Les saisies de l’Autorité de la concurrence plus protectrices des droits de la défense que les saisies pénales
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1343 du 26 mars 2018
Par Antoine Chatain, associé et Maud Picquet, avocate, cabinet Chatain & Associés
Les e-mails internes à l’entreprise reprenant la stratégie de défense établie par l’avocat d’une entreprise soupçonnée de pratiques anticoncurrentielles bénéficient du secret professionnel, peu important que l’avocat n’en soit ni l’expéditeur ni le destinataire.
Le 8 novembre 2017 (n° 14/13384), le Premier Président de la cour d’appel de Paris a annulé la saisie d’e-mails internes à une entreprise pratiquée par l’ADLC (autorité de la concurrence) sur le fondement d’une ordonnance du JLD, au motif que ces e-mails portaient atteinte au secret professionnel et aux droits de la défense, en ce qu’ils reprenaient une stratégie de défense élaborée par l’avocat de l’entreprise saisie.
Cette décision étend la portée du secret des correspondances entre l’avocat et son client aux e-mails échangés au sein d’une entreprise, dès lors qu’ils reprennent la stratégie de défense de l’avocat de cette dernière. Le bénéfice de la protection n’est ainsi plus exclusivement lié à la qualité de l’expéditeur ou du destinataire de la correspondance. Il convient désormais d’analyser concrètement son contenu pour déterminer si elle bénéficie du privilège légal.
La protection des droits de la défense des personnes suspectées de pratiques anticoncurrentielles s’en trouve renforcée. Elle est également plus conforme à la réalité des relations existant entre une entreprise et son avocat, tant il est vrai que l’information délivrée par l’avocat circule au sein de l’entreprise et que cette dernière attend de son avocat qu’il anticipe sa défense.
À cet égard, notons qu’afin d’accorder le bénéfice de la protection, le Premier Président a relevé que la saisie intervenait à la suite de saisies pratiquées chez des entreprises concurrentes et que l’entreprise concernée « s’attendait à être visitée et a anticipé la préparation de sa défense ». La protection n’aurait probablement pas été accordée si la stratégie de défense avait été établie, en l’absence de saisie préalable ou de lien entre les saisies. Si l’avocat anticipe trop la défense de son client et que la stratégie établie circule au sein de l’entreprise, le bénéfice du secret en cas de saisie pourrait ainsi être écarté.
Ajoutons que si la décision commentée élargit le champ d’application du secret professionnel, elle maintient la sanction dans les limites précédemment fixées, de sorte qu’en cas de violation, seule la saisie de l’e-mail concerné est annulée. La saisie des autres documents n’encourt pas l’annulation, alors qu’il est probable que l’analyse de la stratégie de défense de l’avocat ait aiguillé l’ADLC dans les saisies pratiquées postérieurement.
L’avocat pénaliste constate fréquemment la présence d’e-mails portant atteinte au secret professionnel, dont la découverte a manifestement aidé les enquêteurs à construire leur dossier, sans que la saisie des éléments identifiés grâce à cette découverte puisse être annulée. Or, contrairement aux saisies pratiquées par l’ADLC, les saisies pénales ne peuvent pas être immédiatement contestées devant le juge et sont réalisées, sans que l’entreprise saisie n’ait le droit d’être assistée de son avocat.
L’effectivité des droits de la défense imposerait que le droit des saisies pénales soit aussi protecteur que celui des saisies de l’ADLC et que l’entreprise soupçonnée d’un délit ait ainsi le droit d’être assistée de son avocat lors des saisies, dispose d’un recours immédiat devant le juge pour les contester et que le bénéfice du secret professionnel soit également accordé par le juge pénal aux e-mails internes reprenant la stratégie de défense de l’avocat.