Denis Raynal, président de l'ACE, sur l'avocat en entreprise : "nous irons voir les pouvoirs publics sans le CNB"
Cette interview a été publiée dans son intégralité dans la LJA 1249 du 29 mars 2016 (abonnés)
Président de l'Association des avocats conseils d'entreprise (ACE) depuis quatre mois, Denis Raynal a notamment hérité du dossier de l'avocat en entreprise. Un serpent de mer sur lequel il entend enfin aboutir. Rencontre.
L’assemblée générale du CNB des 11 et 12 mars derniers a adopté le rapport du groupe de travail « Legal privilege – avocats et besoins des entreprises », présidé par Leila Hamzaoui (lire notre article du 23 mars 2016 : Le CNB propose d’autoriser l’exercice libéral de l’avocat en entreprise ). Ce document vise à encadrer l’exercice libéral de l’avocat dans l’entreprise. Quelle est votre position sur le sujet ?
Denis Raynal : La proposition n’est pas satisfaisante car, premièrement, elle n’apporte aucune réponse sur la problématique du legal privilege au regard des directions juridiques en place. Nous vivons une rupture absurde de la chaine de confidentialité à laquelle la profession refuse d’apporter remède. Deuxièmement, elle n’est pas novatrice puisqu’exercer en libéral pour une entreprise, c’est ce que les avocats font tous les jours. Dans les entreprises qui n’ont pas les moyens d’avoir un directeur juridique, ces derniers ont déjà au quotidien l’oreille de la direction générale. Enfin, la proposition est contreproductive puisqu’en réalité, elle permet à un juriste d’entreprise qualifié (CAPA, passerelle) d’installer son cabinet au sein de l’entreprise, de pouvoir plaider pour elle et d’étendre son activité aux clients de cette dernière – alors que c’était exclu dans différents projets alternatifs proposés. Cette proposition est ainsi susceptible de placer l’avocat dans un état de dépendance économique vis-à-vis de l’entreprise bien plus fort encore que le lien de subordination du contrat de travail puisque sans la protection du droit du travail. Elle crée aussi la possibilité pour de plus grands cabinets d’ouvrir des succursales en entreprise, de s’associer les services d’un avocat implanté dans l’entreprise, voire du directeur juridique redevenant avocat libéral, pour prendre tout le marché du droit de cette entreprise (et de ses clients ou partenaires, sans limitation autre que le conflit d’intérêt) au détriment de tous les cabinets indépendants ou de niche intervenant avant pour cette entreprise. Et cela est également vrai au sein d’une grande entreprise d’audit, d’une banque ou d’une compagnie d’assurances. Les opposants à l’avocat salarié en entreprise risquent donc aboutir exactement au résultat qu’ils redoutaient, sans garde-fous !
Préalablement aux débats de l’assemblée générale du CNB, l’ACE avait envoyé un rapport, que vous avez rédigé, émettant des contre-propositions. Quel était le sens de cette démarche ?
D.R. : Nous avons essayé de rédiger un rapport faisant table rase des débats qui ont empoisonné la profession ces dernières années pour revenir aux raisons d’être du projet d’avocat en entreprise : la confidentialité des échanges des professionnels du droit au bénéfice de l’entreprise, le maintien en France des directions juridiques, l’évitement d’une nouvelle profession réglementée de juristes d’entreprise, la prise en compte de la nécessaire évolution de carrière de l’avocat... Afin de dépassionner les discussions et d’apurer le raisonnement, nous avons proposé de distinguer le titre de l’exercice, en appelant ces juristes d’entreprises dotés de la confidentialité de leurs échanges non pas « avocat en entreprise » mais « juristes admis au barreau ». Nous avons également proposé de leur faire prêter serment afin qu’ils soient soumis au respect des principes essentiels de la profession, tout en les inscrivant au Tableau sous un volet B réservé, comme les juristes admitted to the Bar anglo-saxons.
Comment ces propositions ont-elles été accueillies par les associations de juristes d’entreprise (AFJE, Cercle Montesquieu) ?
D.R. : Bien. Elles ont été perçues comme le signe qu’elles pouvaient recommencer à travailler sur le sujet du legal privilege avec les avocats.
Ces propositions ont néanmoins été rejetées par l’assemblée générale du CNB. Quelles vont être les prochaines étapes pour vous ?
D.R. : L’ACE et les associations de juristes d’entreprise iront voir les pouvoirs publics sans le CNB. Nous voulons aller vite. Bercy y est favorable et nous souhaitons convaincre la Chancellerie que le projet de loi J21 pourrait constituer le bon véhicule législatif.
L’assemblée générale du CNB a en revanche voté en faveur de l’encadrement de l’avocat détaché en entreprise. Qu’en pensez-vous ?
D.R. : Nous ne sommes pas opposés à cet encadrement d’une pratique courante qui ne posait pas de problème mais, pas plus que le statut d’avocat indépendant dans l’entreprise, il ne répond aux problématiques du legal privilege.