3 questions à Michel Benichou, Président du CCBE depuis le 1er janvier 2016
Le bâtonnier Michel Benichou, élu le 30 novembre 2014 à la présidence du Conseil des barreaux européens (CCBE), a officiellement pris ses fonctions le 1er janvier 2016 pour un an. L'occasion de faire le point sur son programme à la tête du CCBE.
Quels sont les grands axes de travail de réflexion du CCBE en 2016 ?
Michel Benichou : Les dossiers seront variés et nombreux pour 2016. Ils concerneront, notamment, les questions qui agitent actuellement l’Europe. Les migrants et le droit d’asile ainsi que la préservation de l’espace Schengen sont au centre des débats, y compris juridiques. Le CCBE souhaite que les avocats interviennent dès les hot spots, que le droit d’asile soit plus fortement partagé et harmonisé, et que les avocats soient plus formés et offensifs en ces matières. Partout, on constate la multiplication des lois sécuritaires aux fins de lutter contre le terrorisme. Comme citoyens, nous aspirons à la sécurité. Comme avocats, nous devons être vigilants et veiller à ce que ces lois respectent l’État de droit. Si nous diminuons l’exercice des libertés, ce sera une première victoire pour les terroristes. Le CCBE sera donc vigilant.
Par ailleurs, sur le plan économique, la Commission européenne relance l’idée de déréglementation au travers du marché unique. On cible une nouvelle fois les professions règlementées. Nous devons faire valoir que toute règlementation justifiée et proportionnelle correspond, au contraire, à une protection des droits des consommateurs et que les modifier est dangereux et inutile. Les directives avocats sont toujours concernées par certaines velléités de modifications au travers des thèmes de multidisciplinarité, d’activité salariée des avocats et d’ouverture aux capitaux extérieurs dans les structures d’avocat. Nous devrons rappeler que ces directives ont parfaitement fonctionné.
Par ailleurs, nous aurons – même si la Commission a décidé de baisser le nombre de normes publiées et d’éviter les interventions tous azimuts – des directives en matière de consommation, de droit des sociétés (gouvernance). Il est question d’une 5e directive blanchiment alors même que l’encre de la 4e est à peine sèche. C’est assez étonnant. Je ne vois pas les rajouts possibles mais l’imagination de certains est sans limites en cette matière.
La protection des données personnelles contre les atteintes des États et du marché est essentielle. Nous serons actifs par des propositions.
La question essentielle concernera l’accès à la justice. Cela devient de plus en plus compliqué avec la baisse des budgets nationaux consacrés à l’aide légale et au système judiciaire ainsi qu'à l’augmentation des frais de justice. Les restrictions budgétaires touchent, dans certains pays, le financement de la justice. Les délais deviennent déraisonnables, l’accès des classes moyennes à la justice devient impossible, les plus démunis ne peuvent avoir accès à un juge que grâce au dévouement des avocats.
Par ailleurs, nous serons attentifs au programme e-justice de la Commission européenne.
Enfin, la négociation du traité transatlantique entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis se poursuit. La Commission européenne en est chargée. Il y aura un volet concernant les services juridiques. Le CCBE a élaboré – en liaison avec la Commission – un projet d’offres concernant les services juridiques. Il doit être soumis au vote des délégations du CCBE.
Tels sont les points principaux de l’année 2016. Mais nous savons que l’actualité dominera et que, au fur et à mesure, de nouvelles questions apparaîtront. Le CCBE est un interlocuteur essentiel des institutions européennes. Il est donc saisi des projets de directives aux fins de recommandations et d’avis. Nous exercerons tout notre rôle de représentation des avocats et de défense des citoyens et de l’État de droit.
Quelle place occupe le barreau français au sein de cette institution ?
M. B. : Il existe 32 membres effectifs, adhérents au CCBE. Il s’agit des 28 barreaux de l’UE, des trois barreaux de l’Association de libre échange et de la Suisse. Nous avons également trois membres associés (les trois barreaux dont les pays demandent l’adhésion à l’UE) et 10 membres observateurs qui vont du barreau d’Andorre ou de San Marin à la Chambre fédérale des avocats de Russie ou la Géorgie.
Le barreau français occupe toute sa place. C’est une délégation importante par le nombre (six) mais surtout par l’influence. De nombreux comités sont présidés par des avocats français (délégation pour la Cour européenne des droits de l’Homme de Strasbourg, comité des services juridiques internationaux, droit de la famille…). Les avocats français détiennent également des vice-présidences de comités très importants (déontologie, comité des pays de l’Est…).
La délégation française a soutenu et a participé à la création de la Fondation des avocats européens dont le siège est à La Haye et qui a pour objet de porter les projets qui peuvent concerner les avocats européens mais également les citoyens. De nombreuses réalisations ont déjà été mis en œuvre par le CCBE et d’autres projets sont en cours en Europe ou à l’international (annuaire européen, reconnaissance de l’avocat en cas de dématérialisation des procédures…).
La délégation du barreau français, menée par Thierry Wickers, travaille en liaison avec les délégations qui veulent donner au CCBE toute son importance et permettre des travaux et des réflexions importantes pour les avocats et citoyens.
Enfin, le CCBE travaille dans les deux langues, français et anglais, et cela renforce le rôle de la délégation des barreaux de France comme animatrice de l’expression francophone.
Dans quelle mesure les cabinets d’avocats d’affaires participent-ils aux travaux et réflexions au sein du CCBE ?
M. B. : Il existait un comité spécifique dénommé « grands cabinets d’affaires » qui réfléchissait aux questions spécifiques pouvant intéresser ces firmes. Toutefois, nous nous sommes rapidement aperçus qu’il s’agissait des mêmes problèmes que ceux qui concernaient l’ensemble des avocats européens. Aujourd’hui, les avocats d’affaires sont très nombreux à participer aux travaux du CCBE, d’une part dans la présidence (la présidente sortante, Maria Slazak, est une avocate d’affaires, conseil juridique en Pologne, le premier vice-président de 2016 est un solicitor écossais, R. Gemmel), d’autre part dans les délégations européennes qui sont animées par des avocats d’affaires ou qui comportent, en leur sein, des avocats d’affaires (délégation française notamment mais également les délégations du Royaume-Uni, d’Allemagne, les délégations scandinaves…). Leur influence est réelle dans certains comités comme le comité « droit des sociétés », le comité « responsabilité sociale des avocats », le comité « déontologie » ou « services juridiques internationaux »… Ils sont également présents comme experts dans ces comités et apportent énormément par leurs connaissances juridiques mais également leur expérience.
Je regrette donc que, souvent, les avocats d’affaires – comme d’autres – ne s’intéressent pas davantage aux travaux du CCBE et en ignorent les propositions. Les rapports publiés – de belle qualité – pourraient certainement les intéresser (voir le site internet du CCBE).
Propos recueillis par Julie Marchand