Les débats LJA - L’arbitrage international à l’ère post-Covid
Nouvelle version du règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (CCI), modification du règlement LCIA, adaptation des règles de l’IBA… Ces derniers mois ont été marqués par l’adoption de multiples réformes, parfois prévues de longue date ou en réaction à la crise sanitaire. Elles ont toutes des objectifs communs : numérisation des procédures, efficacité et transparence. De quoi opérer un changement de paradigme de l’arbitrage international. Qu’en pensent les praticiens ? Doit-on aller encore plus loin ?
Sébastien Bonnard, managing partner, Brown Rudnick, François Driesen, directeur juridique, risques et conformité international, EDF, Philippe Cavalieros, associé et responsable Arbitrage international, Simmons & Simmons, LLP, Eduardo Silva Romero, associé, Dechert, Gaëlle Filhol, managing partner, Betto Perben Pradel Filhol, Éric Amar, general counsel, Bolloré Transport & Logistics, Diana Bowman, responsable juridique, Vinci Energies International & Systems
Un mouvement global de réformes
Eduardo Silva Romero : Pour comprendre la décision des institutions d’adopter de nouvelles règles, il faut considérer l’arbitrage international dans son ensemble et notamment d’un point de vue historique. Plus que jamais, les praticiens se rendent compte que l’arbitrage international est fragile. Auparavant, notre attention première était la reconnaissance, par les États, de ce système de justice privée. Tel est aujourd’hui le cas dans la plupart des États. De nos jours, l’ambition est de gagner une certaine légitimité additionnelle à l’égard des usagers du système. Face aux critiques concernant l’efficacité, le coût, le temps et le manque de transparence du système, les institutions réagissent en adoptant de nouvelles dispositions dans les règlements. J’ajoute, qu’à l’époque où l’on cherchait la reconnaissance des États, peu d’institutions d’arbitrage avaient à traiter d’opérations à l’international. La CCI avait un quasi-monopole en la matière et la concurrence entre les institutions d’arbitrage n’était pas si importante. De nos jours, la concurrence qui existe les force à se mettre à jour à l’égard des différentes réformes qui sont en général inspirées par des soucis d’efficacité, de transparence et également d’éthique pour répondre aux préoccupations mentionnées précédemment.
Philippe Cavalieros : Les institutions doivent se mettre à jour en permanence pour préserver ou accroître leur attractivité. Désormais, il existe une véritable concurrence entre elles, y compris entre les institutions traditionnellement perçues comme régionales qui cherchent à avoir une portée internationale. La pandémie a été, pour l’arbitrage, comme pour tous les pans de la société, un accélérateur formidable du changement de nos modes de fonctionnement et de travail. Les institutions cherchent, par tous moyens, à coller à cette nouvelle réalité et font chacune preuve d’une réactivité assez extraordinaire. La CCI a été la première à réagir, quelques semaines à peine après l’officialisation de la pandémie et l’annonce du confinement en France. Elle a en effet édité une note spécifiquement destinée à la question de la gestion de ce nouvel état de fait.
La simplification de la procédure pour les litiges à moins de 3 M$
Diana Bowman : Ces réformes sont intervenues pour légitimer les institutions et surtout pour les rendre plus attractives face à une concurrence internationale croissante. Il est heureux de voir que la CCI, qui jouit d’une réputation aussi excellente que méritée, fasse l’effort de se remettre en question, notamment sur les problématiques d’efficacité et de transparence. Nous sommes tous convaincus, autour de cette table, que l’arbitrage est une solution essentielle de règlement des différends. Mais, en entreprise, face à un opérationnel, il est parfois difficile de justifier de tels coûts. Désormais, l’application par défaut de la procédure accélérée à la CCI, en cas de différend d’un montant inférieur à 3 M$ et l’encadrement inhérent (arbitre unique, calendrier procédural raccourci, etc.), va les rassurer. L’évolution de la procédure accélérée va donc dans le bon sens.
François Driesen : La simplification de la procédure pour les litiges de moins de 3 M$ présente de multiples avantages au niveau de la négociation contractuelle. Elle va permettre de développer le recours à l’arbitrage pour des contrats de moindre importance, ce qui était difficile précédemment à cause de l’argument du coût.
Sébastien Bonnard : La procédure accélérée est une importante avancée. Avant, pour les entreprises, le recours à l’arbitrage CCI était coûteux pour des petits ou moyens litiges. Et même dans le cadre d’importants contrats générant a priori de gros litiges, il pouvait survenir des petits litiges annexes en cours d’exécution et l’arbitrage CCI demeurait relativement coûteux pour ces litiges. Ainsi, une clause CCI pouvait être justifiée en raison d’enjeux importants. Elle l’était moins lorsque les enjeux étaient inférieurs. La procédure accélérée permet de concilier ces deux mondes, en rendant plus accessible l’arbitrage CCI, quel que soit l’enjeu du litige.
La procédure accélérée apporte un cadre dans lequel les arbitres et conseils sont obligés de s’inscrire. Il contraint à des calendriers resserrés et surtout, depuis la pandémie et le recours à la vidéoconférence, donne la possibilité de tenir une audience, même si celle-ci est virtuelle, avec plaidoiries et auditions de témoins et d’experts. Dans l’ancien monde, la difficulté était de devoir potentiellement renoncer à une audience physique parce que l’enjeu du litige ne justifiait pas que les parties et conseils situés sur des continents différents se retrouvent physiquement en un même lieu.
Le retour des clients est positif puisqu’ils réintègrent, par exemple, dans des conditions générales, des clauses CCI, là où ils les avaient exclues précédemment.
Éric Amar : Lorsque l’on peut maîtriser sa stratégie contentieuse, c’est-à-dire lorsque la négociation contractuelle a pu être menée à son terme avec des rapports de force à peu près équilibrés entre les parties, je pense que l’arbitrage international est réservé à des gros dossiers. En général, je déconseille le recours à l’arbitrage pour des litiges inférieurs à 10 M€. Pour moins de 3 M€, il faut une procédure spécifique. J’ai une méfiance vis-à-vis des procédures longues et coûteuses et, c’est pourquoi, je tiens également à rappeler l’intérêt de la médiation. J’ai eu à traiter de plusieurs dossiers de médiation et dans les litiges où les parties ont envie de s’entendre, c’est une procédure très efficace.
Le développement de la visioconférence
François Driesen : Je considère qu’il y a de nombreux aspects positifs liés au développement de la vidéoconférence. Nous envisageons de l’insérer systématiquement dans nos clauses d’arbitrage. Lorsque l’on négocie une clause d’arbitrage dans un contrat international, l’un des grands débats porte sur le siège. Or se mettre d’accord sur un siège neutre situé dans une juridiction favorable à l’arbitrage peut se heurter à un problème de distanciation géographique des parties ou de lieu d’exécution du contrat et ainsi soulever des arguments liés au coût. Nous avions développé une pratique qui consistait à proposer de localiser le siège dans une juridiction favorable à l’arbitrage et de prévoir de tenir les auditions dans un autre État, tel que celui de l’exécution du contrat. Le fait de pouvoir directement insérer des clauses indiquant que le siège se situera dans un État et que les auditions se feront à distance, par visioconférence, permet de limiter les coûts et devrait faciliter le choix du siège de l’arbitrage.
Éric Amar : L’arbitrage dépend directement des rapports de force créés au moment de la négociation du contrat. La langue, le siège et le choix de l’institution dépendent directement de ce qui a été négocié en amont. Ces réformes me paraissent assez théoriques car il est illusoire de penser que la partie faible puisse faire du forum shopping librement. Elle se fait assez souvent imposer un certain type de clause compromissoire. La négociation contractuelle est la base de l’arbitrage. En tant qu’homme d’entreprise, les raisons pour lesquelles le contrat n’a pas fonctionné m’intéressent beaucoup plus que toutes les questions procédurales qui se poseront, car je m’appuie sur des avocats en qui j’ai toute confiance. Notre maître mot est le pragmatisme. Nous prenons les événements comme ils arrivent et nous nous y adaptons.
Sébastien Bonnard : Avec la vidéoconférence et sa généralisation de facto du fait de la pandémie, l’arbitrage a montré qu’il était capable de s’adapter aux circonstances et de continuer à fonctionner de manière efficace. Les audiences qui se sont tenues par visioconférence avec un partage de documents ont démontré que l’interaction entre les arbitres et les conseils fonctionnaient bien. Le retour de nos clients est positif.
Gaëlle Filhol : En tant qu’arbitre, du point de vue de l’efficacité, l’intérêt des audiences virtuelles est évident, surtout dans les circonstances actuelles où tant de procédures auraient pu être considérablement ralenties, faute de pouvoir tenir une audience. L’audience virtuelle offre également une interaction différente, et parfois très intéressante, non seulement avec les conseils, mais aussi avec les témoins, que l’on voit extrêmement bien et qui vont généralement faire attention à ne pas s’interrompre. De ce point de vue, la journée d’audience est très efficace.
Je persiste cependant à préférer les audiences en présentiel lorsque cela est possible. Il se joue parfois dans la salle d’audience autre chose que ce que l’on peut capter par écrans interposés.
François Driesen : Les audiences par visioconférence sont nettement plus aisées à suivre pour le client qui, dans une salle, n’est pas toujours bien placé. La visioconférence permet de voir directement à l’écran les pièces auxquelles il est fait référence durant le contre-interrogatoire, ainsi que le témoin, les arbitres et les avocats. Dans la salle, ce n’est pas le cas. La vidéo permet en outre la participation d’un plus grand nombre de personnes intéressées chez le client d’assister à une ou plusieurs séances de l’audition. Dans la dernière audition à laquelle j’ai assisté, les parties, arbitres, avocats et témoins étaient répartis entre la côte Est des États-Unis, l’Europe, Singapour et l’Australie. En raison du décalage horaire et du recours à la vidéoconférence, la durée des audiences était limitée à sept heures par jour, le processus était bien encadré et concentré sur l’essentiel, donc certainement plus efficace et pour un moindre coût, que dans le cadre d’audiences physiques. J’ajouterais que la dématérialisation facilite la constitution de l’équipe des conseils en ayant recours aux meilleurs profils d’avocats, sans impact coût lié à leur localisation géographique. Réjouissons-nous enfin de la modification du règlement d’arbitrage CCI notamment, qui prévoit désormais par défaut l’envoi électronique des mémoires et des pièces, permettant ainsi un gain de temps, des économies et évite des impressions inutiles.
Philippe Cavalieros : J’anticipe, pour ma part, le développement de formats hybrides d’audience. Certaines parties, qui le peuvent ou qui y sont très attachées, souhaiteront se réunir physiquement. Mais le tribunal arbitral, ayant constaté que la vidéoconférence est efficace en pratique, acceptera bien volontiers que des témoins interviennent depuis le bout du monde. J’ai aussi vécu une forme d’audience hybride où les parties étaient dans la même salle, avec les témoins, et l’arbitre était à l’étranger face à son écran. Je préside une audience physique prochainement dans laquelle certains témoins seront interrogés par visioconférence quand d’autres seront sur place. L’arbitrage est souple par essence. Nous nous adapterons encore plus aux exigences des uns et des autres grâce à la technologie.
Éric Amar : Qu’il s’agisse d’arbitrage, de sujets commerciaux ou même de management interne à l’entreprise, tout se fait aujourd’hui par visioconférence et nous nous adaptons. L’année qui vient de se dérouler témoigne de notre profonde capacité à appréhender le changement. En arbitrage, c’est peut-être plus difficile, mais rien n’est impossible. J’y vois beaucoup d’effets positifs, même si je préfère, moi aussi, les audiences physiques.
L’impact de la numérisation sur la phase de production de documents
Sébastien Bonnard : La digitalisation a parfois l’effet inverse de l’efficacité recherchée. Au début du dossier, le client remet l’ensemble des documents pertinents à son avocat. Du fait de la multiplication des échanges électroniques, de la digitalisation et du stockage systématique des données, ces documents sont parfois particulièrement volumineux et ne peuvent plus être revus manuellement par les avocats, ce qui oblige à recourir au service d’un prestataire extérieur pour constituer une base de données et pouvoir, suivant des mots-clés, aller chercher l’information et identifier les documents pertinents. Ces outils facilitent indéniablement la recherche, mais ils donnent aussi accès à une masse d’informations, notamment internes, dont l’intérêt s’avère in fine assez limité. Cette question devient problématique en matière de procédure de production de documents. Les tribunaux arbitraux ont toujours opéré une synthèse entre les procédures de common law et celles de droit continental, et rejettent les demandes de productions qui constituent des fishing expedition et dont la production représente un fardeau excessif pour l’autre partie. Aujourd’hui, cette notion de fardeau excessif devient très relative du fait de la digitalisation et de l’accès facilité aux documents qu’elle permet. Les tribunaux arbitraux doivent donc demeurer particulièrement vigilants et inciter les parties à formuler des demandes spécifiques et limitées, au besoin par mots-clés.
Gaëlle Filhol : Je partage votre opinion. En y associant ce que l’on appelle le due process paranoïa, à savoir l’inquiétude croissante – parfois légitime, au regard de l’augmentation des recours en annulation – des tribunaux arbitraux de se voir reprocher d’avoir méconnu le principe du contradictoire, les phases de production de documents peuvent parfois être d’un intérêt limité et particulièrement chronophages. C’est aussi et surtout l’engagement de coûts supplémentaires pour faire procéder à des recherches informatiques très poussées par des entreprises spécialisées, ce qui va à l’encontre du but recherché par cette modernisation des règles d’arbitrage. La recherche d’une excessive efficacité peut parfois freiner l’objectif de transparence et de respect du contradictoire.
Diana Bowman : Particulièrement dans le secteur de la construction dans lequel je travaille, les projets peuvent être générateurs de très nombreux documents (plannings, études, etc.). Si le tribunal arbitral n’exerce pas assez de contrôle des demandes trop générales, les parties peuvent se trouver obligées de rechercher et de produire des centaines de documents qui sont finalement peu pertinents – et parfois peu compréhensibles pour des non-ingénieurs !
Éric Amar : J’ai tendance à relativiser ce problème. À l’instar de tous les effets des évolutions technologiques, les parties vont s’adapter.
Une transparence accrue
Eduardo Silva Romero : L’arbitrage international présentait auparavant l’avantage de la confidentialité. À notre époque, l’idéologie de la transparence s’est imposée dans tous les domaines, y compris dans celui de l’arbitrage international. Et l’adoption de ces nouvelles règles par les différents règlements des institutions témoigne de la volonté de renforcer cette transparence. Dans celui de la CCI, deux règles sont intéressantes à mentionner. La première, c’est l’obligation des parties de révéler l’existence d’un tiers financeur. Ce type de relations restait auparavant caché, ce qui pouvait engendrer des questions, notamment éthiques, sur l’indépendance des arbitres dans l’hypothèse où l’un d’entre eux avait une relation avec le tiers financeur. Désormais, lorsque l’une des parties indique qu’elle fait appel à un tiers financeur, les arbitres peuvent faire les vérifications nécessaires pour garantir leur indépendance. Deuxième modification à noter, c’est que si l’une des parties modifie son équipe d’avocats, elle doit le révéler pour que les arbitres puissent également vérifier les conflits d’intérêts potentiels. Troisièmement, mais celle-ci n’est pas encore une règle du système, la CCI a décidé de publier les sentences, uniquement si les parties donnent leur accord. De nombreux problèmes se posent sur ce sujet.
Philippe Cavalieros : La CCI a été moteur en matière de transparence depuis au moins deux mandatures, avec plusieurs réformes significatives. Je pense en particulier à la publication du nom des arbitres sur le site internet de l’institution, ainsi qu’à la communication d’un certain nombre de décisions procédurales de la Cour internationale d’arbitrage, à la demande des parties. Mais une autre réforme a été adoptée, à mon sens, de manière un peu rapide et surtout sans véritable débat public avec les entreprises : celle de la publication des sentences. À plusieurs reprises au cours de la procédure, la CCI informe désormais les parties que la sentence sera publiée, à moins que l’une d’entre elles objecte. Fort heureusement, il est facile d’objecter donc la question devrait être résolue rapidement. Néanmoins, c’est un changement fondamental de paradigme qui, à mon sens, dénature la perception des utilisateurs en matière de confidentialité de l’arbitrage. Rappelons que les études d’opinions révèlent chaque année que les parties sont très attachées à la confidentialité. Cette réforme porte en elle les germes de certains effets pervers. Les conseils feront, comme sur le modèle de l’arbitrage d’investissement, une due diligence accrue sur les arbitres en lisant leurs sentences publiées – ce qui va d’autant rallonger et complexifier cette phase et se traduire en coûts supplémentaires. Ils chercheront forcément un arbitre dont ils estimeront qu’il privilégiera les théories juridiques soulevées dans l’intérêt de leurs clients. Inversement, celui-ci se sentira peut-être lié par ses précédents écrits… C’est en définitive, une accumulation de considérations qui amoindriront l’efficacité de l’arbitrage en le rendant plus rigide alors qu’il était précisément choisi pour son adaptabilité à la réalité des affaires.
Je pense que cette nouvelle politique en matière de publication des sentences va engendrer des objections quasi-systématiques à la publication et une augmentation des clauses de confidentialité dans les contrats. Alors que les premières publications devaient avoir lieu le 1er avril 2021, la CCI a d’ailleurs annoncé un report pour cause d’objection des parties. J’anticipe donc relativement peu de sentences publiées. Il y a vingt ans, j’avais soutenu que la confidentialité de l’arbitrage était un usage du commerce international. Aujourd’hui, en réaction à ce principe de publication, la pratique va peut-être confirmer mon intuition.
Diana Bowman : De manière générale, les juristes d’entreprise savent très bien que la confidentialité n’est jamais garantie, ni dans les règlements des institutions, ni dans les droits nationaux. Il convient donc de prévoir une clause en ce sens lors de la négociation du contrat. Ensuite, si les parties ont la possibilité de s’opposer à la publication des sentences proposée par la CCI, en pratique, il y a des fortes chances qu’elles s’y opposent même en l’absence d’une telle clause. La confidentialité demeure, après tout, indispensable et nécessaire.
Eduardo Silva Romero : Cette tendance à la transparence dans la publication des sentences d’arbitrage qu’il soit contractuel, commercial ou international, est le résultat de la mauvaise influence de l’arbitrage d’investissement. Dans ce domaine, la question est controversée puisque les États sont parties à la procédure et la transparence est donc justifiée par des questions d’intérêt public.
François Driesen : Si les arbitres sont réputés dans le microcosme des professionnels de l’arbitrage, je ne suis pas sûr que la lecture des sentences rendues par des tribunaux composés de trois arbitres soit forcément aussi déterminante pour le choix d’un arbitre. J’entends l’argument d’une meilleure rédaction des sentences, mais prévoir la non-publication des sentences me semble essentiel pour protéger l’intérêt de l’entreprise. Rappelons que la confidentialité est le troisième pilier de l’arbitrage.
Gaëlle Filhol : En pratique, il est rare que les parties approuvent une telle publication, même lorsque la sentence leur est favorable. On peut effectivement se demander si le nombre de sentences publiées augmentera significativement.
Eduardo Silva Romero : Pourquoi faire grand cas de la question de la publication des sentences ? On a toujours publié des sentences arbitrales, notamment la CCI. La règle était de publier les sentences sans les noms des parties, précisément pour permettre leur consultation, leur utilisation et pour créer des arguments. Ces sentences anonymisées et purgées des détails précis des affaires étaient publiées dans plusieurs revues juridiques françaises et aussi à l’étranger. Le vrai problème, à mon sens, est de savoir qui a rendu les sentences. Il serait bien sûr utile de pouvoir analyser si l’arbitre applique le contrat tel qu’il est, ou bien le principe de bonne foi… Je pense cependant que c’est un mauvais chemin qui risque d’engendrer plus d’incidents dans les procédures, que d’avantages permettant de renforcer le système.
Éric Amar : J’ai recours à l’arbitrage en grande partie parce que c’est un mode de règlement confidentiel. La tendance de la transparence me paraît, de ce fait, compliquée à accepter du fait de l’essence même de l’arbitrage. J’oppose de manière très ferme la transparence avec une valeur importante et encore trop méconnue, celle du secret des affaires. Ce secret des affaires fait partie du patrimoine des entreprises et est essentiel, bien sûr pour des groupes dans le domaine technologique qui ont des projets, mais aussi pour les entreprises de services. Il faut être intransigeant sur sa protection.
Or par le biais d’atteintes à la confidentialité, on impacte une partie du secret des affaires. Pourquoi entériner un raisonnement visant à présupposer que tout ce qui est confidentiel est suspect, malhonnête, voire illégal ? La confidentialité ne cache pas de turpitudes. Elle protège un secret d’affaires qui est un actif de l’entreprise, au même titre qu’une entreprise ou une usine. Il faut se battre dans tous les domaines, y compris dans celui de l’arbitrage pour maintenir cette confidentialité. Une legaltech – dont je tairais le nom – cherche en ce moment à me vendre un produit avec lequel j’aurais une vue directe sur les décisions de justice « et autres », rendues contre mon concurrent ou à propos de mon concurrent. Cela m’inquiète.
Gaëlle Filhol : Les entreprises industrielles veulent s’assurer que leurs secrets d’affaires seront protégés en toute circonstance, et notamment dans le cadre des phases de production de documents que nous avons évoquées, ainsi que durant d’autres phases d’incidents. Il ne faut pas donner à une partie l’opportunité d’adopter une stratégie permettant de capter les secrets et le savoir-faire de l’autre. Il y a un équilibre à trouver ici.
Eduardo Silva Romero : La transparence dans la publication des sentences a été présentée comme un besoin pour renforcer la légitimité de l’arbitrage. Mais celle-ci doit être considérée par rapport aux usagers. Il semblerait que les usagers du système ne veulent pas l’imposition de cette transparence et chérissent la confidentialité de la procédure arbitrale. Il n’y aura pas de difficultés à ce que les industriels conservent la confidentialité des procédures. Il est possible de renforcer leur efficacité et l’éthique tout en préservant l’avantage de la confidentialité de l’arbitrage international.