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Le recours par l’État aux conseils extérieurs passé au crible de la Cour des comptes

Par Miren Lartigue

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À la demande de la commission des Finances du Sénat, la Cour des comptes a examiné les conditions dans lesquelles l’État a recours à des conseils extérieurs. Extraits du rapport des magistrats de la rue Cambon.


 
  • Les dépenses de l’État sont inégalement réparties entre les ministères et assez largement concentrées sur un nombre restreint de prestataires.

«  C’est le cas des conseils juridiques au sein des ministères économique et financier où une très large part des contentieux fiscaux et douaniers devant les juridictions judiciaires est confiée à deux sociétés civiles professionnelles [SCP Urbino Associés et la SCP Normand & Associés, ndlr] qui concentrent à elles deux 50 % des dépenses de conseil juridique et avec lesquelles l’administration travaille de longue date. (…) Cette situation se retrouve enfin au ministère chargé de l’Écologie où le cabinet Clifford Chance a travaillé pour le compte de la direction générale des infrastructures des transports et de la mer (DGITM) pour un montant total de 3,6 M€ entre 2011 et 2013 sur une dizaine de dossiers avec des thèmes très divers : procédure de mise en concession d’autoroutes, assistance juridique sur les difficultés rencontrées par la SNCM, mise au point du contrat de partenariat relatif à l’écotaxe. (…) Pour ne pas dépendre excessivement d’un seul prestataire, quel que soit son domaine d’intervention, et éviter les phénomènes d’abonnement, il importe que l’administration veille à assurer le renouvellement et la diversification des prestataires. »
  • L’administration n’a pas développé de savoir-faire spécifique en matière d’achat de prestations intellectuelles.

« Alors même que l’administration fait appel de longue date à des conseils extérieurs, l’achat de ce genre particulier de prestations manque encore de professionnalisme. (…) L’externalisation d’une grande partie de la matière contentieuse à des cabinets d’avocats, sans concertation préalable, par la DGFiP, la DGDDI et la direction des affaires juridiques (DAJ) fournit une illustration de cette absence de mutualisation. Alors que les prestations commandées sont très proches et les cabinets recrutés identiques, chaque direction conclut des marchés de façon séparée. Le projet de mutualisation de ces achats autour de la DAJ n’a toujours pas abouti, un an après une instruction ministérielle en ce sens.

(…) Les procédures de recours à des conseils juridiques restent, dans certaines administrations, marquées par les pratiques antérieures qui constituaient autant de dérogations au droit de la commande publique. Jusqu’en 2003, l’achat de prestations juridiques échappait en effet aux procédures régies par le code des marchés publics. Cette situation prévaut aujourd’hui encore à la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI). L’administration centrale, les services à compétence nationale (direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, service national de la douane judiciaire) et les directions interrégionales font appel à des avocats de gré à gré, sans procédure de mise en concurrence, pour un montant supérieur à 2 M€ entre 2010 et 2013.

(…) Une situation similaire a également été relevée à la direction générale de l’aviation civile (DGAC), où il apparaît qu’une majorité des consultations juridiques est confiée de gré à gré à des prestataires, comme la SCP Lyon-Caen & Thiriez (240 000 € de facturation entre 2011 et 2013 pour 32 consultations) ou le cabinet Soulez Larivière et Associés (2,31 M€ pour 15 consultations). »
  • La délégation par l’administration de ce qui constitue son coeur de métier entraine une déperdition de compétences internes.

« Le recours à des conseils extérieurs peut ainsi révéler ou entraîner la perte de certaines compétences internes et utiles à l’État, comme la Cour a pu le constater, notamment, dans le domaine du droit des contrats publics, de la rédaction de textes réglementaires ou de la gestion du patrimoine immobilier. Plus contestable encore est l’utilisation des consultants comme cautions techniques des décisions de l’administration, parfois en doublons avec des avis internes, avec pour objectif ou conséquence une dilution de la responsabilité des décideurs publics.

(…) L’administration peut parfois déléguer jusqu’à ce qui constitue son « coeur de métier » et sa première prérogative : la rédaction de textes réglementaires. Ainsi, Capgemini a inclus dans le contrat d’assistance à maîtrise d’ouvrage pour la mise en place de l’écotaxe, à la demande de l’État, une rubrique « rédaction de textes réglementaires » qui, selon le consultant, n’est cependant pas fréquente. De la même façon, dans le cadre de la mission confiée par la direction générale du Trésor à Clifford Chance sur la situation du groupe Crédit immobilier de France (CIF), il a été demandé au conseil de rédiger l’article d’octroi de la garantie de l’État au CIF présenté en projet de loi de finances. Cette déperdition des compétences est également manifeste au sein du service France Domaine qui dépense 4,5 M€ en moyenne par an au profit de consultants qui l’assistent, par exemple, dans la renégociation des baux passés par l’État et l’évaluation des biens immobiliers des opérateurs de l’État.

(…) L’absence de dispositif de capitalisation des connaissances associée à une forte rotation des effectifs dans l’administration conduit cette dernière à acheter la mémoire que certaines entreprises de conseil, voire certaines personnes, ont pu acquérir depuis de nombreuses années grâce aux missions confiées par l’administration. C’est le cas de la matière juridique et, plus spécifiquement, du droit des privatisations. L’Agence des participations de l’État a ainsi fréquemment recours, selon des procédures dérogatoires au droit de la commande publique, à un avocat doté d’une solide expérience en matière de privatisations d’entreprises publiques pour avoir assisté aux premières d’entre elles au début des années 1980. Il est regrettable que l’administration soit contrainte de se placer dans une relation de dépendance avec certaines prestataires au motif que ceux-ci ont acquis une meilleure connaissance qu’elle de ses propres procédures.

(…) L’administration doit veiller à préserver les compétences jugées stratégiques pour la conception et la conduite des politiques de l’État. »

En savoir plus : lire le rapport sur le site de la Cour des comptes

 M.L.
Cour des comptes prestations juridiques Etat

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