Laurent Martinet : "Ce qui m’importe, c’est la continuité et l’efficacité de l’action"
Actuel vice-bâtonnier du barreau de Paris, Laurent Martinet a créé la surprise en annonçant sa candidature au bâtonnat de Paris, le 17 mars dernier. Une initiative qui, en questionnant le rôle du vice-bâtonnier, fait grincer quelques dents au sein du barreau. Laurent Martinet justifie sa démarche et évoque les sujets qui vont toucher le barreau d'affaires au cours du prochain mandat.
Pourquoi le vice-bâtonnier se présente-t-il aujourd’hui au bâtonnat ?
Laurent Martinet : L’institution a besoin d’inscrire son action dans le temps au service des confrères, que ce soit au niveau de l’international, de la formation, de l’ouverture du barreau, des Affaires publiques, mais aussi dans le cadre de nos actions pour défendre le périmètre du droit,vis-à-vis des experts-comptables ou de l’interprofessionnalité. Le vice-bâtonnier, s’il est élu, a la légitimité pour mener à bien cette action. En outre, la profession a beaucoup souffert ces dernières années d’avoir affiché des positions divergentes. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Je suis fier d’avoir contribué à ce que le Conseil national des barreaux (CNB), la Conférence des bâtonniers et le barreau de Paris s’expriment désormais d’une seule voix. Et cela doit continuer.
Votre candidature ne revient-elle pas à remplacer le dauphin par le vice-bâtonnier ?
L.M. : Non. Si je suis élu, je serai vice-bâtonnier pendant les six mois qui précéderont mon entrée en fonction et continuerai à travailler aux côtés du bâtonnier. Cela ne pose pas de problème.
Cela ne risque-t-il pas de constituer un précédent pour l’ensemble des futurs vice-bâtonniers ?
L.M. : Je pense qu’il est dans l’ordre des choses que le vice-bâtonnier puisse désormais se présenter au bâtonnat. J’initie ce qui deviendra un usage dans les prochaines années et ne choquera plus personne. Je tiens à préciser que si j’étais élu, je nommerai immédiatement une commission chargée de rendre un rapport sur le vice-bâtonnier, son statut et ses fonctions précises. Ce rapport sera évidemment transmis au CNB. Lorsque j’ai annoncé ma candidature au bâtonnat devant le conseil de l’Ordre, j’ai déclaré solennellement que je renonçais à tous les moyens liés à ma fonction de vice-bâtonnier et j’ai demandé à la commission chargée des élections de fixer le cadre de mes interventions. Mais cela ne doit pas se faire au cas par cas. C’est un travail de gouvernance qui doit être mené à son terme.
"Je ne suis pas un apparatchik, ni un politique de l’institution"
Que répondez-vous aux critiques qui voient dans votre candidature une façon d’accaparer le pouvoir au sein du barreau ?
L.M. : Que je ne suis pas un apparatchik, ni un politique de l’institution ! Je suis un avocat et un opérationnel au service des confrères : je souhaite porter une ambition pour notre barreau et mener des actions concrètes et pérennes. Certains me conseillent de laisser passer ce bâtonnat et de revenir dans deux ans. Cela n’a pas de sens. Ce qui m’importe, c’est la continuité et l’efficacité de l’action.
Comment Pierre-Olivier Sur, l’actuel bâtonnier, a-t-il réagi à votre candidature ?
L.M. : Je ne peux m’exprimer en son nom, mais il me semble qu’il voit cette candidature d’un œil bienveillant. Notre unité et notre amitié nous ont permis d’inscrire dans le temps les rôles de bâtonnier et de vice-bâtonnier. Néanmoins, il a expliqué devant le conseil de l’Ordre qu’il resterait neutre et assurerait un parfait respect des institutions.
Pourquoi avoir choisi Marie-Alix Canu-Bernard comme candidate au vice-bâtonnat à vos côtés ?
L.M. : Nous sommes complémentaires. Marie-Alix Canu-Bernard représente le barreau traditionnel et le droit pénal, et pour ma part, le barreau d’affaires dans ses activités de conseil et de contentieux . Notre tandem est à l’image de la parité homme/femme, valeur qui m’est chère et que nous avons portée Pierre-Olivier Sur et moi durant ce mandat.
"Je suis opposé au démembrement du secret professionnel"
Concernant vos positions pouvant intéresser plus particulièrement le barreau d’affaires, que pensez-vous de la nouvelle direction prise par l’AFJE et le Cercle Montesquieu en faveur de la reconnaissance de la confidentialité des avis des juristes d’entreprise ?
L.M. : Je suis opposé au démembrement du secret professionnel et à la création d’une nouvelle profession réglementée de juristes d’entreprise. Si le thème de l’avocat en entreprise devait revenir, je souhaite que ce soit par le biais de la Chancellerie et non de Bercy. C’est le seul moyen de s’assurer du respect fondamental et impérieux de nos valeurs essentielles pour qu’un projet de ce type puisse être admis par nos confrères, auprès desquels il faut mener un travail de pédagogie. Le débat doit revenir dans son intégralité, pas uniquement par le prisme de la confidentialité. Mais après les derniers mois que nous avons passés, il faut laisser passer un peu de temps. Ensuite, quand la Chancellerie nous aura présenté son projet, je me prononcerai en fonction de la position de notre barreau. Mais là-encore, les avocats doivent parler d’une seule voix.
Quelle est votre position sur la taxation des cabinets d’avocats comme moyen de financer l’aide juridictionnelle ?
L.M. : Le financement de l’aide juridictionnelle est un vrai chantier que l’on doit mener avec la Chancellerie. Par principe, je suis opposé à la taxation de quelques cabinets. Le barreau d’affaires fait déjà beaucoup : il dédie de son temps aux missions d’accès au droit, par le biais notamment du pro bono, et participe à l’équilibre financier de la CARPA, en y déposant de façon plus systématique les fonds qu’il manie, comme nous l’y avons invité, Pierre-Olivier Sur et moi-même.
Craignez-vous que le plan de lutte contre le financement du terrorisme, sur lequel le gouvernement travaille, revienne à remettre en cause le mécanisme français de déclaration de soupçon ?
L.M. : Nous devons être d’une vigilance absolue pour que le principe du filtre du bâtonnier ne soit pas remis en cause. Notre position ne doit pas changer. La défense du secret doit être absolue, que ce soit dans ce domaine ou dans celui des perquisitions de cabinets d’avocats, de plus en plus nombreuses. C’est pourquoi je n’entends pas qu’il y ait un démembrement du secret.
Vous avez évoqué les experts-comptables. Quelle est votre position sur la défense du périmètre du droit ?
L.M. : Je vais me battre pour que les experts-comptables ne puissent pas assurer de prestations juridiques. Ce serait une tragédie, non seulement pour notre profession, mais bien au-delà, que le droit puisse être l’accessoire d’une prestation comptable. Nous mènerons un lobbying très fort sur ce sujet et ce, en parfait accord avec le CNB et la Conférence des bâtonniers.
Propos recueillis par L.G.
Avocat depuis 1991, Laurent Martinet est associé en Contentieux au sein du cabinet Jones Day. Il a été membre du conseil de l’Ordre en 2008 puis secrétaire de la Commission Internationale en 2010 et enfin conseiller du bâtonnier aux affaires internationales en 2011. En 2012, il a été élu vice-bâtonnier du barreau de Paris aux côtés de Pierre-Olivier Sur. Avocate également depuis 1991, Marie-Alix Canu-Bernard a créé le cabinet Canu-Bernard, qu’elle dirige depuis 1998. Elle est spécialisée en droit pénal. Elle a été membre du conseil de l'Ordre de 1991- à 1993, et Vice-Présidente de l’Institut de droit pénal.
Pour en savoir plus sur leur candidature, consultez leur site de campagne.
Les élections au bâtonnat et au conseil de l'Ordre auront lieu les 23 et 25 juin 2015 pour une prise de fonction au 1er janvier 2016. Dans le cadre de la campagne au bâtonnat du barreau de Paris, retrouvez également :
- l’interview de David Gordon-Krief et d’Hubert Flichy ;
- l'interview de Frédéric Sicard et Dominique Attias ;
- l'interview de Nicolas Lerègle et Nathalie Attias ;
- l'interview de Benoît Chabert et Philip Cohen ;
- l'interview de Patrice Rembauville-Nicolle.
Sont aussi candidats au bâtonnat 2016 du barreau de Paris : Jean-Louis Bessis, Isabelle Dor, et Guy Fitoussi.