La société civile se saisit du processus d’écriture de la loi
Cet article a été publié dans la LJA n°1292
Et si les citoyens se saisissaient pleinement du processus législatif ? c’est à cette question que les intervenants à l’atelier « co-écriture de la loi, comment rendre les textes plus adaptés à notre nouvel environnement ? », qui s’est déroulé le 2 février dernier lors de la deuxième édition de la Journée de l’innovation du droit et du chiffre, ont apporté des pistes de réflexion.
Les travaux de la 14e législature viennent de s’achever pour cause de campagne électorale et pourtant la place de la démocratie participative dans le processus législatif est plus que jamais d’actualité. « Il faut en premier lieu rendre la loi accessible et rendre aux citoyens les sujets », soutient Marie-Anne Chapdelaine, député de la première circonscription d’Ille-et-Vilaine, membre de la commission des lois. Mis en lumière par les discussions autour du projet de loi pour une République numérique, surnommée la loi Lemaire, le système de consultation publique est, en réalité, autorisé par la loi depuis de nombreuses années. En effet, outre les consultations obligatoires – du Conseil économique, social et environnemental ou bien encore du Comité des finances locales – à l’élaboration de la loi, l’exécutif et les parlementaires peuvent recourir préalablement à l’adoption d’un acte réglementaire ou d’un projet législatif à la consultation des citoyens sur internet. Tous les ministères ont d’ailleurs sur leur site internet un onglet dédié à la consultation publique. Il existe même des circonscriptions où des ateliers citoyens sont organisés par les députés. Ce processus par lequel les décideurs demandent l’avis de la société civile afin de connaître ses opinions, ses attentes et ses besoins était jusque là particulièrement utilisé en matière d’aménagement du territoire et de protection de l’environnement. Pouvant être déclenché à n’importe quel stade d’avancement du projet, les décideurs ne sont pas pour autant tenus de prendre en compte ces contributions et remarques dans la version finale du projet.
Cependant, son utilisation ne rencontre pas toujours le succès espéré. En témoignent, les discussions autour de la loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie et celles sur le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté qui n’ont pas suscité un grand intérêt de la société civile. « Il y a un vrai déficit de connaissance sur ces consultations », regrette Cindy Kus, présidente du laboratoire de l’innovation publique et membre d’Openlaw. Est-ce parce qu’il faut maîtriser l’écriture juridique pour co-écrire la loi ? « Il faut réussir à traduire ces nouvelles pratiques en obligations », affirme la député. Certains sujets et secteurs d’activités seraient aussi plus matures à la consultation publique que d’autres. Chaque texte doit trouver le bon vecteur afin que la société civile puisse s’en saisir aisément. « Le numérique n’est qu’un outil pour faire remonter la concertation. La forme de cette concertation doit dépendre du projet de loi », confirme Marie-Anne Chapdelaine.
La membre de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour une République numérique va même plus loin estimant qu’il n’existe pas d’antinomie entre les représentations de lobbys classiques et la démocratie participative, les deux se complètent.
« Les gens n’ont jamais autant voulu faire de la politique. Il faut reconstruire les modes de communication », insiste Paul Richardet, co-fondateur de la Cantine. Selon cet expert en charge des thématiques émergentes et de l’accompagnement des communautés au sein du Silicon Sentier, le problème ne se situe pas dans les compétences à avoir pour participer au processus législatif, mais plutôt dans la difficulté de faire entrer la connaissance dans un travail collectif très centralisé. Il ne fait aucun doute pour l’ensemble des intervenants à cet atelier que la co-écriture de la loi répond à demande des citoyens et permet de rendre le processus de la loi plus transparent. « La concertation donne de la valeur au texte de loi. Ce qui est fondamental, c’est que la concertation donne un pouvoir à la personne en charge du texte de négociation avec les pouvoirs publics », explique Henri De La Motte-Rouge, avocat, fondateur du cabinet La Motte-Rouge. Néanmoins, les députés et rapporteurs de texte, dans le procédé actuel de l’élaboration de la loi, ne disposent pas d’assez de temps et de moyens pour pleinement prendre en compte les contributions de la société civile. Pour la loi Lemaire, par exemple, ce ne sont pas moins de 8 500 contributions qui ont été déposées. Ce qui a entraîné un important lobbying et multiplié les navettes parlementaires. « Nous allons être obligés de faire travailler les gens ensemble. Il va falloir former les institutions politiques à ces questions », conclut Paul Richardet. Pour Marie-Anne Chapdelaine, idéalement la participation du public devrait se faire avant même qu’il y ait un projet de loi en préparation. La loi étant le fruit d’un consensus, la démocratie participative ne peut que tendre à se développer.
Le processus de co-écriture peut aussi être appliqué à d’autres échelles. Il a ainsi été utilisé avec succès lors de la rédaction de la charte des legaltechs, qui n’a pas de valeur législative et qui est un engagement opposable aux seuls signataires. Ce système n’a par contre pas fonctionné à l’échelle du barreau de Paris lors du projet de modification du règlement intérieur.