Immobilier & transformation numérique : la Proptech change la donne
«Proptech », le mot était sur toutes les lèvres lors de la dernière édition du MIPIM avec notamment la mise en place d’un nouvel événement, « le Proptech Lab », qui a pris la forme d’un espace d’exposition permettant à la proptech de se faire connaître auprès des acteurs du secteur de l’immobilier.
Suite à la première édition du Guide du Numérique 1 publié en 2017, le cabinet DLA Piper prolonge la réflexion sur l’évolution de la transformation digitale avec la publication de ce deuxième ouvrage. Cet article en est extrait.
La numérisation accélérée touche aujourd’hui tous les secteurs de l’économie tels que la finance avec la fintech, le secteur médical avec la medtech, le secteur assurantiel avec l’insurtech, etc. Par le biais de la proptech, c’est désormais le secteur de l’immobilier – l’un des plus gros secteurs de l’économie française et mondiale – qui est concerné. Le terme « proptech » vient de property et de technology et désigne les sociétés qui utilisent le numérique dans le secteur de l’immobilier.
Par le biais de start-ups innovantes, la proptech révolutionne aujourd’hui le secteur de l’immobilier (1) engendrant des problématiques et enjeux juridiques nouveaux (2).
La proptech révolutionne le secteur immobilier
Toutes les dimensions du secteur de l’immobilier ont vu les proptechs s’imposer. Les technologies innovantes touchent notamment le processus de gestion immobilière (1.1) et s’imposent aussi au domaine de la construction (1.2).
Une facilitation du processus de gestion immobilière
La révolution numérique a su s’imposer dans le cadre d’opérations telles que l’acquisition et le financement de biens immobiliers.
Un outil a pris de plus en plus d’ampleur lors d’acquisitions immobilières : la blockchain. Selon l’article L. 223-12 du Code monétaire et financier issu de l’ordonnance du 28 avril 2016, relatif aux « minibonds », la blockchain est « un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant l’authentification de ces opérations, dans des conditions, notamment de sécurité, définies par décret en Conseil d’État ».
La doctrine s’est questionnée sur la définition à donner au concept de blockchain. Le site Blockchain France la définit ainsi comme « une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle ».La blockchain est présentée comme inviolable en raison de son mode de fonctionnement particulier qui s’apparente à une chaîne de blocs. Selon le site Blockchain France, « les transactions effectuées entre les utilisateurs du réseau sont regroupées par blocs, chaque bloc est validé par les nœuds du réseau appelés les “mineurs”, selon des techniques qui dépendent du type de blockchain, et une fois le bloc validé, il est horodaté et ajouté à la chaîne de blocs. La transaction est alors visible pour le récepteur ainsi que l’ensemble du réseau ».
L’utilisation du système de la blockchain permettrait de sécuriser encore davantage les transactions immobilières et d’arriver au même niveau de sécurité qu’un acte notarié. Un amendement a d’ailleurs été déposé le 13 mai 2016 afin que la blockchain soit pourvue de la même force qu’un acte notarié, mais cet amendement a finalement été rejeté.
Dans les opérations de financement immobilier, on retrouve la proptech sous la forme d’un type de conseillers financiers 2.0 : les « robo-advisors ». Les robo-advisors sont des sites Internet qui, grâce à des algorithmes, vont gérer des portefeuilles d’actifs et optimiser des placements financiers. Cette solution présente l’avantage de la simplicité et peut coûter quatre à cinq fois moins cher qu’un conseiller humain.
Au cours de ces dernières années, de nombreuses innovations ont été développées et révolutionnent aujourd’hui le marché de la location immobilière. La proptech a donné naissance à de nombreux services qui peuvent être utilisés aussi bien par les propriétaires/bailleurs que par les locataires.
Ainsi la géolocalisation des biens, telle que la propose par exemple GoogleMaps, permet aujourd’hui de situer virtuellement son bien sur Internet mais aussi de visualiser le quartier et l’environnement situé autour du bien ciblé. Dans le même domaine, la société Bien’ici annonce avoir « cartographié la France entière en 2D et en 3D ». Ainsi, ce site permet aux futurs locataires de « découvrir en détail les villes et les quartiers et [de se] repérer facilement grâce à plus de 200 bâtiments remarquables modélisés en HD partout en France », et également de localiser « simplement les commerces, les transports, les écoles et tous les autres points d’intérêt autour du bien qui [les] intéresse ».
De nombreuses start-ups ont également fait leur apparition et développé des services innovants. À ce titre, la start-up Matterport ayant pour objet la fabrication de caméras dédiées et la capture d’images 2D et 3D, permet de visiter des biens immobiliers en 3D et à 360°, sans se déplacer, grâce à un casque de réalité virtuelle. L’idée est de permettre aux utilisateurs de se projeter plus facilement dans le bien qui fait l’objet de leur futur projet d’acquisition ou de location.
Dans un autre registre, la société HappyRenting propose aux locataires de noter leur logement, permettant ainsi aux futurs habitants de se faire une idée plus précise du bien qu’ils s’apprêtent à habiter et ce, sur les critères suivants : quartier, appartement, immeuble et agence/propriétaire.
Enfin, les « smart contracts » (« contrats intelligents ») se développent également. Les smart contracts sont des programmes informatiques, utilisant la blockchain, et permettant de générer automatiquement des contrats sur un modèle de « si… alors… ».
Les parties complètent les informations requises par le système informatique, et le programme en tire automatiquement les conséquences afin de construire le contrat. Les smart contracts peuvent aussi être utiles en matière de location de bien. Certaines start-ups utilisent cette technologie afin de générer automatiquement des contrats de location de bien saisonniers.
Les smart contracts ouvrent une série de questions relatives à leur encadrement juridique. La doctrine s’interroge notamment sur la qualification de « contrat » en tant que tel. D’autres problématiques liées à la responsabilité en cas de défaillance du système, à la charge de la preuve ou encore à la responsabilité sont également discutées.
Zoom sur les BIM
La proptech impacte toutes les dimensions du secteur de l’immobilier. Un bien immobilier peut ainsi être touché par le numérique à n’importe quelle étape, et ce dès sa construction.
L’exemple le plus marquant dans le domaine de la construction est le BIM (building information modelling ou maquette numérique en français) qui est, selon le Plan de transition numérique, « une méthode de travail basée sur la collaboration autour d’une maquette numérique. Dans un processus BIM, chaque acteur de la construction crée, renseigne et utilise cette maquette, et en tire les informations dont il a besoin pour son métier. En retour, il alimente la maquette de nouvelles informations pour aboutir au final à un objet virtuel renseigné, représentatif de la construction, de ses caractéristiques géométriques et des propriétés de comportement ».
L’intérêt majeur du BIM est de permettre une meilleure synergie entre les acteurs de la construction et d’avoir une compréhension plus globale de la construction tout au long de la durée de vie de l’ouvrage.
La dimension collaborative du BIM a ouvert de multiples interrogations quant à la responsabilité des constructeurs des articles 1792 et suivants du Code civil et notamment à l’imputabilité d’un dommage à un constructeur donné. La collaboration des acteurs du BIM rend floue la mission de chaque acteur et complexifie donc l’imputabilité d’un éventuel dommage. Ce problème, qui pourrait être facilement contourné par une répartition conventionnelle des responsabilités, se heurte aujourd’hui à l’article 1792-5 du Code civil qui prohibe les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité.
Les enjeux juridiques de la proptech
Les innovations technologiques au sein du secteur de l’immobilier soulèvent de nombreuses problématiques juridiques nouvelles. Face à l’évolution d’un secteur traditionnel (2.1), la mise en place d’un arsenal juridique adapté aux nouveaux risques engendrés par les progrès technologiques est un enjeu fondamental (2.2).
La caducité du modèle traditionnel
La particularité du secteur de l’immobilier est que le marché est traditionnel, et immobile. De ce fait, la transition numérique paraît moins évidente que dans d’autres secteurs voisins tels que les secteurs bancaire ou assurantiel.
L’immobilier repose sur une multitude d’acteurs qui interviennent à différentes étapes tout en conservant chacun leur spécificité et leur calendrier. Cette diversité ne participe pas à une transition numérique rapide, tous les acteurs n’étant pas capables d’adapter leur offre dans le même temps et dans la même mesure.
Cette chaîne d’acteurs peut aussi voir son équilibre remis en cause par la proptech. L’arrivée de certains outils comme la blockchain peut impacter très fortement l’offre de certains acteurs, d’où la nécessité urgente d’intégrer ces nouveaux instruments dans le quotidien, pour qu’ils ne soient pas perçus comme un frein mais bien comme l’atteinte de nouveaux objectifs : venir en soutien des acteurs de l’immobilier, et du secteur en général, afin d’améliorer la productivité et l’offre, de baisser les coûts, et de gagner en efficacité et en rapidité.
En France, les acteurs de l’immobilier sont plus en retard que dans d’autres régions du monde.
Si l’on reprend l’exemple du BIM, le Royaume-Uni a imposé en 2016 l’utilisation du BIM pour sa commande publique. Par ailleurs, l’Autorité de construction pour l’habitation de Hong Kong a rendu le BIM obligatoire pour tout nouveau projet de construction du marché public dès 2014.
En France, la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics fait mention du BIM à l’article 22.4 qui prévoit que « pour les marchés publics de travaux et les concours, les États membres peuvent exiger l’utilisation d’outils électroniques particuliers tels que des outils de modélisation électronique des données du bâtiment ou des outils similaires ». Cependant la transposition en droit français de cette directive ne rend pas l’utilisation du BIM obligatoire, contrairement à certains de ses voisins européens comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou encore le Danemark.
Or, les acteurs du numérique ont pour ambition des marchés internationaux. Il est donc primordial pour la France de poursuivre dans la voie de la transition du numérique.
La nécessité d’une adaptation juridique
Aujourd’hui, la législation française n’est pas armée, ou tout du moins pas suffisamment, pour pouvoir répondre à tous les enjeux que soulève la proptech.
En effet, aucune définition juridique n’est donnée à la proptech et à ses déclinaisons. Or, sans définition juridique, aucun statut ou régime n’est applicable. Ce retard est logique dès lors que l’implantation du numérique dans la société française s’est faite très rapidement et avec une très grande ampleur. Les lois actuelles ont été écrites à une époque où le digital n’était pas présent et où il n’était pas possible de prévoir une telle révolution.
Une évolution juridique lèverait les freins existants en permettant aux entreprises de tirer pleinement parti des progrès technologiques et de rendre le secteur plus dynamique.
C’est en ce sens qu’un rapport intitulé « La révolution numérique et le marché du logement, Nouveaux usages, nouveaux acteurs, nouveaux enjeux » a été rendu à la ministre du Logement et de l’Habitat durable et au ministre de l’Économie et des Finances en novembre 2016 par Bernard Vorms. Ce rapport vise à « décrire l’impact du numérique sur les métiers de la transaction et de la gestion immobilières, pour leur partie résidentielle », suite à la révolution numérique. Ledit rapport ambitionne d’analyser « les évolutions du secteur et [de] faire des propositions visant à aider les professionnels mais aussi la puissance publique à saisir ces nouvelles opportunités ».
Sur la base des propositions formulées, une réflexion interministérielle va s’ouvrir pour apporter des réponses aux questions soulevées. Parmi la liste de recommandations figurent les objectifs suivants :
• lever l’insécurité juridique liée à la dématérialisation des documents et des correspondances ;
• traiter les nouveaux usages de location temporaire avec des textes spécifiques en distinguant chacune des situations ;
• imposer aux plateformes collaboratives d’assortir chacune de ces modalités d’occupation d’exigences spécifiques en matière d’information des occupants ;
• garantir un égal accès de tous aux données de prix et de loyers dont la puissance publique rend la communication obligatoire (données de prix transmises par les notaires et données de loyers transmises par les administrateurs de biens, dans certaines localisations) ;
• fiabiliser les avis en ligne en imposant aux plateformes d’informer sur le fait que les avis ont fait l’objet d’une vérification et le cas échéant d’en préciser les modalités ;
• conduire une étude comparative sur le fonctionnement du marché immobilier dans les principaux pays comparables à la France.
Seulement, la numérisation du secteur de l’immobilier s’accompagne de craintes telles que celle de la cybercriminalité. Devenue un élément nouveau et crucial, la cybersécurité ne peut qu’être anticipée. Les bâtiments peuvent ainsi être très facilement victimes d’un hacker déterminé. Le secteur de l’immobilier doit donc rapidement s’armer pour lutter contre les attaques liées à toutes les innovations et aux objets connectés.
Mais d’autres risques existent également et sont liés à des domaines aussi variés que le droit à l’oubli, la sécurité des données personnelles ou encore la question du droit applicable.
En ce sens, une mission d’information sur la blockchain est actuellement en cours à l’Assemblée nationale afin d’analyser notamment les enjeux de souveraineté qu’implique la blockchain.
Un MIPIM dédié à la proptech a eu lieu à Paris le 20 et 21 juin 2018, et un autre aura lieu en juillet 2019, dernière preuve de l’intérêt des acteurs du marché pour ce qui s’annonce comme une inévitable révolution technologique.