Une enquête décortique la qualité de vie au travail de l’avocat parisien
Cet article est paru dans la LJA 1217 du 13 juillet 2015
Fier de son métier, satisfait de ses conditions matérielles d’exercice, mais surchargé de travail et insuffisamment épaulé par ses confrères et managers. Tel est le portrait de l’avocat parisien qui ressort d’une enquête sur la qualité de vie au travail, présentée le 7 juillet 2015 au conseil de l’Ordre de Paris.
Une petite trentaine d’avocats, les yeux fermés, concentrés sur le flux d’air frais entrant et sortant de leurs narines. Puis, à l’invitation de la voix grave de leur guide, découvrant soudain la vie battant dans leurs pieds. Une secte ? Non, des participants à la séquence sur la qualité de vie au travail organisée dans le cadre de Campus, à l’École de formation des barreaux (EFB), le 7 juillet dernier. Et une mini-méditation improvisée, dirigée par Jonathan Lehmann, ancien confrère en cabinet d’affaires, devenu « happiness coach » et spécialiste des méditations guidées. En quelques années – et surtout depuis la parution, en 2011, du rapport sur les risques psychosociaux en entreprise coordonné par le sociologue Michel Gollac –, la question de la qualité de vie au travail (QVT) a été érigée au rang de préoccupation institutionnelle dans les entreprises. En sera-t-il bientôt de même chez les avocats ? À 97 %, ceux-ci tiennent en effet désormais la QVT pour un sujet stratégique, comme le révèle une enquête présentée mardi soir au conseil de l’Ordre parisien. Laquelle met en relief les importantes marges de progression existant en la matière pour la profession.
Résultats saisissants
Conduite sur Internet, l’enquête a récolté 1 460 réponses, « auxquelles s’ajoutent les questionnaires papier collectés en mars à l’occasion de la Journée du Bonheur », précise Karine Mignon-Louvet, associée-gérante du cabinet Bourgeois Rezac Mignon et membre du conseil de l’Ordre, en charge de la commission Qualité de vie et du pôle Solidarité. Une proportion d’autant plus significative que les répondants présentent un profil assez comparable à celui du barreau : 70 % de femmes, 61 % d’avocats exerçant dans des petites structures, et 51 % de collaborateurs.
Qualité des relations de travail, environnement physique, possibilités de réalisation et de développement personnel, respect de l’égalité professionnelle, contenu et organisation du travail… Le questionnaire s’est attaché à balayer tous les grands déterminants de la QVT. Son exploitation produit des résultats saisissants : au top de la satisfaction, le cadre de travail, les valeurs et le sens du métier. Tout en bas du classement, la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle, la diversité et l’égalité professionnelle hommes-femmes.
Conditions matérielles
Sans surprise, les avocats interrogés apparaissent fiers et satisfaits de leur métier qu’ils jugent riche et valorisant, et qui s’exerce dans de bonnes conditions matérielles. « J’apprécie la polyvalence du métier d’avocat », « Mon travail est intéressant et porteur de sens », « Les locaux dans lesquels je travaille sont agréables et sûrs », « Mon temps de transport domicile-travail est satisfaisant », ou encore « Mon espace de travail est ergonomique », figurent ainsi parmi les dix items les plus satisfaisants.
Mais la charge de travail pèse lourdement sur le moral des répondants, aggravée par le temps perdu à attendre les audiences, vainqueur haut la main du classement des éléments les moins satisfaisants. Difficile dans ces conditions de concilier activité professionnelle et vie personnelle. Et les femmes semblent payer un tribut particulier à cette exigence d’investissement : la question de l’égalité hommes-femmes apparaît en effet en deuxième position dans la liste des sujets problématiques, les consœurs estimant jouir de « chances d’évolutions » inférieures. Les répondants pointent également un niveau de rémunération ne correspondant pas à leurs attentes, et une reconnaissance insuffisante des efforts fournis. Faut-il s’en étonner ? Dans ces conditions, les perspectives de développement et de réalisation personnelle apparaissent bien incertaines. « D’ailleurs, tous barreaux confondus, la moitié des jeunes avocats quittent la profession dans les cinq premières années », rappelle Karine Mignon-Louvet.
Management vertical
Les cabinets ont-ils pris la mesure de ces enjeux, déterminants pour l’attractivité, et du risque de déperdition des talents ? En partie seulement, si l’on en croit les résultats de l’enquête parisienne. D’un côté, la qualité des relations d’équipe figure dans la liste des motifs de satisfaction. De l’autre, les répondants affirment se sentir bien seuls pour faire face au stress élevé induit par leur activité, dans des cabinets négligeant de partager leur vision avec leurs équipes, pratiquant toujours un management vertical et où l’information ne circule pas « de manière fluide et transparente ». Autant d’indicateurs qui devraient alerter les managers… et les inciter à renouveler en profondeur leurs pratiques.
Clémence Dellangnol