Projet de loi Croissance : les avocats confrontés aux clivages ministériels
L'Université d'hiver et la rentrée solennelle du barreau de Paris ont été l'occasion pour les avocats de la capitale de recevoir, vendredi 12 décembre, le ministre de l'Économie et la ministre de la Justice, venus l'un et l'autre rappeler leurs positions, parfois divergentes, sur le projet de loi pour la croissance et l'activité.
Emmanuel Macron a été le premier à entrer en lice le matin, lors de l'Université d'hiver. Accueilli par un mélange d'applaudissements et de huées, l'hôte de Bercy a défendu son texte, censé lutter contre les corporatismes. "Ce qui est interdit n'est pas forcément bon ; ce qui surprotège n'est pas forcément souhaitable," a-t-il avancé.
Répondant aux questions posées par le vice-bâtonnier, Laurent Martinet, le ministre a réaffirmé que l'avocat en entreprise ne disposerait ni de droit de plaidoirie, ni de celui de développer une clientèle personnelle. Concernant l'expérience nécessaire aux juristes pour obtenir ce statut, il a déclaré que la durée actuelle de 8 ans était "une bonne durée," étant précisé que le projet de loi la fixe pourtant à 5 ans. "Christiane Taubira a plus de réserves que moi sur le sujet," a-t-il admis, avant de justifier cette mesure : "Il faut permettre aux jeunes avocats de rentrer dans l'entreprise. J'entends l'ADN de l'indépendance mais nous trouverons le curseur".
Sur l'ouverture du capital des cabinets d'avocat aux hommes du chiffre, qualifiée de "folie" par Laurent Martinet, Emmanuel Macron a estimé que, limitée à 33 %, cette dernière permettrait aux avocats de conserver leur déontologie et qu'il s'agissait d'une "opportunité pour les jeunes."
Le ministre a ensuite justifié la réforme de la justice prud'homale et la présence du délégué syndical (et donc l'absence de représentation obligatoire par avocat) dans la phase de conciliation, en expliquant que celle-ci ne devait pas être contentieuse. Il a en revanche affirmé que la présence de l'avocat devait être obligatoire en appel.
Enfin, concernant l'action de groupe, Emmanuel Macron a promis de réfléchir à un rôle accru de la CARPA pour recevoir et contrôler les sommes reçues au titre des indemnisations, avant de repartir, cette fois, sous une salve d'applaudissements.
Les priorités de Christiane Taubira
Invitée très attendue de la rentrée solennelle du barreau de Paris l'après-midi, la ministre de la Justice a réaffirmé sa position sur les différentes mesures du projet de loi sur la croissance et l'activité visant la profession d'avocat.
Concernant la postulation, la ministre, qui entend "défendre l'accès au droit et à la justice pour tous et partout" en France, a déclaré qu'elle craignait que sa suppression n'entraîne la création de "déserts juridiques", tout en admettant ne pas disposer d'étude d'impact en bonne et due forme et sans donner clairement son avis sur "la solution médiane" adoptée par le projet de loi (modifier la territorialité de la postulation au niveau de la cour d'appel).
Sur l'avocat en entreprise, ses positions restent celles qu'elle a toujours exprimées, à savoir que "la subordination pose la question de l'indépendance" des juristes d'entreprise, et qu'il n'est pas question "de créer plusieurs professions d'avocat au sein de la profession d'avocat" en accordant des prérogatives différentes (telles que la représentation en justice) selon que l'on exerce en cabinet et en entreprise. Pas question non plus "de briser l'équilibre d'une profession pour satisfaire quelques dizaines de personnes," a-t-elle déclaré en faisant allusion aux directeurs juridiques français de grands groupes.
Concernant l'ouverture du capital des structures d'exercice, la ministre a résumé ainsi la situation : "le capital ne sera pas ouvert aux tiers et c'est ce que vous vouliez, non ?" , sans s'attarder davantage sur le sujet.
Elle a enfin exprimé son inquiétude quant au fait que les débats sur les réformes contenues dans le projet de loi gouvernemental "ont creusé la fracture entre les différentes parties de cette profession composite" qu'est la profession d'avocat.
La bataille parlementaire du CNB
Parallèlement aux événements du barreau de Paris, le Conseil national des barreaux se réunissait, ce même 12 décembre, pour la dernière assemblée générale de la mandature. À cette occasion, le président Jean-Marie Burguburu a fait un compte-rendu des échanges qui ont eu lieu mercredi 10 décembre lorsque les représentants des professions juridiques ont été reçus à la Chancellerie à la fin de la manifestation contre le projet de loi sur la croissance et l'activité. "La ministre nous a dit : “restez mobilisés”, “faites donc des contre-propositions”, et “c'est moi qui rapporterai le volet juridique du projet de loi devant le Parlement”," a-t-il raconté. "La bataille s'est déplacée le plan parlementaire et c'est à la mandature suivante qu'il reviendra de poursuivre le travail," a ajouté le président du CNB, dont le mandat s'achève à la fin de l'année.
L.G. et M.L.