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« Être avocat et entrepreneur c’est accepter de vivre avec des contraintes anticoncurrentielles »

Par Delphine Iweins

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Philippe Charles, Président de l'association « Les Avocats entreprennent »


Lancée 14 juin, l’association « Les Avocats entreprennent » considère que l’entreprise d’avocats sera le vecteur de développement des avocats dans les années à venir.
Entretien exclusif avec son président, Philippe Charles, co-fondateur d’AGN Avocats.

Quelle est la genèse de cette association ?
Philippe Charles : Il s’agit d’une association de femmes et d’hommes fiers d’être avocats, qui veulent le rester, mais qui veulent aussi pouvoir entreprendre en tant qu’avocat. Or, ensemble, nous faisons le constat qu’aujourd’hui, pour entreprendre sur le marché du droit, il est plus facile de le faire en n’étant pas avocat. Faire passer des réformes progressistes est un de nos objectifs. Nous avons été marqués par la loi Macron. Certains représentants de la profession s’étaient, par principe, opposés aux changements de cette loi alors qu’ils étaient attendus par les avocats entrepreneurs.

De combien de membres se compose-t-elle ?
P. C. : Nous démarrons avec vingt membres, avec un noyau dur d’avocats entrepreneurs qui ont entrepris jeune en prenant tous les risques : Cécile Peskine co-fondatrice de LINK&A Avocats, Thomas Crochet qui a fondé son cabinet spécialisé dans les professions libérales de santé à 26 ans, Matthieu Mélin fondateur du cabinet Astura, Michel Tarteret avocat au Havre fondateur du cabinet Access Avocat, Lyoma Kogiso, avocat entrepreneur à Montpellier, les fondateurs d’AGN Avocats, Frédéric Moréas, Jérôme Célié et moi-même.
Nous retrouvons aussi des juristes d’entreprise, anciennement avocats, et des jeunes collaborateurs de cabinets très attentifs aux évolutions du marché.

Quels sont les objectifs de cette association ?
P. C. : Il faut mener une analyse lucide sur le marché du droit sur lequel les avocats sont en train de reculer. Nous avons besoin d’aller chercher l’avis de personnes qui ont des compétences économiques et qui ne sont pas avocats. Nos interlocuteurs auront des connaissances économiques sur le monde de l’entreprise et sur le marché du droit. L’Autorité de la concurrence, par exemple, peut permettre aux avocats d’obtenir des réponses et l’une des premières actions de l’association sera d’ailleurs de la saisir pour avis sur les freins de la profession d’avocat.

Être avocat et entrepreneur, dans l’état actuel des règles régissant la profession, serait donc antinomique ?
P. C. : Non, mais cela se fait dans un cadre restrictif de concurrence. Être avocat et entrepreneur, c’est accepter de vivre avec des contraintes anticoncurrentielles. Les sociétés d’expertises-comptables n’ont pas ces contraintes ni les legal techs. Elles peuvent faire tout ce qui est interdit aux avocats, et les avocats ont toutes les interdictions, il faut rééquilibrer les choses.

Il ne peut pas être si compliqué en France de créer une société d’avocat


La vidéo « Pour Luc qui est avocat c’est interdit ! »1 compare un avocat, un expert-comptable et un ingénieur. Pourquoi la déontologie de l’avocat, qui le différencie des autres acteurs et qui est une protection pour le justiciable, n’est-elle pas mise avant ?
P. C. : Aucun doute, la déontologie est un atout formidable et indispensable. Cependant, deux choses sont à distinguer dans la déontologie : les principes essentiels, qui sont fondamentaux et qui sont le véritable atout auprès des clients, et la déontologie des structures, qui sur un marché concurrentiel est bloquante.

Quels sont ces éléments déontologiques bloquants ?
P. C. : Nous les avons identifiés dans notre vidéo « Pour Luc qui est avocat c’est interdit ! » disponible sur le site de l’association : les délais d’immatriculation des sociétés d’avocats, l’absence d’aide au lancement des sociétés d’avocats innovantes, la fermeture aux capitaux extérieurs ; les nombreuses restrictions sur le numérique, les restrictions territoriales avec l’impossibilité de s’implanter librement sur tout le territoire. Il ne peut pas être si compliqué en France de créer une société d’avocats. Et la complexité ne peut pas non plus être si forte selon le barreau duquel l’avocat dépend. Le barreau de Paris a d’ailleurs une structure pertinente sur ce sujet dirigée par Luc Lauzet qui aide beaucoup les avocats entrepreneurs, de toute la France d’ailleurs !

Les incubateurs de Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, ont été créés justement pour aider au financement des sociétés d’avocats innovantes. Qu’en pensez-vous ?
P. C. : Les incubateurs participent du mouvement progressiste. Il nous paraissait aussi important de mettre en avant les avocats entrepreneurs. Un avocat entrepreneur est un avocat qui a pris tous les risques pour créer son cabinet, il investit son argent, hypothèque parfois sa maison, etc. Il n’est aujourd’hui représenté par personne.

Le Conseil national des barreaux (CNB) réfléchit à la question de l’ouverture des capitaux…
P. C. : Il est vrai qu’il existe au sein de la profession d’avocat un courant progressiste. Par exemple, une unanimité commence à se dégager sur cette question du financement des cabinets avec notamment Thierry Wickers, Marie-Aimée Peyron qui en a fait un engagement de sa campagne au bâtonnat de Paris, au bien encore Kami Haeri dans son rapport sur « L’avenir de la profession d’avocat » et Louis Degos au CNB. Les arrivées des nouveaux acteurs obligent les avocats à se poser ces questions.

Comment les avocats entrepreneurs peuvent-ils, selon vous, continuer à progresser ?
P. C : Il faut être capable de poser un discours économique sur la profession, de parler de choses concrètes sur l’entreprise d’avocat et échanger avec des interlocuteurs qui ont aussi cette capacité d’analyser ce marché. Ces derniers sont au ministère de l’Économie et des Finances, dans les autorités administratives indépendantes, ainsi qu’à Bruxelles. L’association a vocation à discuter dans ces différents endroits pour faire tomber les restrictions de concurrence qui pèsent sur les avocats.

La profession d’avocat a un avenir formidable à condition que l’entreprise d’avocat soit libérée 


Quels sont les effets de ces restrictions de concurrence ?
P. C. : Moins d’innovation, moins de développement, moins de rapidité d’exécution et à moyen terme un détournement évident des clients avec l’arrivée d’intermédiaires entre les avocats et les clients, ce qui existe déjà d’ailleurs. Il se crée moins d’entreprises d’avocat et les innovations sont moins pertinentes que celles de non-avocats. Par exemple, aucun avocat français n’a été capable de développer une solution de machine learning et seulement une dizaine de cabinets ont développé des solutions d’automatisation de contrats. Si les capitaux des cabinets avaient été ouverts, qui aurait été plus légitime que les avocats pour réaliser ces innovations ? Personne. Le contexte actuel dans la profession constitue une barrière forte vers l’innovation. La profession d’avocat a un avenir formidable à condition que l’entreprise d’avocat soit libérée.

Les avocats sont tout de même de plus en plus présents sur le numérique…
P. C. : Aujourd’hui le numérique est plutôt l’affaire des non-avocats que des avocats. Il est très intéressant que des avocats à titre individuel prennent des initiatives et il faut les encourager mais nous savons très bien que pour exister dans le contexte numérique actuel il est nécessaire d’ouvrir les capitaux des cabinets. En l’état actuel, des plateformes commerciales s’immiscent entre le client et l’avocat et dictent les conditions commerciales aux avocats. Ces sociétés commerciales ne font que profiter des interdictions faites aux avocats pour devenir un intermédiaire entre l’avocat et son client.

La pédagogie sur l’entreprise d’avocat ne doit-elle pas s’effectuer lors de la formation initiale ?
P. C. : Oui bien sûr. Nous pensons que la formation initiale devrait se concentrer sur deux volets : les principes essentiels et l’entreprise d’avocat. C’est le moment où il faut insuffler la culture économique de l’entreprise d’avocat et il faut débattre de choix forts, comme la notion d’entreprise individuelle. Est-elle encore viable dans un marché qui bouge autant ? Le modèle économique de nos aînés ne sera probablement pas le modèle de notre génération. Il faut expliquer aux élèves avocats ce que l’on peut faire avec une société d’avocats. Cela suppose notamment d’étudier la gestion et la comptabilité.

Le CNB a adressé 10 propositions sur la profession au président de la République, qu’en pensez-vous ?
P. C. : Aucune ne porte sur l’entreprise d’avocat. Personne ne prend en compte dans le débat professionnel l’entreprise d’avocat, c’est ce qui a motivé la création de notre association.

Votre expérience personnelle lors de la constitution du réseau d’agences d’AGN Avocats est-il l’un des fondements de cette association ?
P. C. : AGN Avocats est un exemple révélateur en effet. Le modèle AGN Avocats a déjà reçu de nombreuses validations ordinales et continue à en recevoir. Pourtant, AGN Avocats reste confronté à des blocages de principe. À Aix-en-Provence, un contentieux a été initié par l’Ordre dans des conditions étonnantes. De son côté, AGN Avocats a pris l’initiative d’un contentieux l’opposant au CNB devant le Conseil d’État sur des règles nouvelles édictées dans le RIN pour bloquer. AGN Avocats dispose d’une compilation de cinq années de blocages et malgré cela, AGN Avocats a décidé d’avancer. Les avocats entrepreneurs ne renoncent jamais.

www.lesavocatsentreprennent.fr

1. « Pour Luc qui est avocat c’est interdit ! »
AGN Avocats Entrepreneur Les Avocats entreprennent

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