Le droit de la preuve face aux nouvelles technologies : l’exemple de la signature électronique
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1358 du 09 juillet 2018
Par Pierre Sirot, associé de Racine Nantes, en collaboration avec Nicolas English*
L’un des emblèmes du droit de la preuve, la signature manuscrite, est concurrencé depuis plusieurs années par l’émergence de procédés de signature électronique. Cette coexistence entre ces deux modes de preuve du consentement, dont l’équivalence juridique est érigée au rang de principe à l’article 1366 du Code civil, est une manifestation parmi d’autres de la transformation numérique en cours.
Une telle évolution, qui bouleverse en profondeur la conception classique de la signature, engendre, toutefois, un certain nombre d’interrogations, voire de doutes. En effet, tant la question de la fiabilité de cette innovation technologique que celle de sa mise en œuvre par la pratique, méritent d’être posées. À cet égard, si l’encadrement juridique de la signature électronique trouve son origine dans le droit communautaire, à savoir la directive 1999/93 du 13 décembre 1999, par la suite transposée par le législateur français, l’Union européenne a souhaité adapter aux attentes des acteurs économiques la réglementation technique qui s’y attache, en corriger les lacunes, tout en harmonisant les différentes législations nationales sur le sujet. Pour ce faire, elle a adopté, le 23 juillet 2014, le règlement 910/2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur (ou e-IDAS), directement applicable au sein des États membres depuis son entrée en vigueur à compter du 1er juillet 2016. La signature électronique est désormais scindée en trois niveaux de sécurité. Un tel procédé peut, ainsi, être qualifiée de simple, d’avancé ou de qualifié, ce qui lui permet, dans ce dernier cas, de bénéficier d’une présomption simple de fiabilité. Mais, en dépit de cette consécration juridique, la question de la réception par les juges de cette innovation technologique subsistait, dans la mesure où une juridiction de première instance, dans une décision du 12 décembre 2011, a écarté la preuve d’un avenant à un contrat de crédit renouvelable mettant en jeu une signature électronique simple.
Ce jugement, largement critiqué par la doctrine, a toutefois été rapidement infirmé par la cour d’appel compétente, rassurant les professionnels quant à l’efficacité juridique attachée à la signature électronique. Plus globalement, la jurisprudence en la matière s’avère accueillante, ce qui sonne comme un encouragement à poursuivre la mise en œuvre de cette technologie. Une position différente serait regrettable, dans la mesure où la signature électronique voit son utilisation se développer dans de très nombreux domaines, parfois en marge du droit positif actuel. En effet, ses applications recouvrent un spectre extrêmement large, allant de la passation de marchés publics au droit fiscal, en passant par le droit des sociétés. En outre, une ordonnance n°2017-1433 du 4 octobre 2017 entérine son recours pour les contrats relatifs aux opérations de banque, de crédit à la consommation et de crédit immobilier, ainsi que d’assurances terrestres. Enfin, bien que la législation en la matière soit encore lacunaire, son usage dans le cadre de la blockchain se révèle particulièrement prometteur. Par ailleurs, l’économie autour de ce marché est en plein essor, et compte de nombreuses start-up françaises dynamiques et innovantes. La signature électronique n’a, par conséquent, pas encore terminé de faire parler d’elle. ■
*Étudiant en Master II, Faculté de Nantes
Notes
(1) CA, Nancy, 2e Chambre civile, Arrêt n°442/12 du 14 février 2013, Répertoire général n°12/01383