Loi sur le renseignement : trois petites censures, puis s'en va vers le Journal officiel
Le 23 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a validé l'essentiel de la loi relative au renseignement qui modifie le Code de la sécurité intérieure (lire la décision n° 2015-713 DC). Les sages ont néanmoins censuré trois dispositions.
Procédure d'urgence opérationnelle
En premier lieu, ils ont déclaré non conforme à la Constitution l'article L. 821-6 du Code de la sécurité intérieure sur la procédure d'urgence opérationnelle. Ce texte permettait, "en cas d’urgence liée à une menace imminente ou à un risque très élevé de ne pouvoir effectuer l’opération ultérieurement" , d'installer des dispositifs de recueil de renseignement sans autorisation préalable du Premier ministre, de l'un de ses collaborateurs directs habilités au secret de la défense nationale, ou de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
Surveillance internationale
En second lieu, le Conseil constitutionnel a censuré l'article L. 854-1 du Code de la sécurité intérieure, relatif aux mesures de surveillance internationale. Motif : "en ne définissant dans la loi ni les conditions d'exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés en application de cet article, ni celles du contrôle par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement de la légalité des autorisations délivrées en application de ce même article et de leurs conditions de mise en œuvre, le législateur n'a pas déterminé les règles concernant les garanties fondamentales accordées au citoyen pour l'exercice des libertés publiques".
Domaine réservé
Enfin, il a invalidé une disposition de l'article L. 832-4 du Code de la sécurité intérieure prévoyant que les crédits de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement seraient inscrits au programme « Protection des droits et libertés » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement », en ce qu'elle relevait du domaine réservé des lois de finances.
Avocats et secret des correspondances
Concernant cependant l'article L. 821-7 du Code de la sécurité intérieure, qui vise les techniques de renseignement relatives aux parlementaires, magistrats, avocats ou journalistes, le Conseil constitutionnel a estimé qu'il "ne portait pas une atteinte manifestement disproportionnée au droit au respect de la vie privée, à l'inviolabilité du domicile et au secret des correspondances".
Pour mémoire, cette disposition interdit en principe que l'une de ces professions puisse être l'objet d'une demande de mise en œuvre, sur le territoire national, d'une technique de recueil de renseignement en raison de l'exercice de son mandat ou de sa profession. Si une demande devait néanmoins concerner l'une de ces personnes, ses véhicules, ses bureaux ou ses domiciles, le texte impose son examen en formation plénière par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Le texte les exclut également de la procédure d'urgence.
Si le Président de la République, qui avait saisi le Conseil constitutionnel, s'est félicité de cette décision validant la majeure partie de la loi, le barreau de Paris en a, lui, "pris acte avec beaucoup de tristesse" . Dans un communiqué du 24 juillet, il a estimé que "les valeurs de libertés publiques, que ce soit administratives avec ce nouveau texte de loi, ou judiciaires avec des écoutes téléphoniques et des perquisitions toujours plus nombreuses faites à "filets dérivants" par des juges d'instruction sans contrôle a priori, placent notre pays à la queue des grandes démocraties".
La loi n° 2015-912 relative au renseignement a été publiée au Journal officiel le 24 juillet 2015.
L.G.
Le secret professionnel, un droit non protégé constitutionnellement
Dure semaine pour le secret professionnel des avocats. Le lendemain de sa décision sur la loi relative au renseignement, le Conseil constitutionnel a rendu publique sa décision sur l'accès administratif aux données de connexion (lire la décision n° 2015-478 QPC, 24 juill. 2015).
En l'espèce, les sages avaient été saisis par les associations French Data Network, La Quadrature du Net et la Fédération des fournisseurs d'accès à internet associatifs d'une question prioritaire de constitutionnalité sur les articles L. 246-1 à L. 246-5 du Code de la sécurité intérieure, issus de la loi de programmation militaire de 2013. Ces dernières soutenaient que l'absence de garanties spécifiques pour protéger l'accès aux données de connexion des avocats et des journalistes portait atteinte au droit au respect de la vie privée, à la liberté d'expression et de communication, ainsi qu'aux droits de la défense et au droit à un procès équitable, au droit au secret des échanges et correspondances des avocats et au droit au secret des sources des journalistes.
Des arguments rejetés par le Conseil constitutionnel. Dans sa décision, ce dernier a rappelé que si, de façon générale, le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances, la liberté d'expression, les droits de la défense et le droit à un procès équitable étaient protégés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, il n'existait, en revanche, aucune disposition constitutionnelle consacrant "spécifiquement un droit au secret des échanges et correspondances des avocats et un droit au secret des sources des journalistes" .
Relevant que la procédure de réquisition administrative de données de connexion excluait l'accès au contenu des correspondances, il a estimé qu'elle ne portait pas atteinte au droit au secret des correspondances et à la liberté d'expression, et que le législateur avait prévu des garanties suffisantes afin qu'il ne résulte pas de la procédure une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, aux droits de la défense et au droit à un procès équitable.