Sociétés pluri-professionnelles d’exercice, le cadre législatif est enfin posé
Paru dans La Lettre des Juristes d’Affaires, N°1302 du 15/05/2017
Prévues par l’article 65 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques – dite loi Macron –, les sociétés pluri-professionnelles d’exercice (SPE) désignent les structures « ayant pour objet l’exercice en commun de plusieurs des professions d’avocat, d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, de commissaire-priseur judiciaire, d’huissier de justice, de notaire, d’administrateur judiciaire, de mandataire judiciaire, de conseil en priorité intellectuelle et d’expert-comptable ». L’esprit de cette loi, largement commentée et débattue à l’époque, était selon ses auteurs de « donner des instruments pratiques pour continuer à exercer dans le cadre d’une concurrence économique ». Ces huit décrets d’applications étaient attendus depuis l’ordonnance du 31 mars 2016 venue poser un premier cadre législatif. Cependant, ces dispositions ne posent aucune obligation à se regrouper. Chaque profession reste libre d’exercer son activité de son côté et de poursuivre une interprofessionnalité ponctuelle sans créer une structure à part entière.
Multiplier les synergies tout en gardant son indépendance
Les principaux opposants à cette interprofessionalité d’exercice soulèvent plusieurs risques : perdre son indépendance, voir ces structures dictées par des enjeux exclusivement économiques et la domination d’une profession sur une autre. L’ordonnance du 31 mars 2016 a déjà apporté plusieurs réponses en réaffirmant, notamment, que « la totalité du capital et des droits de votes est détenue, directement ou indirectement par toutes personnes exerçant l’une des professions exercées en commun au sein de la société » (article 31-6). De plus, la SPE doit comprendre, parmi ses associés, au moins un membre de chacune des professions qu’elle souhaite exercer. « Les professionnels exerçant au sein de la société accomplissent les actes de leur profession au nom de cette société », précise l’article 24 du décret n° 2017-794 du 7 mai 2017. Un expert-comptable ou un notaire, par exemple, ne pourra donc pas prétendre à des missions d’avocat. Les dispositions du premier chapitre de ce même décret précisent aussi que les associés vont pouvoir élaborer librement les statuts de leur SPE. Il leur est notamment laissé la possibilité de convenir de l’exercice exclusif de leur profession. Une confirmation de l’esprit de l’ordonnance du 31 mars 2016 qui prescrit que les statuts de la SPE doivent comporter des stipulations propres à garantir l’indépendance de l’exercice professionnel de chacun de ses membres (associés et salariés) et le respect des règles relatives à la déontologie de chacun.
Les professionnels du droit pourront donc opter pour une société civile ou une des formes de sociétés prévues par le code de commerce, notamment la société à responsabilité limitée (SARL) ou la société anonyme (SA).
Rappelons aussi que l’ordonnance précisait déjà que la SPE peut revêtir toute forme sociale à l’exception de celles donnant la qualité de commerçant. L’article 2 du décret n° 2017-801 relatif à l’exercice de la profession d’avocat par une société pluri-professionnelle d’exercice confirme cette exclusion. Les professionnels du droit pourront donc opter pour une société civile ou une des formes de sociétés prévues par le code de commerce, notamment la société à responsabilité limitée (SARL) ou la société anonyme (SA). Le Conseil national des barreaux estime d’ailleurs que ces décrets, dont il a été associé étroitement dans leurs rédactions, offrent des garanties suffisantes pour l’exercice de la profession d’avocat puisque la SPE et ses avocats membres sont tenus de respecter toutes les dispositions législatives et réglementaires applicables aux avocats.
Préserver le client de tout conflit d’intérêt
D’après l’ordonnance du 31 mars 2016, l’associé d’une SPE est tenu aux obligations de loyauté, de confidentialité et de secret professionnel conformément aux dispositions encadrant sa profession. Un principe confirmé par l’article 25, chapitre 2 du décret n° 2017-794 détaillant que chaque associé accompli des actes de sa profession au nom de celle-ci en vertu du contrat écrit conclu entre le client et lui. Le client est aussi libre de s’adresser à une ou plusieurs professions exercées dans la SPE. « Le contrat détermine l’identité du ou des professionnels auxquels le client entend confier ses intérêts. Il fait état de la nécessité d’un accord préalable du client dans le cas où le professionnel envisagerait, au cours de l’exécution du contrat, d’user de la faculté de communication […] », indique le texte. Cet accord peut être dénoncé sans préavis et sans pénalité par tout moyen. Le client peut aussi modifier, à tout moment, les informations communiquées, la qualité ou l’identité des professionnels auxquels il veut limiter la communication de ces informations.
Les membres de la SPE vont donc devoir dialoguer étroitement afin de prévenir les conflits d’intérêts liés à des activités internes, mais aussi externes.
Enfin, pour protéger au mieux les clients de ces structures, l’article 2 chapitre 1 du décret n° 2017-794 enjoint chaque associé déjà en exercice à déclarer sur l’honneur « l’absence de conflit d’intérêts entre ses activités en cours et celles des autres associés déjà en exercice ». Les membres de la SPE vont donc devoir dialoguer étroitement afin de prévenir les conflits d’intérêts liés à des activités internes, mais aussi externes. Et l’article 27 chapitre trois va plus loin en précisant que la SPE fera l’objet « de contrôles et d’inspections par les autorités administratives ou professionnelles compétentes pour y procéder à l’égard des membres des professions qu’elle exerce, selon les modalités définies par les dispositions propres aux contrôles et aux inspections des sociétés d’exercice de chaque profession ». Ces contrôles pourront être conjoints à plusieurs autorités, ce qui sous-entend que les ordres professionnels ne seraient pas les seuls compétents.
*Xavier Hubert, conseiller juridique du ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, lors d’une conférence de presse le 25 janvier 2016.