Modèle entrepreneurial : la bonne parole de Jean-Pierre Martel
«Jamais la situation n’a été aussi favorable pour les avocats à Paris qu’en ce moment car Paris est la première place de droit au monde. Je suis optimiste pour les cabinets comme les vôtres. » C’est le message résolument positif que le bâtonnier de Paris, Pierre-Olivier Sur, a délivré aux fondateurs de cabinets d’affaires indépendants, réunis pour la première master class du think tank Cabinets de croissance, le 1er décembre dernier à la Bibliothèque de l’Ordre des avocats.
Un message que l’invité du jour, Jean-Pierre Martel, associé fondateur d’Orrick Rambaud Martel, a quelque peu tempéré. Car si ce ténor du M&A, qui a participé au développement du droit des affaires en France, n’a eu de cesse d’être animé par l’esprit entrepreneurial au cours de sa vie (parallèlement à sa carrière d’avocat, il a participé à la création de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, et à celle de Horse a lot, le réseau social imaginé par sa fille pour les cavaliers), il a reconnu d’emblée que le marché était devenu beaucoup moins porteur pour les jeunes avocats que lors de la création de son cabinet en 1977. « À l’époque, ce qui avait été le plus compliqué pour moi, c’était d’avoir le téléphone. Il fallait trois ans pour avoir une ligne de téléphone fixe à Paris.»
Choisir son modèle
Autre temps, autre mœurs : aujourd’hui, c’est d’abord à la recherche du bon créneau que les créateurs de cabinet doivent se lancer. « Il ne faut pas être béatement optimiste quand on est chef d’entreprise, mais être réaliste et choisir son modèle », a prévenu Jean-Pierre Martel. Ainsi, pas question pour les jeunes générations de mélanger dans leur offre commodities (prestations pouvant être standardisées) et services qualitatifs. « Les mêmes professionnels ne peuvent pas faire les deux. Il faut positionner sa marque », a-t-il poursuivi. Mieux équipés en interne, les clients ont aujourd’hui accès à une multitude d’informations. Les contrats, les financements, les schémas fiscaux et même les LBO sont désormais touchés par le phénomène de banalisation. « Aujourd’hui, il faut se lever tôt pour être créatif, car dès que l’on crée quelque chose, on est immédiatement rattrapé par la réglementation, et le client aspire à avoir une référentiel », a regretté Jean-Pierre Martel. Les secteurs porteurs ? Le contentieux, qui reste la chasse gardée des avocats – « on n’apprend pas sur Internet comment traiter un juge » –, et le transactionnel, qui constitue un véritable enjeu : « Quand le dossier devient complexe, exceptionnel, voire international, l’entreprise ne peut pas le traiter en interne, a soutenu Jean-Pierre Martel. Il faut alors que le cabinet soit équipé et que l’avocat se dédie au client de jour comme de nuit. » Et de confesser un message difficile à entendre pour des générations qui veulent allier vie privée et professionnelle : « Moi, je n’ai jamais trouvé l’équilibre entre les deux. Le déséquilibre s’est fait au profit de mon cabinet. »
Démarche d’acheteurs
Assumer ses choix, adapter sa structure, mais aussi savoir faire évoluer ses tarifs : tel est le triptyque que les avocats doivent donc garder à l’esprit. Jean-Pierre Martel n’a ainsi pas mâché ses mots sur le recours au taux horaire : « C’est un outil de gestion interne, pas de facturation.C’est une absurdité. Le modèle est mort depuis le second semestre 2007, au moment de la crise. Nous sommes maintenant dans un marché d’acheteurs, où la concurrence est sous-occupée ». Contrairement à certaines firmes américaines qui gravent dans le marbre de leur hall d’entrée le nom de leurs plus fidèles clients, les cabinets français peuvent en effet rarement compter sur la fidélité séculaire de leur clientèle.D’où l’importance de rester à son écoute. Une attention dont doivent également bénéficier à les collaborateurs : « L’avocat a un esprit individualiste avec un égo surdimensionné. Mais seul, on n’existe pas dans cette profession, a admis Jean-Pierre Martel. La difficulté consiste à bâtir une équipe et faire monter les jeunes.Il faut les former, leur consacrer du temps, accepter qu’ils ne soient pas rentables tout de suite, et ne pas les cantonner à une seule matière ». Et d’ajouter à propos des associés : « L’ouverture vers les autres est en permanence essentielle.Dans les structures actuelles, la pression du temps, les tensions, l’agressivité rendent plus difficile cette empathie ».
L.G.
Cabinets de croissance
Président : Jean-Georges Betto (betto seraglini).
Administrateurs : Arthur Dethomas (Dethomas Peltier Juvigny & Associés), Daniel Villey (Villey Girard Grolleaud), Olivier Loizon (Scemla Loizon Veverka & de Fontmichel), Olivier Laude (Laude Esquier Champey) et Antoine Beauquier (Boken).
Membres : Philippe Goosens (Altana), Éric Deprez (Deprez & Perrot), Benjamin Chouai (Saul Associés), Dominique Bordes (Rossi Bordes), Alexandre Limbour (Chemarin & Limbour), Caroline Mirieu de Labarre (MirieuSauty) et Nathalie Meyer Fabre (Meyer Fabre Avocats).
À noter que le think tank, majoritairement masculin, lance un appel à candidatures de créatrices de cabinets de droit des affaires.