Relations avocats-LegalTech, mode d’emploi
Les relations entre avocats et LegalTech étaient au centre des débats de la “Grande conférence” organisée le 3 novembre dernier par l’Incubateur du barreau de Paris. Objectif : apprendre à mieux se connaître et étudier les opportunités et les limites de la collaboration entre professionnels du droit et plateformes de services juridiques. Morceaux choisis.
« Le cabinet 3.0, d’accord, mais l’avocat 3.0, non, l’avocat virtuel ne sera pas possible », a déclaré le bâtonnier de Paris, Frédéric Sicard, dans ses propos introductifs à la conférence organisée le 3 novembre par l’Incubateur du barreau de Paris. « Il faut que nous prenions les outils qui s’offrent à nous », mais sur le terrain de la relation client, « il y un moment où, en termes de déontologie, la relation à distance n’est plus possible ». Parmi les autres points sensibles liés à ces relations dématérialisées : « la maîtrise de la confidence et du secret (…) ; nous devons réfléchir sur le niveau des moyens pour préserver le secret ». Le bâtonnier de Paris entend par ailleurs « soumettre au conseil de l’Ordre en 2017 la possibilité de labelliser les produits [proposés par la LegalTech, ndlr] qui sont conformes ou non à certains principes ». Mais, selon lui, « l’essentiel est que nous puissions adapter nos règles pour rester compétitifs ».
De nouveaux services qui créent de nouveaux usages
Une première table-ronde a réuni des acteurs de la LegalTech pour dresser un état des lieux du marché, en France et ailleurs. Ancienne avocate, aujourd’hui vice-présidente de la société américaine Legal Zoom, Sally Robertson a présenté les prestations et expliqué le mode de collaboration entre les avocats et la plateforme de services juridiques, devenue leader aux États-Unis et désormais installée en Grande-Bretagne, où elle a obtenu une licence d’Alternative Business Structure et vient cette année d’acheter le cabinet Beaumont Legal. Directeur général de Rocket Lawyer Europe, Christophe Chevalley a présenté la joint-venture récemment conclue entre la société américaine Rocket Lawyer et le groupe ELS (Éditions Lefebvre Sarrut) et les perspectives de déploiement en Europe de la plateforme, dont la version bêta est d’ores et déjà en ligne en France. Ancien avocat, cofondateur de la plateforme française de services juridiques LegalStart.fr, Pierre Aïdan a présenté une cartographie du marché des LegalTech en France, distinguant les services qui ciblent les particuliers, ceux qui visent les entreprises et ceux destinés aux professionnels du droit. L’entrepreneur, dont la société a délivré des services à 40 000 clients depuis sa création il y a trois ans, a déclaré constater « une très forte migration vers le mobile, plus de deux clients sur dix utilisent LegalStart depuis un téléphone » : « nous créons de nouveaux usages avec nos services ».
Enrichir en permanence son savoir-faire
« Au sein de la commission Prospective du Conseil national des barreaux, nous considérons que [les plateformes proposant des services d’intermédiation] sont des cabinets d’avocats cachés, des cabinets virtuels d’avocats, qui ont des clients et distribuent des dossiers à des avocats, a expliqué le président de cette commission, Louis Degos, associé de K&L Gates à Paris. Des cabinets d’avocats qui, eux, ont accès aux capitaux extérieurs. » Autre difficulté soulevée par cet écosystème : « Toute la sphère des LegalTech est une sphère contractuelle, qui entraîne nécessairement une chaîne de responsabilité », aussi, que faut-il envisager « si la plateforme n’a pas aiguillé le client vers le bon avocat ? » Il reste, selon lui, « encore beaucoup de questions à étudier ».
Directeur juridique achats et alliances du groupe Atos, Stéphane Larrière a pointé « l’accélération phénoménale de la capacité de traitement des machines » et le fait d’être « sur une économie de la connaissance partagée, avec une notion de gratuité qui pose la question de la valeur de l’information », avant de s’interroger sur la place des professionnels du droit dans ce contexte qui « sape l’autorité naturelle du juriste » : un phénomène « auquel nous sommes confrontés dans nos conseils aux opérationnels ». « Nous allons faire de moins en moins d’actes, notre rôle est en train de se redéfinir », a-t-il relevé. Et plutôt que le savoir, « ce qui nous préservera, c’est le maintien de notre savoir-faire, qu’il faut enrichir en permanence », à l’image « des nouvelles versions des applications de nos smartphones, qui évoluent en permanence ».