Sale temps de transition
« Toutes les organisations ont vocation à devenir des plate-formes. » Tel est le cœur du message qu’a délivré Gilles Babinet, digital champion de la France auprès de la Commission européenne, lors d’une allocution d’introduction aux Rencontres Entreprises : transformation, restructuration, financement, le 21 juin dernier à Paris. Non sans avoir au préalable regretté l’attitude des acteurs économiques français, laquelle s’apparente à ce qu’il appelle « la danse à trois temps » : le premier étant celui « du déni et de la difficulté à se projeter dans un environnement qui évolue » ; le deuxième, « celui de l’interdiction, en régulant » ; et le troisième, « celui des débordements parce que l’évolution des usages a submergé le marché ». Or, « les cycles d’innovation sont de plus en plus courts et les risques de sortie de route sont réels ».
Reste que selon ce serial entrepreneur, ancien président du Conseil national du numérique, il est encore trop tôt pour parler de “révolution”. « On peut contester la notion de révolution numérique parce que les économistes n’observent pas pour l’instant de gain de productivité, mais je ne doute pas qu’elle va en entraîner à l’avenir, vers 2035 peut-être (…) Quant au retour sur investissement, il est aujourd’hui difficile à mesurer sur le secteur du numérique. » Une situation qui s’explique par « la distorsion qui existe entre le potentiel des technologies numériques et les compétences des individus » : « la transformation numérique repose massivement sur le capital humain », et cela implique « un sursaut en matière de formation ». Or, si « le premier atout de la France est son capital humain, (…) on l’utilise peu ».
Pas de gain de productivité, un retour sur investissement difficile à mesurer, une inadéquation entre les compétences des hommes et le potentiel des machines… Il ne suffit donc pas de sauter sur sa chaise comme un cabri en criant « innovation ! innovation ! » pour se préparer à la révolution à venir. La transformation des organisations à marche forcée ne peut se faire indépendamment de celle du capital humain – à savoir, l’ensemble des aptitudes, qualifications et expériences accumulées par un individu. Cela passe nécessairement par la maîtrise des outils qui, depuis toujours, ont permis à l’homme de se libérer de certaines tâches pour se consacrer à “autre chose”. Mais ce n’est pas qu’une affaire de programmes, de tablettes et d’applications. Il s’agit d’apprendre à décrypter le monde qui nous entoure et d’acquérir les savoirs de demain (ceux d’hier sont déjà dans la machine) pour définir cette “autre chose” qui doit venir se substituer aux tâches d’aujourd’hui. Et donc de répondre à la question : la transition numérique, oui, mais vers quoi ?
Par Miren Lartigue, Rédactrice en chef LJA Le Magazine