Prudente technique de navigation à vue de la cour d’appel de Paris dans la voie de l’extension en entreprise de la protection du secret professionnel attaché aux correspondances avocat-client
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires N°1335 du 29 janvier 2018
Par Marie Hindré, associée, cabinet Altana
C’est par une interprétation extensive de la notion de correspondance avocat-client, que la cour, dans une ordonnance du 8 novembre 2017, a étendu le champ d’application de la protection du secret professionnel des correspondances avocat-client : le « privilège légal ».
Tout en rappelant que ce principe n’est pas absolu et ne s’étend pas à tout échange « avec en copie jointe un avocat », la cour admet pourtant que cette protection est due au document qui, même s’il n’émane pas ou n’est pas adressé à un avocat, « reprend une stratégie de défense mise en place » par l’avocat et l’applique à des emails échangés au sein de l’entreprise transférant une analyse établie par son conseil accompagnée des propres commentaires des juristes dont ils émanaient, sur le contenu de l’analyse. La cour conclut à la nullité de leur saisie avec interdiction pour l’Autorité d’en garder copie et d’en faire état, en se fondant sur une atteinte au privilège légal et aux droits de la défense de l’entreprise, qui est intéressante à un double titre.
D’une part, l’ordonnance ne permet pas de conclure à l’extension du secret professionnel aux juristes d’entreprise. En effet, l’atteinte au privilège légal constaté ici est tirée du contenu des emails de l’entreprise saisis en référence au contenu de l’analyse établie par l’avocat et non de la qualité de juristes de leurs auteurs (leurs destinataires n’étant d’ailleurs pas tous juristes). En d’autres termes, c’est par une extension rationae materiae du champ d’application du secret professionnel que la cour conclut à la nullité de la saisie des emails et non par une extension rationae personae fondée sur la fonction juridique de leurs auteurs. De manière cohérente, la cour rejette la demande d’intervention volontaire de l’Association française des juristes d’entreprise en relevant que « la profession de juriste d’entreprise ne bénéficie pas de la même protection que celle dont peuvent disposer les professions réglementées et notamment la profession d’avocat », puis revenant implicitement sur le contenu intrinsèque des emails qu’elle considère relever du privilège légal attaché aux correspondances avocat- client, elle en déduit logiquement que « l’association est dépourvue d’un intérêt à agir pour défendre le secret des correspondances avocat-client ». Suivant mutatis mutandis ce raisonnement, le même type d’e-mail interne à l’entreprise établi par d’autres personnes que les juristes devrait logiquement bénéficier d’une extension analogue du privilège légal.
D’autre part, en se fondant sur une violation des droits de la défense de l’entreprise au motif que les e-mails saisis « reprennent une stratégie de défense » mise en place par le conseil, la cour se conforme tout d’abord à la position de la Chambre criminelle du 8 avril 2010 qui considère que la nullité de ces saisies suppose que les correspondances avocat-client soient liées « à l’exercice des droits de la défense ». Puis, en arrêtant sa position au terme d’une « analyse in concreto » des emails, la cour se conforme également à la position de la CEDH du 2 avril 2015 qui a conclu dans la même affaire à une violation de l’article 8 de la Convention EDH au motif que le juge statuant sur la saisie de correspondances avocat-client n’avait pas procédé à « l’examen concret qui s’imposait » des documents en question. Ce faisant, on peut légitimement s’attendre à ce que la cour de cassation se prononçant sur cette ordonnance ne revienne pas sur l’analyse du privilège légal qui a été prudemment menée ici par la cour.