ou ressentir, à chacun sa façon de choisir
Dans le processus décisionnel, un consensus règne dans la communauté scientifique sur au moins un point : l'émotion prime la raison, et à deux titres.
L'émotion prime la raison dans le temps. De nombreuses études ont ainsi démontré que dans tout processus décisionnel, c'est l'émotion qui se manifeste en premier. Que nous cherchions à rationnaliser ou à analyser, l'émotion entre d'abord en jeu et la raison ne vient que conforter ou appuyer ces choix.
Pour autant, certains d'entre nous vont privilégier des critères objectifs, rationnels et internes quand d'autres vont suivre des critères subjectifs, affectifs et internes.
L'inventaire de personnalité MBTI met bien en lumière cet aspect qui se traduit dans la lettre T (pour Thinking, donc profil rationnel) ou F (pour Feeling, donc profil affectif) du profil de chacun.
Prenons le cadre d'un recrutement. Certains vont décider de recruter tel(le) ou tel(le) candidat(e) en s'appuyant essentiellement sur le CV, l'expérience, le parcours et tous les éléments objectifs de la candidature alors que d'autres vont privilégier leur "feeling".
Les premiers justifieront leur décision avec une phrase du type "c'est un bon candidat, solide, avec un bon parcours et de bonnes motivations". Pour les seconds, les arguments seraient plutôt : "Je ne l'ai pas senti. Je ne l'ai pas trouvé sympathique mais plutôt froid" ou, à l'inverse "J'ai eu un super contact avec ce(tte) candidat(e). Je l'ai trouvé très sympa".
Laisser parler son cœur
Pour illustrer ce propos, je vous propose un petit exercice que j'utilise souvent en coaching lorsque la personne a du mal à prendre une décision, et qui permet d'interroger son ressenti.
Reprenons l'exemple du recrutement évoqué plus haut. Imaginons que vous sortez de l'entretien et trouvez le candidat (ou la candidate) plutôt "bien" mais que vous n'arrivez pas à être certain de faire le bon choix en décidant de le/la recruter. Une part de vous vous dit "c'est bon, il est vraiment top" et une autre vous dit "il y a quelque chose qui cloche, mais je ne sais pas quoi".
Le plus rapidement possible après l'entretien, asseyez-vous et prenez quelques secondes pour vous relaxer. Une fois bien "calé", demandez-vous : si ce candidat était un objet, quelle forme aurait-il? Une fois que l'objet apparaît, demandez-vous quelle texture aurait cet objet (lisse, rugueux, râpant, doux…). Une fois que vous connaissez sa texture, essayez d'imaginer quelle serait sa température. Chaud? Froid? Tiède? Puis, demandez-vous quelle couleur aurait cet objet. Demandez-vous ensuite quelle odeur il dégagerait. Et enfin, que feriez-vous de cet objet? Où auriez-vous envie de le mettre? Cette dernière question permet de déterminer quelle proximité vous auriez avec cet objet: son sort ne sera pas le même selon que vous déciderez de le mettre dans votre chambre, au grenier, à la cuisine, au fond d'un atelier au bout du jardin.
Faites l'essai ! Vous aurez beau trouver toutes les justifications rationnelles possibles (études brillantes, cabinets ou entreprises fréquentés prestigieux…), vous serez bien incapables de décider de recruter un objet plein de piques, froid, rugueux voire râpant et qui sent très mauvais (l'odeur n'est évidemment pas celle dégagée par le candidat mais celle associée à l'objet visualisé) !!! Il finira au fond de l'atelier au bout du jardin.
Sans émotions, plus de décision possible
L'émotion prime également la raison par son importance: sans émotions, nous ne parvenons plus à décider.
Une étude très intéressante réalisée par le Pr Antonio Damasio sur des personnes dont le cerveau avait subi un traumatisme ne leur permettant plus de ressentir des émotions met en lumière qu’ils arrivaient très bien à exprimer et expliquer ce qu’ils devaient faire et pourquoi mais n’arrivaient plus à décider quoi manger, où vivre et parfois même, quoi faire.
Dans la décision, la raison n'est donc rien sans l'émotion.
Mais émotion et raison ne sont pas les seuls facteurs entrant en jeu dans la prise de décision. Ainsi, les événements ou les circonstances jouent un rôle parfois clé.
Les circonstances plus fortes que les faits
Une étude, réalisée par les Professeurs Shai Danziger de l’Université Ben Gourion et Jonathan Levav de la Business School de Columbia portant sur les résultats de 1112 audiences de demandes de libération conditionnelle réalisée auprès de juges ayant en moyenne 22 années d’ancienneté, montre que les circonstances dans lesquelles chaque affaire est traitée influence considérablement le délibéré.
Ainsi, les accusés dont les dossiers sont traités au début de chaque audience ou après la pause déjeuner sont plus susceptibles d’être libérés que les trois derniers, et ce quels que soient les faits qui leur sont reprochés ou leurs antécédents.
Autre enseignement : les juges étant confrontés à un choix répétitif, ils finissent par ne plus vraiment décider; ils privilégient la solution la plus facile, à savoir le maintien en détention.
Ainsi, au-delà des dispositions affectives ou rationnelles, des émotions ou de la raison, les circonstances et les événements influencent nos décisions. On peut citer un exemple frappant: le lendemain des attentats du 13 novembre 2015, la majorité des parisiens prirent la décision de ne pas sortir de chez eux ce jour-là.
Nous sommes plus avocats que juges
Selon Jonah Lehrer, auteur de "How we decide", nous devrions prendre nos décisions en nous basant uniquement sur les faits. Mais nous en sommes loin…
De fait, nous sommes plus avocats que juges, cherchant à justifier notre conviction, ce que Benjamin Franklin exprimait ainsi : " Il est commode d’être un animal raisonnable, qui sait trouver ou forger une raison, pour justifier tout ce qu’il peut avoir envie de faire ! ".