Juridique & transformation numérique
Les nouvelles technologies bouleversent bon nombre de secteurs d’activité, et l’industrie juridique n’échappe pas à ce phénomène.
Suite à la première édition du Guide du Numérique 1 publié en 2017, le cabinet DLA Piper prolonge la réflexion sur l’évolution de la transformation digitale avec la publication de ce deuxième ouvrage. Cet article en est extrait.
À l’ère de l’économie numérique, le monde du droit voit naître de nouvelles initiatives ayant vocation à servir une profession de plus en plus confrontée à l’innovation. C’est sous l’impulsion de ces dernières que naissent de nouveaux cadres, de nouveaux outils, de nouveaux axes de développement essentiels à l’avenir de la profession. Avec l’émergence des legaltechs, de nouveaux acteurs bousculent le marché du droit.
Selon la Charte éthique commune établie entre la legaltech et les professions du droit rédigée par l’Association pour le développement de l’informatique juridique (ADIJ) et Open Law, « est défini comme acteur de la legaltech toute organisation qui propose, fournit et/ou développe des technologies au service du droit ou de l’accès à la justice ». L’Observatoire permanent de la legaltech du Village de justice compte aujourd’hui au moins 164 acteurs de la legaltech en France, ces derniers étant majoritairement des start-ups (75 %).
L’une des idées de ces start-ups est de pronostiquer les décisions de justice grâce à des algorithmes brassant les jurisprudences et de les « quantifier ». Elles proposent aux professionnels du droit d’évaluer leurs chances de succès dans un litige, de trouver les arguments les plus pertinents, voire de prévoir le montant d’éventuelles indemnités. Parmi les grands changements annoncés dans les années à venir, la justice prédictive fait beaucoup parler. D’autres proposent des logiciels qui peuvent simplifier les recherches juridiques, le travail collaboratif ou la relecture des contrats. Les legaltechs proposent de plus en plus de services juridiques variés grâce aux nouveaux outils numériques tels que l’intelligence artificielle et la blockchain.
L’entrée en scène des nouvelles technologies dans le secteur de droit a perturbé (et perturbe encore) les spécialistes. Dans son rapport intitulé « L’avenir de la profession d’avocat » de février 2017, Me Kami Haeri indique que cette confrontation assez violente entre les praticiens et l’innovation était inévitable, puisque « la culture prédominante (des juristes) est celle de la censure, de l’autocensure, du scepticisme et de l’incrédulité. Dans un tel environnement, proposer une nouvelle page de site internet, voire une nouvelle manière de travailler avec ses clients suscite plus souvent la critique systématique que l’adhésion enthousiaste ». Cette tendance est par ailleurs fortement renforcée par la question de savoir si les métiers de droit survivront la révolution numérique.
En analysant les facteurs et produits de la transformation digitale (1), nous pourrions constater que les effets de ces derniers sont plutôt positifs, les legaltechs apportant une plus-value substantielle aux professions juridiques sans pour autant supprimer le besoin d’une intervention humaine (2). Le développement du numérique contribue par ailleurs à la création de nouvelles formes de travail et du management dans tous les secteurs, y compris celui de l’industrie juridique (3).
1. La transformation de l’environnement juridique
Les unes après les autres, les professions réglementées « s’uberisent ». L’impact sur la profession d’avocat se fait via les legal start-ups, ou des plateformes facilitant la création d’actes standardisés ou la mise en relation des avocats avec leurs clients. Mais l’innovation technologique, via les blockchains par exemple, s’apprête à bouleverser encore plus les métiers juridiques. Un nouveau genre de prestations de services juridiques voit le jour grâce la révolution numérique (1.1). Cette transformation du monde juridique résulte de plusieurs facteurs sociaux (1.2).
1.2. Les nouvelles offres de prestations de services juridiques
L’environnement des professions juridiques se transforme, à l’image des legaltechs qui se développent avec de nouvelles offres de prestations de services juridiques à bas prix. C’est le cas notamment de services de génération automatique de documents juridiques : Captain contrat, Legal start… Plusieurs sites ont émergé et proposent des contrats clés en main pour un prix très compétitif. Lorsque l’on s’intéresse aux investissements, on constate que 16,5 % des legaltechs françaises ont levé des fonds en 2017 pour un montant total de 17,8 millions d’euros. La majorité de ces levées ont été effectuées auprès d’avocats, d’huissiers et d’autres professionnels du droit. On y voit ainsi un vrai intérêt dans ces nouvelles offres de la part des professionnels.
Dans le domaine des recherches juridiques en particulier, la start-ups Doctrine.fr qui avait levé 2 millions d’euros en 2016 a récemment annoncé une levée de 10 millions d’euros auprès d’Otium Venture et Xavier Niel, soit « la plus grande levée de fonds d’une legaltech en Europe ». Nicolas Busmante, CEO de Doctrine.fr, nous a expliqué que l’apport de l’intelligence artificielle dans le domaine juridique était de simplifier la recherche juridique. Selon lui, « l’avocat peut maintenant se concentrer sur son inventivité juridique et déléguer la recherche juridique à une intelligence artificielle ».
D’ailleurs, le développement de la technologie blockchain révolutionne le domaine de droit, notamment dans des relations contractuelles. « (La blockchain) permet le stockage, et la transmission, sans intermédiaire, d’informations transparentes, sécurisées et infalsifiables. » Sans intermédiaire, les frais de transaction sont réduits voire inexistants et l’exécution des obligations contractuelles ne peut pas être altérée. En effet, « la confiance contractuelle est refondée. Elle est absolue, affranchie de tout système juridique, sans intermédiaire ni contentieux ».
1.3. Une transformation engendrée par différents phénomènes
Si cette transformation de l’environnement juridique peut paraître soudaine mais également extrêmement imprécise, elle pourrait pourtant trouver ses fondements à travers deux phénomènes assez bien connus du milieu juridique.
Premièrement, plusieurs études ont démontré que les citoyens avaient le sentiment de faire face à une justice lente, coûteuse, compliquée et incompréhensible. Si la majorité d’entre eux se disent prêts à faire appel à un avocat expérimenté, pour obtenir un œil d’expert sur un litige complexe, ils regrettent cependant d’avoir à débourser le prix d’un avocat collaborateur junior pour des tâches administratives, qu’une personne moins qualifiée, telle qu’un assistant juridique, aurait pu accomplir. Pour la majorité de la population, l’accès au droit est extrêmement difficile et par conséquent, il n’est pas envisagé de faire valoir ses droits pour des problèmes pouvant survenir au quotidien.
Le second phénomène est évidemment celui de la robotisation de la société. Un grand nombre de tâches répétitives n’ont plus besoin d’une intervention humaine et il est aussi probable que certains robots ou logiciels auront un rôle de conseillers juridiques. C’est d’ailleurs déjà le cas aux États-Unis où des robots procurent des conseils pour contester des infractions de la route. En Europe, cette robotisation est déjà bien présente puisqu’il existe déjà de nombreux logiciels et plateformes sur Internet qui fournissent, par exemple, des contrats standards préconçus. Stephen Hawking a un jour dit dans un entretien à la BBC en 2014 : « Réussir à créer une intelligence artificielle serait un grand événement dans l’histoire de l’homme. Mais cela pourrait aussi être le dernier… » L’essor de l’intelligence artificielle engendre de véritables bouleversements dans la société et particulièrement dans l’environnement juridique, à tel point que certains spécialistes parlent d’une quatrième révolution industrielle. Mais la question se pose de savoir quelle sera la place de la justice et des avocats suite à cette révolution…
2. Les impacts sur les professionnels du droit
Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ouvrent le champ à la dématérialisation du juridique. Rapidité et souplesse des échanges, l’activité juridictionnelle ne peut que bénéficier d’une telle mutation (2.1). Cette transformation, de par son ampleur, a un impact substantiel sur la profession d’avocat et les directions juridiques (2.2) et cela d’une manière positive et enrichissante (2.3).
2.1. Une transformation qui affecte la justice et ses institutions
Lors du Forum parlementaire de la legaltech tenu le 18 juin 2018, Nicole Belloubet, la garde des Sceaux, a confirmé l’importance et l’inévitabilité de la transformation de la justice par le numérique. Un rapport publié en novembre 2017 avait déjà préconisé qu’« un certain nombre de litiges de la vie courante, simples, répétitifs et de faible montant » puissent « être jugés par des moyens électroniques : la formulation des demandes, la production des preuves et de mémoires pourraient être traitées et même, éventuellement, le jugement rendu et exécuté en ligne ». Par le biais de son projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, le ministère envisage la dématérialisation de la justice, afin de la rendre plus accessible pour les justiciables tout comme pour les professionnels. Par ailleurs, le développement et le renforcement de Portalis font partie des projets visés par cette loi, avec un déploiement progressif jusqu’en 2021.
Les mécanismes de la « justice prédictive » s’inscrivent dans cette même perspective. En effet, certains outils permettent désormais de calculer ses chances de gagner son procès et de connaître le montant approximatif des indemnités à en attendre, voire même de trouver des arguments décisifs devant telle ou telle juridiction. Selon le professeur Bruno Dondero, la justice prédictive consiste à « identifier quelle solution sera donnée à un litige X par un juge Y, soit au vu des données du litige X, soit par une analyse des écritures des parties ». Cette justice prédictive permettrait alors de véritables gains de temps et d’argent mais aussi et surtout une réelle transparence judiciaire. En effet, sans la subjectivité innée aux humains, les décisions rendues seront impartiales. De plus, l’entrée en scène des big data changera comment les juges travaillent. Contrairement aux humains, ces machines ont une mémoire infaillible et sont capables d’enregistrer tous les détails de chaque affaire – on parle ainsi d’« un nouveau savoir juridique ».
Toutefois, ces outils font débat dès lors qu’ils posent le risque de tomber dans un effet de performativité, c’est-à-dire la standardisation des décisions juridictionnelles avec l’utilisation à l’infini de la même motivation dans des cas similaires (justice « figée »). D’ailleurs, ce processus soulève évidemment plusieurs enjeux éthiques tels que la désymbolisation de l’activité juridictionnelle, à laquelle on substitue la certitude du chiffre, entraînant ainsi une crainte de déshumanisation et de « justice au rabais » doublée de la crainte de la manipulation des bases de données.
S’il est vrai que la transformation digitale de la justice entraîne certaines difficultés et suscite de nombreuses questions non encore réglées, les apports positifs d’une maîtrise du numérique dans ce domaine sont devenus incontestables. Ainsi, Bertrand Louvel, premier président de la Cour de cassation, avait déclaré : « Cette meilleure visibilité et prévisibilité devrait également développer le recours par les avocats aux modes alternatifs de règlement des litiges. Les juridictions devraient ainsi être déchargées du poids du contentieux pour lesquels la voie judiciaire n’apparaîtra plus la mieux adaptée. » L’impact de cette transformation digitale s’effectuera non seulement sur les professionnels du droit mais également sur la justice tout entière avec un possible désengorgement des institutions judiciaires qui n’est certainement pas à déplorer.
2.2. Les réponses technologiques et organisationnelles des cabinets d’avocats et des directions juridiques des entreprises
De nombreux cabinets apportent des réponses à cette transformation en proposant de nouvelles organisations ainsi que des solutions technologiques innovantes. Certains ont ainsi pu créer un réseau pluridisciplinaire de juristes et techniciens informatiques afin d’apporter une réponse juridique et numérique à leurs clients. D’autres ont adopté des innovations technologiques ou d’intelligence artificielle afin de proposer des solutions innovantes.
C’est l’exemple de Kira, un outil qui permet aux équipes mises en place sur un audit d’analyser une quantité importante de contrats et de clauses en un temps considérablement réduit, en même temps qu’il facilite, par une interface dédiée, une organisation d’équipes avec notamment plusieurs niveaux de contrôle, de relecture et de réalisation des travaux d’analyse.
Les cabinets repensent également leur organisation et innovent en adoptant les avocats « à la demande » (ou flexible lawyering), principe permettant d’apporter des réponses aux défis suivants : faire face au surcroît d’activité dans le cabinet, répondre aux requêtes variées des clients, et enfin maintenir les avocats et talents dans le réseau du cabinet. Plus largement, les cabinets internationaux repensent globalement l’offre de service juridique, à laquelle est appliquée une véritable organisation en mode « gestion de projet » (legal project management). Est ainsi sollicitée en amont la palette des services internes de la firme (facturation, finance, marketing, ou autres services à valeur ajoutée, tel le knowledge management) aux côtés des avocats souvent répartis sur plusieurs juridictions afin d’identifier, de façon globale et intégrée, les besoins exprimés par les clients, et d’évaluer en détail le processus de réalisation des prestations juridiques, ainsi que leurs conditions.
De même, une étude récente menée auprès des directions juridiques de 99 entreprises de tailles différentes a démontré que ces dernières considèrent que l’exploitation des outils du numérique est un enjeu majeur. Les priorités des directions juridiques sur l’usage du digital restent comparables à celles des cabinets d’avocats, c’est-à-dire la dématérialisation de la documentation, les processus et le reporting (22 %) ainsi que la facilitation du travail en équipe (29 %). Malgré cette prise de conscience des enjeux numériques, 50 % des directions juridiques jugent que leur maturité digitale est encore faible. Cela dit, ce serait inexact de dire que les directions juridiques ne prennent pas d’initiatives pour favoriser le numérique.
Au contraire, à la faveur de nouvelles fonctions internes alliant technicité juridique et nouveaux outils, telles que le knowledge management, la révolution digitale s’intègre de plus en plus dans les directions juridiques. Les tâches juridiques telles que la création de contrats, les données sur les résolutions des litiges, les suivis des contentieux sont désormais informatisées, et deviennent ainsi accessibles plus rapidement, ce qui permet aux juristes de se concentrer sur les missions à haute valeur ajoutée. L’avenir des professions juridiques passera forcément par de nouveaux outils et une transformation du mode de travail et des offres de services, ce dont la nouvelle génération de juristes et d’avocats a bien conscience, et nécessite que ces derniers ajoutent ainsi à leurs connaissances juridiques celles sur l’approche stratégique de leurs organisations, ainsi que sur les grands enjeux du monde du droit, afin d’appréhender les défis juridiques des grandes mutations contemporaines et à venir.
2.3. La transformation digitale au secours de la justice ?
À travers l’adoption des nouveaux outils par une variété de professionnels de droit, il est évident que la transformation digitale ne constitue pas nécessairement une menace. On pourrait même aller jusqu’à dire que cette transformation pourrait être une bouée au secours de la justice, une aide précieuse tant pour les professionnels du droit que pour les justiciables. La transformation de l’environnement juridique et notamment l’essor des legaltechs permettent de tirer quelques enseignements pour les professions juridiques. En effet, tous les professionnels s’accordent à dire qu’on assiste à une judiciarisation de la société, et qu’on observe des juridictions en surchauffe, des délais de justice qui s’allongent et des magistrats qui n’arrivent plus à faire face au flux croissant de contentieux.
Pour l’avocat, il s’agira de mieux conseiller et orienter son client, en privilégiant les modes alternatifs de règlement des litiges plutôt que la procédure ordinaire. De même au niveau stratégique, de meilleurs arguments pourront être soulevés par l’avocat et de meilleures stratégies juridiques pourront être adoptées par les entreprises. Tout changement de notre société induit un choc évolutif et il est fort à craindre que l’avocat remplacé sera celui qui n’aura pas su ou pu s’adapter et adopter de nouveaux outils.
Une analyse de F. Levy et D. Remus, respectivement du Massachusetts Institute of Technology et de l’University of North Carolina School of Law, a montré que pas plus de 13 % de l’emploi juridique ne pouvait être automatisé. D’ailleurs, de nombreux spécialistes comme James E. Katz confirment que la collaboration entre les machines et les humains permettra à ces derniers d’avancer plus rapidement. En effet, les humains qui maîtrisent les outils numériques seront dans une position beaucoup plus avantageuse que ceux qui refusent les atouts du numérique ou les machines toutes seules. En outre, plusieurs aspects essentiels du rôle d’avocat ne pourront jamais être remplacés. Premièrement, l’intelligence artificielle ne fera usage que d’argumentations qui ont déjà été créées, elle ne pourra donc pas innover. Naîtrait alors un risque de cristallisation de la justice. Seul l’être humain pourra apporter de la créativité, si utile à l’évolution de la société. Pour finir, l’intelligence artificielle ne pourra jamais apporter le contact humain ni cette capacité de ressentir les émotions de son client. Un robot n’arrivera jamais à se mettre à la place d’autrui.
Pour toutes ces raisons, on peut raisonnablement affirmer que, malgré la transformation radicale de l’environnement juridique, les professions juridiques et notamment celles de l’avocat auront encore un grand rôle à jouer dans les années à venir.
Nous pouvons affirmer, avec Richard Susskind, que « dans le futur, le travail (dans le domaine juridique) subsistera. La prochaine décennie sera caractérisée par une réorganisation du travail et non une disparition de ce dernier. Actuellement, cette réorganisation n’est pas urgente mais durant les cinq prochaines années, nous devrions nous préparer pour ce changement. De plus en plus de services légaux nous seront disponibles à l’appui des nouvelles technologies ».
3. Impacts sur le management dans les organisations : la collaboration des ressources humaines ou la « disruption » du management
L’économie numérique promeut le développement du management collectif, ou « participatif ». Il est construit autour de trois piliers : donner un sens à la mission du collaborateur, lui octroyer plus de liberté et d’autonomie dans la confiance de l’entreprise (« empowerment ») (3.1), et enfin la mise en place par cette dernière d’une politique permettant le développement personnel du collaborateur (3.2). Cette transformation de modèle impactera sans doute les équipes de juristes, qu’elles soient en directions juridiques ou en cabinets d’avocats.
3.1. L’empowerment
L’objectif est d’atteindre une « intelligence collective » en passant par une participation aux décisions et une délégation de pouvoir. La hiérarchie n’est donc plus tout à fait pyramidale, tout du moins elle n’est plus ressentie comme telle, et devient plutôt « horizontale », ou flat (plate).
Le salarié ou collaborateur, responsable de sa mission en toute autonomie, est impliqué au maximum dans le processus de construction du projet sur lequel il travaille. C’est sur ce modèle de management 2.0 qu’a parié notamment l’entreprise Criteo. Pour mettre en pratique le management par tous, cette ancienne start-ups salarie tous ses collaborateurs au niveau cadres, qui rime avec autonomie, et leur offre des actions gratuites à chaque nouveau salarié qui rejoint l’équipe (c’est le « power-up »).
La mobilité interne notamment est l’un des outils du management participatif : un salarié qui est sous la responsabilité d’un chef de projet aujourd’hui pourra avoir la tête d’un nouveau projet demain et supervisera dans ce cadre son ancien responsable. L’engouement pour les nouvelles technologies a un impact au niveau de la communication interne des entreprises. Parmi les pionniers, Google propose à ses salariés de s’auto-évaluer pour définir qui obtiendra une prime, ou encore récompense toute initiative visant à améliorer la vie au sein de l’entreprise.
C’est « l’esprit start-ups », une agilité et un rapport direct au management : celui-ci étant accessible, n’importe quel salarié peut alors discuter avec le CEO et lui apporter des idées nouvelles. Cela engendre plus de fluidité dans la circulation de l’information qui n’est pas juste détenue par une petite poignée de « sachants » en haut de la pyramide.
La suppression de la hiérarchie pyramidale fait redescendre la responsabilité du management sur chaque collaborateur individuellement, chaque salarié est autonome, s’investit personnellement dans sa mission comme s’il en était seul responsable. Il y gagne alors de voir ses actions impacter directement l’activité de la société qui lui fait confiance a priori ; en contrepartie, cette autonomisation peut aussi confiner à l’isolement et génère une dose de stress et d’implication importante puisque le salarié est seul décideur. D’aucuns disent que les salariés, tous au même niveau, entrent donc inconsciemment en compétition, et tendent vers l’individualisme. L’effacement de la barrière entre la vie privée et la vie professionnelle induit une culture du travail sans limite : puisqu’il fait si bon vivre au travail, pourquoi rentrer chez soi ? En réalité, si le contrôle n’est plus imposé par la hiérarchie, il a été transféré, avec le management et la responsabilité, aux salariés eux-mêmes. On est dans l’autocontrôle. Ce n’est plus le supérieur qui va s’étonner de l’absence de tel collègue mais ses pairs, qui évaluent son investissement à la lumière du leur.
Le principe est le même pour le secteur juridique. Face à la mutation technologique et organisationnelle, les cabinets d’avocats et les directions juridiques doivent s’adapter. Ces derniers, d’habitude plutôt individualistes, sont amenés aujourd’hui à travailler de plus en plus ensemble, via des plateformes collaboratives. Selon le rapport « La nécessaire transformation des cabinets d’avocats » publié par Wolters Kluwers et LJA en collaboration avec des cabinets de droit et de conseil, cette transformation s’appuie forcément sur la confiance (en soi et envers les autres) et la bienveillance. Ces deux éléments contribuent à rapprocher tous les professionnels au sein d’une équipe, toute hiérarchie confondue : les associés, les collaborateurs, les juristes et les salariés.
3.2. Le développement personnel de la génération Y
Enfin, le management participatif met l’accent sur le développement personnel, via notamment l’environnement de travail du collaborateur. Celui-ci doit être agréable, car un collaborateur qui se sent bien au travail est plus productif.
De grandes entreprises s’inscrivent dans cette mouvance « best place to work », en créant des espaces de travail agréables et des open spaces lumineux, en multipliant les espaces de détente. En améliorant la qualité de vie au bureau, on favorise l’envie de venir travailler et on accroît la productivité.
Dans ce cadre, on observe une convergence des comportements professionnels et personnels. Alors que le droit du travail aujourd’hui tente de toujours plus renforcer la scission entre ces deux aspects qu’il considère comme antagonistes, l’économie collaborative les interconnecte et utilise le fruit de ce mélange pour créer de la richesse.
Les entreprises nouvelles sont dirigées par des jeunes qui jouent au baby-foot entre deux réunions et viennent au travail en jean. Les dirigeants ont le même âge que leurs collaborateurs, et se montrent tels qu’ils sont avec leurs qualités et leurs défauts (Mark Zuckerberg pour Facebook, Sean Parker pour Napster, etc.). Ils personnalisent ainsi la fonction hiérarchique, rendant la direction plus accessible en s’éloignant du modèle traditionnel du CEO invisible et tout-puissant.
De même, les collaborateurs sont incités à être davantage proactifs pour promouvoir leur entreprise à l’extérieur via les réseaux sociaux (LinkedIn, Twitter, Instagram).
Comme les entreprises, les cabinets d’avocats et les directions juridiques mettent en place de nouvelles techniques de management. Les locaux sont aménagés différemment aujourd’hui, pour comprendre des bureaux open space facilitant le travail collaboratif, des espaces collectifs pour déjeuner, une bibliothèque au centre du cabinet, une salle de sport, etc. Le bien-être des avocats et des juristes est pris en compte pour booster la productivité, l’innovation et la communication.
Ce nouveau management, induit par les nouvelles technologies, semble en tout cas correspondre aux attentes de la génération Y.
Notes :
1. Legaltech : Doctrine lève 10 millions d’euros, Le Monde du droit (29 juin 2018). https://www.lemondedudroit.fr/professions/337-legaltech/58623-legaltech-doctrine-leve-10-millions-euros.html.
2. Les facteurs de transformation du droit, Guy Canivet. Enjeux numériques, n° 3, septembre 2018.
3. Ibid.
4. Forum parlementaire de la legaltech, Table ronde n° 3 : Éthique et régulation (18 juin 2018). http://videos.senat.fr/video.702718_5b279a92a5b47.forum-parlementaire-de-la-legal-tech--apres-midi-?timecode=17789000.
5. Institut Montaigne, Justice : faites entrer le numérique, Rapport (novembre 2017).
6. Portalis : le ministère de la Justice présente le projet aux avocats, LJA (17 mars 2015). https://www.lja.fr/portalis-le-ministere-de-la-justice-presente-le-projet-aux-avocats.
7. B. Dondero, La justice prédictive, Le blog du professeur Bruno Dondero (10 février 2017). https://brunodondero.com/2017/02/10/la-justice-predictive.
8. A. Garapon, J. Lassègue, Justice digitale, Presses universitaires de France, 2018.
9. Discours de Bertrand Louvel lors du colloque
« La jurisprudence dans le mouvement de l’open data, 14 octobre 2016.
10. DLA Piper partners with Kira Systems to leverage artificial intelligence tool for M&A due diligence, DLA Piper Newsroom (14 juin 2016). https://www.dlapiper.com/en/us/news/2016/06/dla-piper-partners-with-kira-systems.
11. Flexible Lawyers, DLA Piper Publications (25 avril 2016). https://www.dlapiper.com/en/uk/insights/publications/2016/04/flexible-lawyers.
12. Lawyers on Demand data highlights surging flexible legal resourcing market, The Lawyer (12 février 2015). https://www.thelawyer.com/issues/online-february-2015/lawyers-on-demand-data-highlights-surging-flexible-legal-resourcing-market.
13. Steven B. Levy, Legal Project Management: Control Costs, Meet Schedules, Manage Risks, and Maintain Sanity, DayPack Books (2009).
14. Digitalisation de la fonction juridique : quelles priorités en 2018 ? PwC Société d’Avocats (31 mai 2018). https://www.pwcavocats.com/fr/assets/files/pdf/2018/05/pwc-etude-digitalisation-fonction-juridique.pdf.
15. Orange convertit ses juristes au digital, Les Echos Executives (2 mai 2016). https://business.lesechos.fr/directions-juridiques/droit-des-affaires/contrats-et-clauses/021874947620-orange-convertit-ses-juristes-au-digital-210074.php.
16. D. Remus, F. Levy, Can Robots Be Lawyers? Computers, Lawyers and the Practice of Law (11 décembre 2016). Accessible en anglais à l’adresse https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2701092.
17. R. Susskind, You have five years to reinvent the legal profession, The Law Society Gazette (27 avril 2016). https://www.lawgazette.co.uk/law/susskind-you-have-five-years-to-reinvent-the-legal-profession/5054990.article. Traduit de l’anglais : « It is not that there are no jobs in the future, but the 2020s will be a decade of redeployment, not unemployment. It is not an emergency but over the next five years we have to prepare. More and more legal services will be enabled by the support of new technology. »
18. Cette partie reprend des passages du thème « Économie collaborative » introduit dans le Guide du numérique 1.
19. La nécessaire transformation des cabinets d’avocats, Wolters Kluwer, LJA (2014). https://www.wkf.fr/media/pdf/La-necessaire-transformation-des-cabinets-d-avocats.pdf.