La roue de Hudson : un outil efficace pour accompagner le changement
Par William Cargill, fondateur, DeInceps
L’être humain ne change que dans deux types de circonstances. La première, c’est la nécessité absolue : si la source d’eau se tarit, changer de lieu devient une question de survie. La seconde circonstance, c’est lorsque l’on perçoit dans une situation autre un avantage supérieur à la situation dans laquelle on se trouve : tant que le fumeur ne voit pas l’avantage de ne plus fumer, il n’arrêtera pas de fumer !
Or, face au changement, nous ne sommes pas tous égaux. Si certains ont plutôt tendance à en percevoir les bénéfices, d’autres vont plutôt s’attacher aux coûts du changement. Mais les deux postures comportent des avantages et des inconvénients : ceux qui accueillent le changement vont l’accueillir favorablement mais avoir tendance à sous-estimer voire à nier les coûts que tout changement implique, tandis que les autres vont avoir des difficultés à percevoir les bénéfices qu’ils peuvent tirer du changement, mais être peu enclins à mettre en œuvre des changements inutiles. On pourrait donc schématiser en disant qu’il y a ceux qui accueillent le changement et ceux qui le suivent ou le subissent.
Or, au cours de notre vie, nous allons être confrontés à de multiples changements. Certains mineurs, d’autres majeurs ; certains souhaités (un déménagement, par exemple), d’autres subis (un licenciement, une séparation…).
Alors, comment aborder le changement et comment l’accompagner ?
Dans ma pratique professionnelle, je suis confronté quotidiennement à la question du changement. C’en est même l’essence, l’accompagnement consistant précisément à accompagner un changement ou une transition. Pour cela, j’utilise un outil très pratique : la roue de Hudson (ou roue du changement) qui permet à l’accompagnant (mais également au client si besoin) de se repérer dans le cycle du changement.
Le changement se vit en effet comme un cycle, que la roue de Hudson divise en 10 étapes. A chaque étape correspond une situation, un ou des besoins et une réponse (ou aide) appropriée pour accompagner efficacement la personne.
Phase 1 : formuler un projet
Cette phase se caractérise par le fait que la personne a des difficultés à penser, à mettre en mots son projet et alterne enthousiasme, débordements, doutes, colère… Ces sentiments apparaissent comme mêlés et cette ambivalence est source d’inconfort.
A ce stade, l’aide à apporter consiste en une écoute active et l’aide à la formulation d’objectifs clairs. On peut aussi orienter la personne vers des gens qui ont réussi pour entendre une histoire de réussite qui l’aidera à se projeter. On peut également l’adresser à des experts pour acquérir des informations concrètes et des compétences qui lui manqueraient pour la réalisation du projet. Cela évite de rester face à des doutes ou des lacunes.
Phase 2 : Débuter le projet
C’est le moment du passage à l’action, mais la personne ne va pas toujours oser. La peur de l’échec ou de faire des erreurs sont de puissants facteurs d’inhibition.
L’aide à apporter, à ce stade, consiste à encourager la personne à agir, à prendre conscience que faire des erreurs est normal et que cela permet de progresser. La personne a besoin d’encouragements et d’être rassurée plutôt que conseillée.
Phase 3 : Faire fructifier, rentabiliser
La personne s’est mise en action et va commencer à remettre en question la façon de faire des autres, voire à affronter les autorités qui la dirigent ou les conseils extérieurs. Besoin de contester, de marquer sa position, de s’affirmer sont caractéristiques de cette phase.
L’aide à apporter consiste à laisser la personne agir comme elle l’entend et à l’inciter à faire confiance à son intuition. Ayant dépassé le stade de l’inhibition, elle accepte de facto de faire des erreurs et il serait stérile, voire contre-productif, de la freiner dans son élan. Elle a besoin de se confronter à SA manière de faire, de l’éprouver et de réaliser qu’être en désaccord n’est pas nécessairement anormal.
Attention : cette phase peut être longue et il faut s’armer le cœur pour un long voyage. La fin de cette phase se manifeste le plus souvent par la sensation que ce qui était vécu comme « bien » devient « trop ».
Phase 4 : Arrêt, rupture, lassitude
Cette phase peut se produire de manière très soudaine. Parfois, d’une seconde à l’autre. Cette phase peut provenir aussi bien de la personne que de son environnement : le projet est abandonné ; son poste est supprimé, etc. Cette phase est extrêmement difficile à vivre, qu’elle provienne d’une lassitude, d’un ennui ou qu’elle soit provoquée par un facteur externe.
L’aide consiste bien évidemment à apporter un soutien inconditionnel qui doit être manifesté très clairement. Vivre une phase difficile ou descendante est normal au cours d’une vie. Il est également utile de dire à la personne qu’il est acceptable de changer très vite si elle est habituée à des changements longs et prudents ou, au contraire, de changer lentement, voire de changer autrement. Plus la personne va pouvoir s’approprier la situation comme étant dans l’ordre des choses, plus elle va être en mesure d’en sortir et de prioriser à nouveau, ce qui lui permettra de passer à la phase suivante.
Phase 5 : le deuil
C’est, évidemment, la phase la plus délicate. Le deuil est à ce point délicat que toutes les civilisations humaines ont codifié le deuil. Même s’il s’agit là d’un deuil symbolique, cette phase est en tout point semblable à ce qu’on traverse à l’occasion d’un deuil, à savoir accepter l’irréversible.
La personne traverse les différentes phases de la courbe de deuil : choc, déni, colère, marchandage, dépression, acceptation, renouveau et quête de sens. A chaque phase de la courbe de deuil correspond une réponse appropriée, notamment l’écoute, la reformulation, des rituels de deuil (pot de départ, jeter ses anciennes cartes de visite, vider son bureau, etc.).
Il est très important d’accepter que le deuil prend du temps et qu’il ne faut surtout pas voler le deuil (pour l’accompagnant) ou le nier (pour celui qui le traverse). Comme dans une phase de transition, c’est le fait de tourner la page qui permettra d’écrire la suivante. Ne pas aller au bout du deuil conduit généralement à se lancer tout de suite dans un nouveau projet (ceci est notamment valable pour ceux qui aiment l’action), qui ne pourra que capoter ou stagner faute d’avoir tourné la page précédente. En revanche, une fois le deuil fait, vient le temps du bilan.
Phase 6 : le bilan
Au cours de cette phase, la personne a besoin de s’évaluer de manière très factuelle, de faire le bilan de ses points forts et de ses points faibles.
L’aide dépend essentiellement du rapport de la personne avec elle-même et avec les autres ou, pour le dire autrement, de son estime de soi et de sa confiance en elle. En fonction de ce rapport, elle aura besoin soit d’être aidée à découvrir ses points forts, soit au contraire d’être confrontée (à la réalité notamment) ou enfin de juste accepter de regarder points forts et faibles en face. Il peut être utile, par exemple, de les lui faire écrire, pour qu’ils prennent une dimension très concrète : « ils sont sous ses yeux et bien réels ».
A l’issue de cette phase de bilan, la personne retrouve une bonne confiance en elle, confiance qui s’appuie sur des éléments concrets et objectifs, ainsi que sur la conviction d’être à sa place, ici et maintenant.
A l’issue de la phase 6, deux possibilités se présentent : la personne est prête à repartir sur un projet (phase 1 ou 2), ou alors, la personne a besoin d’un temps de jachère avant d’avancer et entre dans une phase d’errance, notamment si elle envisage un changement profond ou d’environnement.
Phase 7 : l’errance
Cette phase correspond symboliquement à l’année sabbatique, aux vacances, à ces moments de la vie où il s’agit de ne rien faire, de faire du vide et du silence pour se recentrer. Cette phase pourrait être qualifiée d’antisociale et peut se traduire par deux métaphores : celle de la mue du serpent (il faut changer de peau) et celle du retour de l’enfant prodigue.
Il est très important d’accepter l’errance, la non-productivité et le repli sur soi qui se traduisent par des activités comme la peinture, le dessin, la méditation, les voyages, la marche… Ils sont le reflet du besoin de ressourcement, de se nettoyer, de se retrouver, de muer vers une autre peau.
L’aide consiste à laisser la personne prendre son temps, à visiter le monde, n’avoir aucun programme, se laisser vivre. Cela peut être très anxiogène pour les proches, déroutés par cette non-action. Pour autant, laisser cette phase se dérouler complètement est la promesse de lendemains meilleurs, solides et qui témoigneront de l’alignement de la personne.
Il nous arrive souvent de vivre le cycle des phases 1 à 7. Plus rarement, nous pouvons être amenés à vivre les phases 8 à 10.
Phase 8 : doute et maturation
Cette phase pourrait se résumer ainsi : « est-ce vraiment ma vie ? ». Il s’agit d’une phase de doute profond qui se traduit par l’alternance de pensées claires et confuses, le sentiment ambivalent que « tout va bien », mais également d’être en décalage avec son environnement et surtout seul. Un fort conflit de loyauté est souvent à l’œuvre, essentiellement sur les croyances profondes et les valeurs.
En fait, cette phase correspond non plus à un changement du faire mais de l’ETRE et peut donc conduire à des prises de décisions parfois radicales. Cette phase correspond souvent à l’adolescence et à la crise dite de milieu de vie.
Lors de cette phase, la personne a besoin d’être reconnue dans ses doutes, dans ses valeurs, dans sa capacité à changer de valeurs et à être un autre, différent, tout en restant le même individu : une sorte de nouveau Moi, plus authentique et qui lui correspond vraiment.
L’aide appropriée au cours de cette phase consiste à aider la personne à tempérer ses prises de décision. A ce qu’elle se donne le temps de maturer sa nouvelle identité, à se l’approprier, à la protéger contre elle-même en quelque sorte. Il est utile de proposer à la personne de se faire accompagner, de mettre des mots sur ses valeurs, de lui parler du cycle du changement et de l’autonomie.
Phase 9 : réorganisation des priorités
Au cours de cette phase, la personne éprouve le besoin profond de se réunifier, de créer son propre système de valeurs et de se sentir en parfaite adéquation avec celui-ci. C’est la phase de l’alignement de l’Être.
Ce besoin de se réunifier se traduit par de nombreuses questions existentielles (différentes de celles de la phase 8 qui sont plus de l’ordre du tiraillement) du type : Quel sens donner à ma vie ? Pourquoi fais-je des choses pour gagner de l’argent ? Est-ce que tout cela a un sens ? Puis-je m’autoriser à faire des choses juste pour le sens et non pour payer les factures ? etc. La personne va, ce faisant, créer sa propre hiérarchie de besoins : de quoi ai-je véritablement besoin ? Comment privilégier la qualité sur la quantité ? Avec qui ai-je envie de poursuivre ma vie (cela peut concerner toutes les sphères, y compris la cellule familiale) ? Quelles conséquences suis-je prêt à accepter ?
L’aide à apporter au cours de cette phase consiste à aider la personne à se centrer sur des éléments concrets, y compris en la confrontant au nouveau système de valeurs qu’elle est en
train de mettre en place, pour l’aider à l’incarner. Cet accompagnement pourrait prendre la forme suivante : « Vous me parlez de ces valeurs, mais concrètement, comment se traduisent-elles ? ». Ou alors : « Je suis plus intéressé par un partage sur vos pratiques de méditation que par le fait que vous m’indiquiez que vous méditez ».
L’accompagnement consiste également à encourager la personne à hésiter, à ne pas se précipiter ; par exemple en lui demandant ce qui justifie que le changement doive intervenir maintenant et pas à un autre moment. La devise de l’accompagnant pourrait se résumer ainsi : « Précise-moi ce que tu dis et ne te précipite pas ! ».
Il convient de préciser que la personne peut faire des aller-retours entre les phases 8 à 10. Ces trois étapes s’apparentant à la courbe de deuil, la personne ne suit pas forcément une évolution linéaire. Le questionnement est en effet profond et la personne a besoin de passer parfois plusieurs fois par chacune des étapes pour avancer vers la phase 10.
Phase 10 : devenir auteur de sa vie
Cette phase consiste à faire apparaître à l’extérieur la beauté intérieure ressentie. La personne ressent une adéquation parfaite entre le faire et l’être. Elle agit sans être influencée par le regard des autres, mais en congruence avec son propre système de valeurs échafaudé lors des phases précédentes.
Lorsque la personne fait des aller-retours entre les phases 8 à 10, elle expérimente des niveaux différents à chaque passage. Par exemple, en phase 10, elle ne va pas ressentir l’inconfort de la phase 8, mais plutôt le sentiment que les priorités sont bel et bien là, mais que le script de la suite de sa vie n’est pas encore définitif. Les changements induits sont profonds et lourds de conséquence, et méritent donc d’être maturés, pour ne pas dire digérés.
L’accompagnement de cette phase consiste à témoigner une confiance inconditionnelle à la personne (confiance en elle et en son être et pas en ses capacités). Il est également utile de la freiner à rentrer en phase 1, de l’inciter à continuer à pétrir son pain : plus elle passe de temps en phase 10, plus elle peut travailler sa congruence. Il peut enfin être souhaitable d’utiliser le cycle des dépendances pour lui donner de la puissance.
Quand la personne aura finalement traversé profondément toutes ces phases, elle sera alors à nouveau en mesure de se lancer dans un nouveau projet, porteurs de changements profonds, mais facteurs d’épanouissement tout aussi profond.
Dans les bilans de compétences, l’utilisation de la roue du changement permet ainsi à l’accompagnant de se repérer en identifiant la phase que traverse son client et de pouvoir ainsi lui apporter l’aide appropriée en termes de posture et d’outils pour l’aider à avancer vers la phase suivante.
L’utilisation appropriée de cette roue de Hudson participe à la réussite de l’accompagnement et aide ainsi la personne à identifier, déterminer, construire et réaliser son projet mais surtout à mettre en œuvre le changement approprié, quel que soit son rapport initial au changement.