Table ronde - Lutte anti-corruption : Comment s'améliorer ?
La lutte anti-corruption est un des points d’attention majeurs des entreprises françaises depuis une dizaine d’années. En décembre 2017, l’Agence française anti-corruption (AFA) publiait ses premières recommandations destinées à aider les entreprises à mettre en œuvre un dispositif de prévention et de détection de la corruption. Trois ans après, Charles Duchaine, le directeur de l’agence, explique que « les entreprises ont le sentiment de bien connaître les infractions de corruption et 70 % d’entre elles ont mis en place un dispositif de prévention ». Mais il juge que « ces derniers restent trop lacunaires sur les cartographies des risques et l’évaluation de tiers ». En outre, « le positionnement du responsable de la conformité mériterait d’être renforcé ». Autant de pistes de réflexions pour les spécialistes de la matière.
Avec : Jan Dunin-Wasowicz, avocat, cabinet Hughes Hubbard & Reed, Marc Jany, VP Global Head of Business Ethics and Compliance, Dassault Systèmes, Besma Boumaza, Group General Counsel, Board Secretary, AccorHotels, Ludovic Malgrain, associé, cabinet White & Case et Patrice Grenier, associé, cabinet Grenier Avocats.
L’évolution de l’approche de la compliance depuis dix ans
Marc Jany, VP Global Head of Business Ethics and Compliance, Dassault Systèmes : Depuis une dizaine d’années, l’appréhension de la lutte contre la corruption a bien changé. Les dispositifs de compliance ont été considérablement renforcés au sein des entreprises, avec un véritable tournant grâce à la loi Sapin II. N’oublions pas que les entreprises internationales étaient auparavant soumises aux règles américaines et anglaises. De ce fait, elles étaient plus aguerries aux dispositifs de lutte contre la corruption que les entreprises françaises qui n’intervenaient que sur le seul marché domestique. La différence de l’appréhension de la compliance et de la maturité des programmes mis en œuvre s’explique à l’aune de ces expériences. La loi Sapin II a contraint l’ensemble des entreprises d’une certaine taille à se mettre en ordre de marche et a donc concouru à une évolution quasi systématique en France de l’importance des programmes de compliance.
Besma Boumaza, Group General Counsel, Board Secretary, AccorHotels : Même si les entreprises étaient soumises aux sanctions des autorités américaines et donc devaient accorder de l’importance à la compliance, la loi Sapin II les a obligés à structurer les programmes de lutte anti-corruption au niveau mondial. Cette loi a des exigences assez précises en termes de compliance, avec des contrôles potentiels à la clé. Les groupes ont donc évolué vers de plus en plus de formalisme et d’organisation, davantage de documentation…
Patrice Grenier, associé, cabinet Grenier Avocats : La phase de formalisme des procédures est largement avancée au sein des entreprises. Nous sommes aujourd’hui dans une phase de déploiement qui nécessite à la fois le positionnement de la fonction compliance au sein du groupe et, d’autre part, de faire vivre ces procédures, d’animer des groupes de travail, de faire des audits, des enquêtes lorsqu’il y a des signalements… Tout un ensemble de choses lourdes à porter et qui nécessitent une importante interaction au sein de l’entreprise. Ces contraintes sont encore plus grandes pour les groupes internationaux.
> Jan Dunin-Wasowicz, avocat, cabinet Hughes Hubbard & Reed
L’impact de la crise sanitaire et économique actuelle sur la compliance
Marc Jany : Dassault Systèmes est une entreprise qui aime les process. C’est dans notre ADN. Or je ne vois pas nécessairement une contradiction entre la crise du Covid et le déploiement d’un système de compliance qui nécessite plusieurs années. Nous avons créé un groupe de compliance ambassadors, 35 personnes issues des sphères juridique, RH et des achats, qui sont des relais pour permettre un déploiement régional et par fonction. Il y a différents moyens pour essaimer et élargir la lutte anti-corruption à la compliance, c’est-à-dire l’insérer dans d’autres réglementations comme la RSE, le développement durable. Parfois, je regrette que Sapin II se réduise à l’anti-corruption, car dans les messages et dans la transformation d’une culture, il faut être large et aller sur les terrains de l’éthique, de l’image de l’entreprise, de ses valeurs.
Je ne pense donc pas que la crise sanitaire soit un frein, hormis le fait bien sûr que l’on soit tous en télétravail et que, par exemple, la mise à jour de la cartographie des risques doive en tenir compte. Un certain nombre d’entretiens additionnels ont été lancés à la suite de la dernière décision de la commission des sanctions qui a préconisé d’interroger davantage d’opérationnels. Mais même pour cela, le télétravail n’a pas été un frein. Au contraire, les salariés étaient plus disponibles. Bien sûr il y a moins de réunions, un peu moins de formations en présentiel. Or rien ne vaut une salle remplie d’opérationnels où vous présentez un programme avec des exemples sur lesquels chacun peut rebondir et partage du vécu.
Patrice Grenier : Bien sûr la pandémie a nécessité des transformations organisationnelles de travail et de comportements, mais les salariés étaient également plus disponibles et donc certains aspects de la compliance ont pu plus avancer, notamment les entretiens.
D’autres aspects ont néanmoins été rendus très difficiles. J’ai notamment suivi un audit de compliance qui a été délicat à cause de l’interdiction des déplacements à l’étranger. Et de fait, la période Covid a conduit à des tensions car le dirigeant avait l’impression que la partie compliance constituait une sorte de ralentissement pour mener l’opération.
Besma Boumaza : Le contexte actuel de crise économique liée à la pandémie créé beaucoup d’affolement au sein des entreprises avec la nécessite impérieuse de maintenir coûte que coûte des contrats, ce qui peut être propice au développement de la corruption, comme l’ont d’ailleurs rappelé récemment les lignes directrices du GRECO. Ce n’est évidemment pas le meilleur moment pour avancer sereinement sur nos programmes de lutte anti-corruption. Dans l’exemple de l’hôtellerie, qui est un secteur particulièrement touché par cette crise, la majorité des salariés est en chômage partiel, des hôtels sont fermés… Nous avons donc été contraints de revoir notre plan de communication en matière de compliance, car le deuxième trimestre n’était évidemment pas propice à sa diffusion. Ce qui ne signifie pas pour autant que le déploiement du programme de lutte anti-corruption ne continue pas, que les messages ne sont pas passés aux bonnes personnes et que nous ne communiquons sur les points de vigilances, mais soyons honnêtes, dans un groupe très affecté par ce contexte sanitaire, il est difficile de faire du programme une priorité. Nous avons donc pris un peu de retard sur notre calendrier.
Ludovic Malgrain, associé, cabinet White & Case : Cette crise sanitaire et ses conséquences, notamment sur le télétravail, ont pu faire naître des flottements en ce qui concerne le respect des procédures de compliance, souvent justifiées par les décisions à prendre à court terme. Mais ce temps est fini. Désormais, il faut considérer comme acquise la possibilité pour une entreprise de devoir faire face à ce type d’évènement et prendre toutes les mesures pour éviter les risques. Le contournement des procédures a pu générer une menace et l’AFA va s’attendre à ce que, de façon très proactive, la fonction conformité ait tiré des leçons de ces dysfonctionnements.
> Marc Jany, VP Global Head of Business Ethics and Compliance, Dassault Systèmes
Patrice Grenier : Ce contexte sanitaire fait peser un double risque. D’abord sur la fonction compliance en elle-même, qui prenait de l’ampleur au sein de l’entreprise, une assise et une forme de pouvoir, qui peut être momentanément remise en question dans sa primauté. Et parallèlement les contraintes matérielles, l’impossibilité de se déplacer ou la difficulté de joindre tous les interlocuteurs pour les plans de déploiement, et plus particulièrement pour la cartographie des risques, crée une fragilisation de la fonction compliance qui doit ajuster son plan d’action de 2020-2021.
Jan Dunin-Wasowicz, avocat, cabinet Hughes Hubbard & Reed : Avant de devoir gérer le problème posé par la crise sanitaire et la crise économique qui en découle, les entreprises internationales ont dû s’adapter à un environnement multi-juridictionnel de conformité composé d’une pluralité d’acteurs. Ce nouveau contexte a impliqué des ajustements aux programmes pour, tout en reflétant les convergences, mieux répondre aux attentes des différents régulateurs. Ces entreprises ont appris à naviguer dans cet environnement multi-juridictionnel en s’appuyant notamment sur des équipes d’excellence au sein de la fonction conformité. Bien sûr, la crise sanitaire place ces programmes dans un nouveau contexte et amplifie certains risques d’intégrité. Elle pose aussi la question de la gestion des ressources. Mais le déploiement des programmes de conformité sur le plan international, tout en prenant en compte les nouvelles contraintes à mesure qu’elles surviennent, témoignent bien de l’agilité de la fonction compliance qui doit rester visible, active et toujours « leverager » les outils existants pour continuer à s’affirmer.
La nécessaire implication active des dirigeants
Ludovic Malgrain : J’ai également constaté cette agilité de la fonction compliance. En matière de lutte contre la corruption, les groupes industriels ou bancaires sont passé d’une logique très judiciaire avec, en amont, des mesures de prévention du risque pénal de corruption, à une logique plus administrative de déploiement de mesures anti-corruption imposées par le législateur et avec un souci de formalisme important. Mais j’ai l’impression qu’aujourd’hui, au travers des contrôles menés par l’AFA, les enquêteurs s’attendent à une véritable implication de l’ensemble des acteurs de l’entreprise, notamment celle de l’équipe dirigeante. Ils ne se contentent plus d’une simple mention dans le cadre des comptes-rendus des conseils d’administration ou des comités d’audit, mais ils veulent, de façon très pragmatique, voir un engagement concret. L’Autorité s’attend à une parfaite adaptation de la part des dirigeants à toutes les situations et souhaite en voir concrètement l’illustration dans le cadre des contrôles qu’elle mène.
Or face à certain arbitrages, des tensions peuvent se créer entre le juridique et la compliance, les opérationnels, voire même le financier. La direction financière a aussi ses contraintes et ne va pas apprécier qu’un certain nombre d’opérationnels passent plus de temps à revoir les procédures, et donc retarder des projets. J’ai vu des conflits naître de ces situations.
> Besma Boumaza, Group General Counsel, Board Secretary, AccorHotels
Besma Boumaza : Notre programme s’est construit de façon progressive et nous avons surtout misé sur l’introduction d’une culture de la compliance, par la personnification, par le rattachement aux valeurs du groupe. Dans ce contexte, l’implication des dirigeants est évidemment nécessaire et peut être abordé sous plusieurs angles. D’abord par celui de leurs valeurs, de ce qui compte pour eux, de l’image qu’ils veulent donner. Mais il ne faut pas non plus négliger les attentes des salariés. On pense toujours à du top down, mais je pense qu’il y a aussi beaucoup de bottom up dans la compliance. C’est fondamental pour attirer des talents et pour que les salariés soient fiers de l’entreprise. Enfin évidemment, il y a le cadre légal qui permet aussi d’allouer des budgets à la fonction. Je le redis, ce sujet doit concerner tout le monde. C’est ainsi que l’équilibre se fait. Il se trouve progressivement.
Jan Dunin-Wasowicz : Je suis de ceux qui pensent que les dirigeants ont une responsabilité fondamentale dans le développement d’une culture d’intégrité dans l’entreprise. Si les patrons et les managers n’y croient pas, il devient très difficile de faire vivre un programme et de le rendre efficace. Certains iront même jusqu’à penser que la conformité peut être un facteur de compétitivité pour une entreprise. Car une entreprise qui sait mettre l’accent sur les bonnes valeurs, sur la culture, et qui est intransigeante sur les dérives, y trouve toujours son compte.
Des frustrations peuvent certes s’exprimer lorsque les discussions s’avèrent plus longues et difficiles, mais c’est le chemin à parcourir car la valeur cardinale doit être la culture d’intégrité. La crise économique crée une réelle pression sur le business et peut changer le jeu des incitations et renverser cet équilibre. Pour certaines industries, il peut devenir vital de conclure ou maintenir un contrat ou de négocier pour réaliser des avancées sur le plan économique. Il faut donc être particulièrement vigilant dans cette période de très forte pression commerciale et de risques de corruption accrus.
Une nécessaire évolution des cartographies des risques ?
Jan Dunin-Wasowicz : S’agissant de l’aspect lacunaire des cartographies des risques et l’évaluation de tiers que Charles Duchaine indique avoir constaté, je me demande comment appréhender ce commentaire qui peut paraitre sévère à l’égard de certains opérateurs économiques français. Dire que la cartographie des risques et l’évaluation de tiers « restent trop lacunaires », peut revenir à considérer que ces deux principes fondamentaux de la conformité ne sont pas suffisamment respectés. Rappelons que toutes les entreprises en France n’ont pas le même niveau de maturité en la matière. Il peut paraitre exagéré de porter une critique globale sur une variété de profils de risques, de réalités économiques et opérationnelles.
Marc Jany : Je crois que les commentaires de Charles Duchaine visent des entreprises de plus petite taille que nos groupes. Nous sommes tous d’accord pour dire que les grandes entreprises qui agissent dans un cadre international n’ont pas attendu la loi Sapin II pour se mettre en ordre de marche et lutter contre la corruption.
Si les entreprises françaises ont évolué, je pense que l’AFA est également amenée à mûrir. L’agence est récente, elle émet des recommandations régulièrement avec l’ambition de faire évoluer sa doctrine. Il faudra en outre apprécier comment la Commission des sanctions, puis les tribunaux évalueront cette doctrine. C’est donc une réalité encore mouvante.
> Ludovic Malgrain, associé, cabinet White & Case
Ludovic Malgrain : La cartographie des risques est un exercice compliqué pour les entreprises. En matière de lutte contre le blanchiment, on a vu dans le secteur bancaire combien d’années il fallait pour parvenir à une cartographie très complète. Or une grande partie des entreprises françaises n’a pas attendu la loi Sapin II pour anticiper les risques en matière de corruption et mettre au point une forme de cartographie. Et l’on comprend aujourd’hui, au travers des contrôles de l’AFA, que ses recommandations ne correspondent pas forcément à ce qui a été mis en place depuis de nombreuses années par ces entreprises. Pour autant, celles-ci ne vont pas nécessairement changer leur dispositif dès lors qu’elles l’estiment conforme aux textes. Pourquoi repartir de zéro et refaire une cartographie qui se collerait aux recommandations de l’AFA ? Je pense qu’il y a un effort de pédagogie pour contraindre l’AFA à ne pas considérer ses recommandations comme la Bible, et à rentrer dans la logique de l’entreprise. C’est précisément l’objet des interviews menés durant les contrôles, qui permettent aussi de faire comprendre quelle a été la logique de l’entreprise avant l’entrée en vigueur de la loi Sapin. Il me semble d’ailleurs dommage que ces commentaires ne soient pas traduits dans les rapports de contrôle.
Besma Boumaza : L’approche de l’AFA sur la cartographie des risques me paraît trop orientée par ce qui se passe dans le monde bancaire, ce qui n’est pas adapté à tous les secteurs. Il est encore difficile d’amener les enquêteurs dans nos propres logiques et de démontrer l’efficacité de nos cartographies quand elles ne répondent pas exactement à leur check-list. Dans notre expérience, un certain nombre de formalismes requis ne nous paraissaient pas servir l’objectif. Nous estimions pouvoir le remplir par une autre voie. Leur approche va sans doute évoluer, mais je ne perçois pas encore cette ouverture. Gageons qu’avec la multiplication des contrôles, ils verront différents modèles et comprendront qu’il peut y avoir différentes formes de cartographies.
Les rapports d’enquête de l’AFA, un risque d’atteinte à la compétitivité des entreprises françaises ?
Ludovic Malgrain : Les partenaires commerciaux d’une entreprise peuvent lui demander de répondre sur l’existence d’affaires de corruption, et de procédures qui englobent la terminologie judiciaire et administrative. Or il est compliqué de ne pas être totalement transparent sur le fait qu’un groupe fasse l’objet d’un contrôle de l’AFA. On peut être très pédagogue pour expliquer ce qu’il en est, mais à partir du moment où un rapport préliminaire a relevé un certain nombre de manquements, je crains que l’existence de ce rapport et de cette procédure de contrôle administrative conduise le partenaire à avoir des doutes sur la conformité au dispositif anti-corruption du groupe. Et donc à l’exclusion de tout partenariat ou échange commercial.
> Patrice Grenier, associé, cabinet Grenier Avocats
Patrice Grenier : Je partage votre préoccupation. Dans la terminologie anglosaxonne, ces déclarations sont demandées aux partenaires et visent les contrôles de l’AFA qui ont un sens particulier en France. Une clarification est indispensable pour ne pas impacter la compétitivité des entreprises hexagonales. L’AFA doit faire évoluer sa position pour mieux s’insérer dans cet ordre mondial.
Ludovic Malgrain : Si le partenaire demande à consulter le rapport – ce qui pose d’ailleurs un problème de confidentialité – je rappelle que ce texte n’est pas à charge ou à décharge, contrairement aux ordonnances de fin d’instruction. Les bons points du dispositif n’y sont pas résumés. C’est très préoccupant car, sauf à vouloir annexer à la procédure les notes déposées par les conseils, ce rapport est conçu pour être uniquement en défaveur de l’entreprise. Le partenaire, voire l’autorité qui y aura accès, n’aura alors pas la même vision de l’AFA qui, elle seule, aura eu un échange contradictoire et qui, par oral, aura d’ailleurs pu saluer certains éléments du dispositif. Ne faudrait-il pas intégrer, en introduction du rapport, les bons points relevés afin que le document ne constitue pas un frein à la compétitivité ?
La logique de l’AFA est légitime, elle est de conduire les entreprises à accélérer le déploiement des dispositifs anti-corruption. Mais l’on arrive à des situations qui doivent être mises en perspective avec l’économie mondiale.
Patrice Grenier : Dans ce souci de transparence porté par le monde anglosaxon, un travail d’adaptation doit être mené par l’agence française. Pour entrer dans cet ordre mondial, il faut en accepter les contraintes et les usages et adapter son discours pour gagner en efficacité.
Besma Boumaza : Nous avons discuté avec l’AFA pendant deux ans. Tout s’est bien terminé. Le contradictoire a été respecté, d’une certaine façon, par les multiples échanges de questionnaires et de réponses. Dans la mesure où le groupe n’est pas allé en Commission des sanctions, je n’ai pas de reproche à faire sur les aspects de contradictoire.
Je reconnais cependant qu’au niveau international, dès que l’on utilise le terme « corruption », quand bien même il s’agit d’un rapport favorable ou de non-condamnation, c’est une préoccupation pour les partenaires. Nous-mêmes, lorsque nous menons une due-diligence sur des tiers, dès qu’il y a un rapport ou une enquête, le chiffon rouge se lève. Si demain, nous annonçons que nous avons eu un contrôle de l’AFA, avant même d’expliquer que c’est un contrôle sur le programme de compliance et non sur des faits avérés, qu’il n’y a pas eu de sanction ni de poursuite judiciaire… L’existence même d’une enquête administrative, peut constituer un problème pour le partenaire.
Jan Dunin-Wasowicz : Dans le contexte multi-juridictionnel se pose de plus en plus la question de la reconnaissance des décisions intermédiaires ou finales des différents acteurs en présence. Et surtout des effets de ces décisions sur les autres procédures en cours. Dans quelques cas, plusieurs pays ont initié des enquêtes et sont parvenus à une forme de coordination entre autorités jusqu’à une résolution globale. L’exemple récent étant celui d’Airbus. Mais cela implique qu’une coordination soit mise en place et que les autorités avancent ensemble dans la procédure. Or cette coopération n’est pas automatique, il n’y a pas de traité international sur le sujet, et l’on peut observer de plus en plus d’exemples où ce qui se passe dans un pays, dans un forum, pourrait avoir une incidence sur une autre procédure, ou un autre forum. En ce moment, à titre d’exemple, une procédure administrative est diligentée aux États-Unis par la SEC qui s’appuie sur une condamnation pénale en première instance en Équateur pour établir des manquements à la réglementation américaine. La question est donc de savoir si l’autorité peut s’appuyer sur cette décision, alors même que le dossier Equatorien n’est semble-t-il pas clos puisqu’un appel a été interjeté.
J’ajoute que les autorités n’ont pas les mêmes priorités et ne s’intéressent pas aux même sujets en même temps. On sait que l’AFA dialogue avec plusieurs autorités. Elle a d’ailleurs un rôle leader dans un réseau de coordination des autorités de prévention et de lutte contre la corruption. Mais va se poser la question du partage de sa compréhension de certains de ses contrôles. Dans le cadre français, il existe une coordination étroite entre l’Agence et le Parquet national financier. Mais l’on pourrait se poser la question de savoir comment ce dialogue pourrait fonctionner au niveau européen, voire international ?
Besma Boumaza : Dans la mesure où l’AFA ne fait pas d’enquête sur des faits de corruption, mission qui revient plutôt au PNF, comment il peut y avoir une telle coordination ? À ma connaissance, les autorités étrangères auraient plutôt tendance à enquêter sur des faits de corruption.
Jan Dunin-Wasowicz : Absolument, l’AFA n’est pas une autorité de poursuite. Mais elle a une responsabilité en matière de prévention et de développement du référentiel français de compliance. Il faut donc partir du postulat qu’elle interagit avec les autorités qui ont cette même attribution. Je ne connais pas le périmètre de son dialogue avec les autorités étrangères. Mais des échanges techniques sont possibles.
Ludovic Malgrain : Il doit y avoir plus qu’un dialogue technique. À partir du moment où une autorité étrangère enquête sur un certain nombre de faits, elle est en mesure de demander la production de toutes les pièces qui vont l’intéresser. Or quand une autorité administrative a audité le programme de lutte en vigueur au sein d’un groupe, rien n’empêche l’autorité étrangère de demander à la française de lui produire ses rapports et investigations. Ce dispositif n’est donc pas de nature à protéger les entreprises françaises, à titre commercial mais également judiciaire.