Démarchage et publicité : les récentes précisions apportées par le Conseil d’État (2e partie)
Deux décisions du Conseil d’État datant du 9 novembre dernier ont permis de confirmer certaines règles relatives à la communication des avocats. Dans la partie 1 (voir l’article : « Démarchage et publicité : les récentes précisions apportées par le Conseil d’État – 1re partie ») nous avons analysé la réaffirmation du droit de diffuser de la publicité par voie de tracts, affiches, films, radio ou télévision ainsi que la confirmation, a contrario, des interdictions de faire de la publicité comparative ou dénigrante et de démarcher par sms. Cette seconde partie porte sur l’interdiction, également confirmée, de choisir un nom de domaine générique.
Le Conseil d‘État s’est, en effet, aussi penché sur les noms de domaine des sites d’avocats, dans sa décision du 9 novembre 2915.
1. La compatibilité des dispositions du RIN et du cadre communautaire
Rappelons que les alinéas 2 et 3 de l’article 10.6 du règlement intérieur national de la profession d’avocat (RIN) restreignent les avocats concernant le choix de leur nom de domaine : « l’utilisation de noms de domaines évoquant de façon générique le titre d’avocat ou un titre pouvant prêter à confusion, un domaine du droit ou une activité relevant de celles de l’avocat est interdite ».
Les avocats doivent ainsi choisir un nom de domaine correspondant à leur nom ou à leur dénomination, éventuellement complété par l’intitulé de leur profession : « l’avocat qui ouvre ou modifie substantiellement un site internet doit en informer le Conseil de l’Ordre sans délai et lui communiquer les noms de domaines qui permettent d’y accéder. Le nom de domaine doit comporter le nom de l’avocat ou la dénomination du cabinet en totalité ou en abrégé suivi ou précédé du mot avocat ».
Or, au niveau communautaire, l’article 24 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur oblige les États-membres à supprimer toutes les interdictions totales visant les communications commerciales des professions réglementées et à veiller à ce que ces communications respectent les règles professionnelles conformes au droit communautaire, qui visent notamment l’indépendance, la dignité et l’intégrité de la profession, en fonction de la spécificité de chaque profession. Les règles professionnelles en ce domaine doivent ainsi être « non discriminatoires », « justifiées par une raison impérieuse », « d’intérêt général » et « proportionnées ».
Il s’agissait donc ici de savoir si les textes du RIN sont conformes à la directive.
Pour le Conseil d’État, les restrictions prévues par le RIN ne sont pas contraires à la directive du 12 décembre 2006.
2. Rappel de l’étendue des pouvoirs du Conseil national des barreaux (CNB)
D’une part, le Conseil d’État rappelle l’étendue des pouvoirs du CNB et les règles déontologiques applicables à la profession d’avocat :
Le CNB est « investi par la loi d’un pouvoir réglementaire qui s’exerce en vue d’unifier les règles et usages des barreaux et dans le cadre des lois et règlements qui régissent la profession ; ce pouvoir trouve cependant sa limite dans les droits et libertés qui appartiennent aux avocats et dans les règles essentielles de l’exercice de la profession ; le CNB ne peut légalement fixer des prescriptions nouvelles qui mettraient en cause la liberté d’exercice de la profession d’avocat ou les règles essentielles qui la régissent et qui n’auraient aucun fondement dans les règles législatives ou dans celles fixées par les décrets en Conseil d’Etat prévus par l’article 53 de la loi du 31 décembre 1971 ou ne seraient pas une conséquence nécessaire d’une règle figurant au nombre des traditions de la profession ».
3. Respect des principes fondamentaux de la profession
D’autre part, le Conseil d’État estime que les règles édictées sur les noms de domaine ne sont pas nouvelles et n’ignorent pas les principes fondamentaux et les règles essentielles de la profession d’avocat :
• Selon l’article 3 du décret du 12 juillet 2005, « l’avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité dans le respect des termes de son serment. Il respecte, en outre, dans cet exercice, les principes d’honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoise. Il fait preuve à l’égard de ses clients de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence » ;
• Selon l’alinéa 1 de l’article 15 de ce décret, « la publicité et la sollicitation personnalisée sont permises à l’avocat si elles procurent une information sincère sur la nature des prestations de services proposés et si leur mise en œuvre respecte les principes essentiels de la profession ».
Or, pour le Conseil d’État :
• « Ces dispositions n’ont ni pour objet, ni pour effet, de subordonner à des conditions nouvelles l’exercice de la profession d’avocat » ;
• Au titre de « l’intérêt général de la profession », du « respect de ses principes essentiels et des exigences déontologiques » et du respect des règles sur la publicité, le CNB peut prévoir ces règles qui permettent « d’éviter l’appropriation directe ou indirecte, via un nom de domaine générique, d’un domaine du droit ou d’un domaine d’activité que se partage la profession ».
4. Le nom de domaine ne fait pas partie de la communication commerciale
Enfin, le Conseil d’État considère qu’en tout état de cause, les règles encadrant la dénomination des sites internet des membres des professions réglementées ne constituent pas une communication commerciale au sens de la directive et ne relèvent donc pas de son champ d’application :
• Le paragraphe 12 de l’article 4 de la directive définit la communication commerciale comme « toute forme de communication destinée à promouvoir directement ou indirectement les biens, les services ou l’image d’une (…) personne exerçant une profession réglementée » ;
• Il précise cependant que « les informations permettant l’accès direct à l’activité de l’entreprise, de l’organisation ou de la personne, notamment un nom de domaine ou une adresse de courriel électronique ne constituent pas en tant que telles des communications commerciales ».
Ainsi, les dispositions mises en cause poursuivent les objectifs « d’intérêt général, de protection de l’intégrité de la profession d’avocat » et aussi ceux « de bonne information du client » ; elles ne portent « pas d’atteinte disproportionnée ni au droit de propriété des avocats, ni à leur liberté de communication, ni, en tout état de cause, à la liberté d’entreprendre ».