Le casier judiciaire des personnes morales : un document stratégique mais difficilement accessible
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires N°1333 du 15 janvier 2018
Par Rémi Lorrain & Christophe Ingrain, Avocats à la Cour, Darrois Villey Maillot Brochier
Entre 2000 et 2015, le nombre de condamnations des personnes morales est passé de 200 à 5 000, soit une augmentation de 2 500 % (infostat justice, août 2017, n° 154). Dans un tel contexte de pénalisation de la vie de l’entreprise, connaître le passé pénal de celle-ci parait indispensable aux dirigeants afin d’anticiper le risque de récidive ou d’éviter la délivrance de fausses attestations sur l’honneur (dans le cadre de due diligences de type « Sapin II » imposées par son co-contractant avant d’entrer en relation d’affaires par exemple).
Malheureusement, si la plupart des dirigeants sociaux savent que les personnes morales disposent d’un casier judiciaire, l’accès à ce document apparaît encore très compliqué.
Censé permettre le suivi des condamnations, le casier judiciaire est un service de la Chancellerie situé à Nantes. Deux bulletins existent pour les personnes morales : le bulletin n° 1, délivré aux seules autorités judiciaires, qui comprend l’ensemble des condamnations et déclarations de culpabilité (sauf les condamnations aux amendes des quatre premières classes) et le bulletin n° 2, délivré à de nombreuses administrations ou personnes (AMF en cas de demande d’admission de titres financiers aux négociations sur un marché réglementé, collectivités locales dans le cadre d’adjudications de marchés publics, président du tribunal de commerce en cas de redressement ou liquidation judiciaire, etc.). Sont exclues du bulletin n° 2, notamment, les condamnations pour contraventions de police, les amendes inférieures à 30 000 euros, les condamnations dont la mention a été expressément exclue par le juge, etc.
L’une des différences majeures avec les personnes physiques est qu’il n’existe pas de bulletin n° 3 pour les personnes morales. Autrement dit, il est impossible pour une personne morale de se faire délivrer un extrait de son propre casier judiciaire. La difficulté est importante car la personne morale ne détient pas toujours les données relatives à son passé pénal, notamment lorsque les dirigeants et/ou directeurs juridiques se sont succédés au sein de l’entreprise, engendrant parfois une « amnésie » pénale au sein de celle-ci.
La seule possibilité pour le représentant légal de connaître le passé pénal de son entreprise est donc de former une requête, sur le fondement de l’article 777-2 du Code de procédure pénale, au procureur de la République du tribunal dans le ressort duquel l’entreprise a son siège social. S’il y est fait droit, le procureur de la République fera alors une simple lecture orale du casier judiciaire au représentant légal, sans lui délivrer d’écrit.
Alors que le contexte législatif et règlementaire actuel invite les dirigeants à identifier les risques au sein de leurs entreprises et à connaître les antécédents de celles-ci (par exemple pour corruption ou trafic d’influence), l’accès à ces informations demeure encore complexe. Les occasions de demander cet accès ne manquent pourtant pas. Dans le cadre d’une cession par exemple, ce document peut également être stratégique puisque le cessionnaire doit connaître, avec exhaustivité, le passé pénal de la société dont il acquiert les titres.
Une réforme apparaît indispensable afin d’en faciliter l’accès et la délivrance. Si une réforme intervenait en ce domaine, il serait également pertinent – comme l’ANSA le préconisait dès 1994 – de prévoir une réhabilitation automatique en cas de changement de contrôle de la personne morale concernée, car s’il s’agit toujours de la même personne, il ne s’agit plus véritablement de la même personnalité.