Comment l'entreprise et les notaires peuvent-ils mieux travailler ensemble?
Paru dans La Lettre des Juristes d’Affaires, N° 1326 du 20/11/2017
Débat entre Nicolas Guérin, président du Cercle Montesquieu et Didier Coiffard, président du Conseil supérieur du notariat, sur le rapprochement des professions.
Depuis la loi du 6 août 2015, dite loi Macron, les sociétés de participations financières de professions libérales ont été créées. L'inter-professionnalité ne porte néanmoins que sur le capital et non sur l'exercice. Quel intérêt pour le client ?
Nicolas Guérin : Le marché français du droit présente selon moi un problème de consolidation. Par exemple, sur les quinze premiers cabinets d’avocats en France, 14 sont d’origine britannique ou américaine. Où sont les français ? Le tissu économique se concentre par ailleurs autour de cabinets de taille importante. Les Big 5 achètent de plus en plus de structures agissant sur des marchés parallèles comme par exemple en matière d’évaluation de préjudice. Ils prennent de plus en plus de parts du marché du droit. Le client a de moins en moins de choix pour confier ses dossiers à des structures de taille moyenne et indépendantes. La loi de 2015 offre une solution capitalistique aux cabinets d’avocats mais aussi aux offices notariaux pour leur permettre de s’allier ou trouver des capitaux pour assurer une diversité et une richesse de l’offre. Prise comme tel, elle est donc très utile et constitue un encouragement pour éviter aux petits cabinets ou offices de se retrouver submergés par les grandes structures.
Qu’en pensent les notaires?
Didier Coiffard : Les sociétés de participation financières mono professionnelles ont rencontré un certain succès chez les notaires pour des raisons essentiellement fiscales car elles optimisent les conditions de reprise des sociétés d’exercice libéral et permettent d’intégrer plus facilement de jeunes notaires. Les SPFPL pluriprofessionnelles sont quant à elles, pour le moment, assez rares. Elles doivent reposer sur un véritable projet d’entreprise qui doit se murir dans une approche interprofessionnelle, voire dans la constitution d’un réseau. Il faut donc définir un projet commun et l’ensemble de ses facettes. Les notaires tiennent à leur indépendance d’exercice et craignent que leur soit dictée, par un groupe d’associés majoritaires, une politique de segmentation de la clientèle par exemple, ce qui serait en contradiction totale avec la fonction notariale. Un tel projet doit être longuement mûri et il nous semble, comme d’autres professions, que la loi est encore trop récente pour mesurer son impact. Les notaires qui souhaiteraient s’y lancer ne le feront pas sans avoir de visibilité sur tous les aspects d’une telle prise de participation. On pourrait citer les conflits d’intérêt et le secret professionnel si ces professionnels, exerçant au sein d’un « groupe » entendent partager certaines informations.
Nicolas Guérin, 48 ans, directeur juridique du groupe Orange, est président du Cercle Montesquieu. Il est par ailleurs Président de la Commission droit public économique et du Comité concurrence du Medef et Président du Comité d’évaluation et d’orientation de la Chaire Internationale de droit de l’espace et des télécommunications de l’Université de Paris XI.
L'ordonnance du 31 mars 2016 permet aux professionnels d'aller plus loin en créant des sociétés inter-professionnelles d'exercice. Comment les notaires l'appréhendent?
Didier Coiffard : Comme pour les sociétés capitalistiques, on rencontre les mêmes préoccupations même si l’on peut partager le désir d’offrir un service plus complet à sa clientèle. La loi n’a pas été assez loin dans les conditions d’exercice de chaque profession puisqu’elle renvoie simplement aux statuts. Hors un grand nombre de difficultés non résolues à ce jour existent comme le périmètre du secret professionnel, celui de la communication, l’obligation d’instrumenter présente chez les notaires mais absente chez les avocats, la politique de lutte contre le blanchiment au sein de la structure car là aussi les avocats n’ont pas la même approche. C’est aussi au niveau de l’inspection des notaires et du contrôle des parquets que rien n’est clair sur la profondeur d’investigation. Et je n’évoque pas toute les difficultés en matière d’assurance de responsabilité professionnelle et de garantie collective très différentes entre les professions, le notariat offrant une garantie inégalée. La coexistence de comptabilités par profession, selon des règles différentes n’est pas non plus résolue à ce jour. Il en est de même des conventions collectives, et de leur coexistence, selon la profession « majoritaire » dans la structure. De même ne semble pas réglée la question du sort des collaborateurs ayant vocation à travailler pour le compte de toute la structure et non seulement de la profession représentée. On voit poindre les difficultés pour le notariat quand plusieurs professions auront participé à l’élaboration d’un dossier ou que les associés seront condamnés in solidum avec la structure. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour voir où se porteront les recours.
Je pense néanmoins que ce type de structure séduira des notaires à partir du moment où le projet et l’indépendance des professions sera parfaitement et organiquement protégée (statuts, pacte d’associé, conventions de rémunération…). Ainsi sur le plan de la gouvernance d’une telle structure, la présence des professions au sein d’un conseil d’administration suppose qu’il en existe un ce qui n’est pas le cas dans toutes les structures sociales. Mais sans doute est-ce une maladresse de rédaction. Pour l’ensemble de ces raisons le CSN sera très vigilant sur les conditions d’exercice des notaires.
Est ce une première marche vers la grande profession du droit ?
Nicolas Guérin : C’est en tous cas une avancée intéressante. Je crois que la pratique du droit par silos et le refus de la modernité signeront la fin des professions indépendantes. Pourquoi ne pas suivre la voie des médecins et imaginer des maisons du droit dans lesquelles différents professionnels s’allieraient pour proposer une offre unique au client ? Chaque spécialiste respecterait sa déontologie propre à son métier, mais travaillerait en commun dans l’intérêt du client. L’argument du statut d’officier ministériel ou de la déontologie ne sauraient être bloquants. Le sujet de l’inter-professionnalité doit permettre aux professions du droit de s’ouvrir et d’évoluer ainsi vers une plus grande modernité.
Didier Coiffard, 58 ans, notaire à Oyonnax (Ain), est Président du Conseil supérieur du notariat (CSN). Il est également en charge des affaires internationales. Il a été membre de la chambre départementale de l’Ain de 1989 à 1992 et membre du Conseil régional de Lyon de 1994 à 1995. Il a été président de commission au 100ème Congrès de Paris en 2004 et Rapporteur Général au 105ème Congrès de Lille en 2009.
A quand le notaire en entreprise ?
Didier Coiffard : Il ne faut pas tout confondre. Le notariat n’est pas un métier, c’est une fonction. L’exercice de cette fonction est incompatible avec un tel concept car le notariat a en charge un service public, celui de la sécurité juridique qui a pour corollaire la prévention des conflits, un égal conseil pour toutes les parties à l’acte. Cette fonction repose sur une délégation de puissance publique et l’authenticité. Ceci suppose une indépendance, une obligation d’instrumenter, un exercice désintéressé, et une absolue impartialité, qui sont incompatibles avec un lien de subordination.
Nicolas Guérin : Je suis favorable à toutes les propositions permettant de développer le droit au sein de l’entreprise et je crois que le notaire a un rôle important à jouer. Il est par exemple l’un des premiers acteurs du droit à être contacté par l’entrepreneur qui crée sa société. Il a par la suite toute sa place pour conseiller le dirigeant sur des questions patrimoniales notamment.
Je ne revendique pas le statut de notaire en entreprise, mais pourquoi ne pas imaginer des contrats de prestation de services avec l’entreprise ?
Une formation commune (ou des stages obligatoires) aux juristes d'entreprise et aux notaires permettrait-elle aux professions de mieux se comprendre ?
Didier Coiffard : Des stages dans les offices pour les juristes d’entreprises et dans les entreprises pour les notaires seraient très précieux car ils permettraient de mieux connaitre les contraintes et les attentes de chaque intervenant pour assurer un service performant et efficace aux entreprises. Je suis tout à fait ouvert et favorable à l’échange de stagiaires. L’entreprise est un monde que je connais bien pour le pratiquer au quotidien. Il faut en connaitre le langage et les attentes pour offrir un service à la mesure de ses attentes.
Nicolas Guérin : Il est important que tous les professionnels du droit connaissent le quotidien de leurs métiers pour mieux travailler ensemble. Le système français propose une formation commune jusqu’au M1. Mais après, les spécialistes ne se voient plus. Des stages en entreprises pourraient être proposés aux notaires et inversement. Je serai ravi d’envoyer certains juristes de la direction immobilière de mon groupe chez eux durant six mois. De la même façon, il pourrait être intéressant pour un notaire de venir dans notre direction juridique ou fiscale… Nous pourrions ainsi mieux partager nos expériences, par exemple sur le digital car certaines avancées vont assurément bouleverser les professions comme l’acte authentique électronique.
Nous avons des visions complémentaires du droit et c’est par l’échange que nous permettrons à la France d’être plus compétitive sur le plan juridique.