Transparence et impartialité : les actuels défis de l’arbitrage international
La pratique de l’arbitrage international est aujourd’hui condamnée à évoluer pour satisfaire les nouvelles revendications des entreprises et des opinions publiques.
Les attentes se sont faites de plus en plus fortes à mesure que la pratique est devenue incontournable. L’arbitrage international est aujourd’hui confronté à de nouvelles exigences en matière de transparence et d’impartialité, qui ciblent plus particulièrement la façon dont les arbitres, ces juges privés, prestataires de services spécialisés, généreusement rémunérés à ce titre, remplissent la mission qui leur a été confiée.
Chasse à l’opacité et aux conflits d’intérêts
En matière d’arbitrage commercial, la pratique a d’ores et déjà évolué pour mieux répondre aux attentes des entreprises. La motivation des sentences arbitrales est ainsi entrée dans les mœurs. « Ce qui est important, c’est de comprendre la décision, même si elle vous est défavorable », souligne Alexandre Job, juriste au sein de la direction grand contentieux de Total. Reste que la forte spécialisation des arbitres, le caractère élitiste et la petitesse du nombre de ces juges privés font que, sur chaque secteur, les affaires les plus importantes restent confiées à un cercle limité, multipliant mécaniquement les risques de conflit d’intérêts. « On observe avec certains arbitres ce que j’appelle le syndrome de la salle d’attente du médecin… Mais en même temps, c’est aussi la rançon du succès : un “bon” arbitre est très sollicité, parfois trop, peut-être », poursuit Alexandre Job.
« Le ticket d’entrée dans le monde des arbitres est très élevé et ce dernier est tellement concentré que parfois nous ne trouvons pas autant de candidats que nous le souhaiterions », regrette Alexis Mourre, président de la Cour internationale d’arbitrage de la CCI. À quoi il faut ajouter le conservatisme des parties : « Les entreprises qui critiquent le manque de disponibilité des arbitres sont les mêmes que celles qui désignent toujours les plus réputés et installés : quand on leur en propose d’autres, elles n’en veulent pas », commente Noël Mélin, secrétaire général de l’Association française d’arbitrage.
Les centres d’arbitrage n’ont de cesse d’améliorer leurs systèmes de déclaration d’indépendance des arbitres. L’obligation de révélation est aujourd’hui beaucoup plus étendue et les chartes éthiques et les codes de bonne conduite sont la règle.
Ces dernières années, l’activité a par ailleurs enregistré une hausse du nombre des recours en annulation de sentences. « La première cause d’annulation est le manque d’indépendance de l’arbitre – qui est plutôt dans l’apparence que dans la réalité dès lors que le défaut de révélation de liens avec les parties concerne, par exemple, des relations anciennes ou celles d’un autre associé au sein d’un grand cabinet. La deuxième est que l’arbitre n’a pas respecté sa mission : il n’a pas tranché tout ce que les parties souhaitaient qu’il tranche ou il a été au-delà de ce qui lui a été demandé, par exemple », explique Yves Derains, associé fondateur du cabinet Derains & Gharavi. Faut-il voir dans cette augmentation des recours l’expression des nouvelles attentes des entreprises en matière de transparence et d’impartialité ? « L’augmentation des recours tient au fait que l’arbitrage est devenu un mode “normal” de règlement des litiges et qu’il a désormais toutes les caractéristiques du contentieux classique, y compris les recours, relativise Emmanuel Gaillard, associé de Shearman & Sterling. Quant à l’intérêt porté à l’impartialité des arbitres, ce n’est pas un signe de déliquescence de la pratique car cela traduit le fait que l’on tolère moins et que l’on chasse davantage les conflits d’intérêt, c’est plutôt positif. » Pour y répondre, les centres d’arbitrage n’ont de cesse d’améliorer leurs systèmes de déclaration d’indépendance des arbitres. L’obligation de révélation est aujourd’hui beaucoup plus étendue et les chartes éthiques et les codes de bonne conduite sont la règle. À la CCI, « nous publions désormais la composition des tribunaux arbitraux », pointe Alexis Mourre.
La crise de l’arbitrage d’investissement
En matière d’arbitrage d’investissement, la montée en puissance des attentes en termes de transparence et d’impartialité ne sont pas le fait des parties mais des opinions publiques. Le recours à ce mécanisme – qui permet aux investisseurs d’obtenir une indemnisation si un État enfreint une disposition d’un traité d’investissement – est aujourd’hui confronté à des critiques de nature essentiellement politique. Portée par des ONG, relayée par les médias, la mobilisation citoyenne dénonce l’opacité de cette justice internationale privatisée et nourrit des suspicions à l’égard de son impartialité.
Une première étape a été franchie en 2015 avec l’adoption de la Convention des Nations unies sur la transparence dans l’arbitrage entre investisseurs et États fondés sur des traités. Mais aujourd’hui, ce n’est plus l’opacité mais le manque d'impartialité de ce mécanisme que ses opposants dénoncent. « Le principe même de l’arbitrage d’investissement est contesté par la société civile sous prétexte qu’il tendrait à favoriser les entreprises aux dépens des États, explique Yves Derains. Or, si l’objet de ces traités bilatéraux vise effectivement à protéger les investisseurs à l’étranger, les statistiques du CIRDI montrent en réalité que les États gagnent plus souvent que les entreprises. » Les opposants estiment également que ce dispositif entrave la liberté des États de faire appliquer leurs lois. En réalité, les sentences arbitrales ne tranchent que sur l’octroi ou non d’une compensation financière aux entreprises qui s’estiment lésées et ne se prononcent jamais sur les lois. Mais la perspective d’avoir à indemniser des investisseurs peut produire un effet suffisamment dissuasif pour amener un gouvernement à renoncer à de nouvelles mesures ou politiques publiques.
D'autres redoutent que la remise en cause de la légitimité de l’arbitrage d’investissement ne contamine son grand frère, l’arbitrage commercial
Les polémiques et la mobilisation sont montées d’un cran ces derniers mois en Europe et en Amérique du Nord dans le cadre de la négociation des accords de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (CETA), et entre l’Union et les États-Unis (TAFTA). Au point de conduire les représentants de la Commission européenne à proposer la création d’une cour internationale permanente, dont les arbitres seront nommés par les États, et pourvue d’un mécanisme d’appel. Intégré dans l’accord de libre-échange signé entre l’UE et le Vietnam et celui conclu avec le Canada, ce nouveau dispositif est encore en discussion avec les négociateurs de l’administration Obama et fait partie, avec l’ouverture des marchés publics américains, des points qui font sérieusement patiner les pourparlers. Pour l’arbitrage d’investissement, l’enjeu est considérable dans la mesure où cet accord de libre-échange entre les deux plus grandes puissances commerciales au monde est promis – s’il est signé un jour – à servir d’étalon pour l’ensemble des traités commerciaux internationaux. « Je pense que c’est une crise très sérieuse et que la pratique de l’arbitrage d’investissement est peut-être arrivée à un tournant », observe Yves Derains. D’autres redoutent que la remise en cause de la légitimité de l’arbitrage d’investissement ne contamine son grand frère, l’arbitrage commercial.