La grande famille du droit
Paru dans LJA MAG 52 - Janvier/Février 2018
La formation des professionnels du droit est la première marche pour construire l’avenir de la filière juridique. Anne-Sophie Le Lay, directrice juridique du groupe Renault et vice-présidente du Cercle Montesquieu engage le débat avec Pierre Berlioz, récemment nommé directeur de l’École de formation des Barreaux.
Alors que l’on parle de création d’une grande profession du droit, la solution ne passe-telle pas par une grande école de formation du droit, avec des majeures ?
Pierre Berlioz : On en est assez loin ! Rappelons qu’il n’existe même pas encore d’école nationale de formation des avocats. Je note cependant que les notaires sont en train de se doter d’une structure nationale unifiant leurs centres de formation, notamment pour rationaliser les moyens et s’assurer une capacité de fléchage de leurs étudiants entre les centres. Il y aurait une certaine logique à prévoir la même chose pour les avocats. Mais imaginer une instance professionnelle unique à toutes les professions du droit me semble être un voeu pieux. Quand on vise la grande profession du droit, il faut d’ailleurs savoir de quoi l’on parle. Il s’agit pour l’instant d’un mouvement initié par le Cercle Montesquieu et l’AFJE, c’est-à-dire par des spécialistes du droit de l’entreprise.
Ce qui est en vue, c’est d’abord d’unifier ces professionnels positionnés sur ce même segment. J’estime ce projet réalisable à court ou moyen terme, car il existe une unité de réflexions et de pratiques. Nous avons intérêt à travailler ensemble, école de formation et professionnels de l’entreprise, car la grande profession du droit passera par une formation partagée. Avocats, juristes, notaires d’entreprise, CPI pourraient se rapprocher autour de leur positionnement commun : le service à l’entreprise. Mais LA grande profession du droit vise tous les avocats, juristes, notaires, huissiers, CPI, commissaires-priseurs judiciaires, administrateurs et mandataires judiciaires. Et elle me semble bien plus complexe à mettre en oeuvre.
Anne-Sophie Le Lay : Nous devons d’abord démontrer que les professionnels du droit de l’entreprise peuvent se rassembler et vivre ensemble. Gageons que les autres suivront le mouvement par la suite.
Quelles solutions pour la formation continue ?
Anne-Sophie Le Lay : Les grands cabinets d’avocats proposent des séances de formation continue. Ce service additionnel est un complément utile pour les juristes qui doivent toujours avoir un parfait niveau de connaissance juridique alors que les lois et les réglementations évoluent rapidement. Il existe également des organismes de formation externes, mais dont la qualité est parfois sujette à caution. L’EFB pourrait se positionner sur ce sujet.
Pierre Berlioz : L’EFB souhaite mettre en place un programme ambitieux de formation continue. Alors que les élèves-avocats doivent être conscients de leur besoin de s’adapter aux évolutions pour être réactifs, les avocats en exercice doivent eux aussi faire preuve d’agilité. Or elle passe par une formation continue de qualité. Elle permettra également de développer la mobilité entre les professions du droit. Si les avocats souhaitent travailler dans d’autres secteurs, il serait utile que l’École leur fournisse certains outils, sous format présentiel ou en e-learning. De la même façon, si un juriste souhaite intégrer ou réintégrer le Barreau, c’est à l’EFB de l’orienter et de lui proposer une offre structurée visant à apprendre ou retrouver les réflexes du métier d’avocat.
Cette formation continue pourrait-elle viser les autres professions du droit ?
Pierre Berlioz : Aujourd’hui, les textes nous confèrent le rôle de former les avocats. Nous sommes donc actuellement contraints par le décret de 1991, mais nous espérons qu’il ne soit pas immuable. Le sujet est actuellement en discussion.
L’année dernière, le CNB a d’ailleurs adopté une résolution visant à permettre aux écoles d’avocats de dispenser des formations aux autres métiers du droit. Il y a plusieurs mois, le gouvernement avait obtenu une habilitation pour légiférer par ordonnance dans le cadre de la loi sur la Justice du XXIème siècle. Cette habilitation a malheureusement été censurée par le Conseil constitutionnel comme constituant un cavalier parlementaire, bloquant l’ensemble de la réforme de la formation. Cette réforme devrait être réactivée.
Il nous faut en outre nous rapprocher d’autres écoles, comme celles de la profession notariale, celle des huissiers, des conseils en propriété industrielle, etc. Les regards différents des professionnels et le croisement des compétences peuvent représenter une plus-value importante.
Le Cercle Montesquieu s’est également lancé dans la formation continue…
Anne-Sophie Le Lay : Le Cercle Montesquieu s’est allié avec Sciences Po Executive Education pour créer l’Executive master General counsel. Un juriste ayant acquis un minimum de 10 années d’expérience peut aspirer à accéder à un poste de management et à responsabilité. Or aujourd’hui, les juristes peuvent être vus comme des experts éloignés des métiers business de l’entreprise. Ce master s’articule autour de deux certificats : celui du « General Counsel business partner » c’est-à-dire qu’il forme à se positionner au même niveau stratégique que les fonctions opérationnelles comme la finance, le marketing la communication de crise, avec l’éthique, et celui du « General Counsel leader et manager d’équipes » c’est-à-dire qu’il apprend à porter les messages dans les réunions, s’y imposer et embarquer ses propres équipes vers ses nouveaux enjeux. La première promotion, composée de 18 élèves dont deux avocats, est en cours. Cette formation est également utile pour les avocats qui accompagnent leurs clients dans leurs prises de décision. Je pense notamment aux PME qui ne sont pas dotées de directeur juridique et pour lesquelles l’avocat est appelé régulièrement.
Un partenariat entre le Cercle Montesquieu et l’EFB est-il envisagé ?
Anne-Sophie Le Lay : Sous le bâtonnat de Pierre-Olivier Sur et Laurent Martinet, une équipe de directeurs juridiques du Cercle Montesquieu était intervenue à l’EFB pour expliquer les interactions entre les directions juridiques et les avocats. Nous présentions notre activité, notre manière de travailler en interne et nos attentes à l’égard des avocats. Le métier du droit évolue extrêmement vite. Nous sommes à l’aube d’une transformation totale de notre manière d’exercer, notamment grâce à la digitalisation. Le raisonnement juridique détaillé est bien sûr indispensable mais sa restitution au client ou à l’opérationnel doit tenir en trois ou quatre points essentiels qui fournissent une solution. Les élèves avocats se sont montrés intéressés, notamment par le panel des entreprises représentées composé de Renault, L’Oréal, Carrefour, Dell et Vinci. Ils ont compris que cette formation leur permettait de s’adapter rapidement aux demandes de leurs futurs clients. L’expérience avait malheureusement pris fin mais nous pensons qu’il serait judicieux de recommencer.
Pierre Berlioz : J’y suis bien sûr très favorable, tout comme Marie-Aimée Peyron. Force est de constater que les élèves de l’EFB sont de plus en plus nombreux à s’orienter vers l’entreprise. Il existe une réelle porosité entre les métiers du droit de l’entreprise, qui ont pour socle commun la formation que nous pouvons leur offrir à l’école. Les directions juridiques ont donc pleinement vocation à y prendre leur part.
La refonte des programmes vise à considérer l’EFB comme une école professionnalisante où l’on apprend aux élèves avocats les fondamentaux de leur métier, c’est-à-dire la pratique des actes de la profession, mais aussi des compétences extra-juridiques et la connaissance de leurs clients. Cette initiative s’inscrit parfaitement dans ce cadre.
L’EFB a également signé ou devrait signer des partenariats avec des écoles de commerce, comme HEC, l’ESSEC, ou encore l’ESCP. Il s’agit de faire des formations communes, voire des échanges pour que les managers connaissent les avocats et réciproquement.
Renault s’est doté, il y a quelques années, d’une école du droit. Dans quel but ?
Anne-Sophie Le Lay : Au sein du groupe Renault, nous travaillons beaucoup sur notre employabilité, c’est-à-dire être sans cesse au bon niveau de compétence et d’aptitude. À l’instar de ce qui a été fait dans d’autres métiers de l’entreprise (finance, achats, ingénierie, etc), la direction juridique groupe a monté une école du droit interne avec un double objectif. D’abord de former les juristes aux évolutions du droit et de partager les compétences de chacun. Cette école permet également de former les autres métiers de l’entreprise et de transmettre une culture juridique aux opérationnels, car ce sont eux qui sont en lien avec l’extérieur. Je pense par exemple aux accords de confidentialité lors de l’échange de savoir-faire entre ingénieurs. Ou qu’est ce qu’un brevet ? Dans quelle hypothèse devient-on inventeur ?
Les juristes assurent les formations pour les opérationnels. Au début, l’apprentissage était classique, via des Power points dans des salles prévues à cet effet. De plus en plus sont développés des nouveaux supports comme des MOOC et du e-learning.