Les mouvements d’avocats peu impactés par la crise
La communauté juridique attendait avec impatience la publication du baromètre annuel de Day One sur les mouvements d’associés dans les cabinets d’avocats d’affaires. Comme à son habitude, la LJA en révèle les résultats en avant-première. Retour sur une année très particulière, à de nombreux égards.
L’année 2020 avait plutôt bien débuté. Bryan Cave Leighton Paisner avait doublé de taille à Paris en recrutant une équipe spécialisée dans le secteur immobilier en provenance du cabinet Franklin. Hogan Lovells accueillait Étienne Drouard et son équipe pour faire du département Données personnelles et cyber-criminalité l’un des plus puissants de la place. Et l’américain Sideman & Bancroft s’implantait en France avec le soutien de Béatrice Martinet, associée spécialisée en propriété intellectuelle. Tout allait bien dans le meilleur des mondes ! Le baromètre Day One de 2019, publié au début du mois de février 2020, révélait même « une explosion des mouvements » avec 340 changements de cabinets, un chiffre en croissance de 33 % par rapport à 2018.
Depuis, la situation s’est un peu corsée…
307 mouvements d’associés enregistrés en 2020
Les mois de printemps ont été très calmes. Le confinement a porté un coup d’arrêt brutal aux velléités de départs. Les quelques mouvements qui ont quand même eu lieu étaient prévus depuis plusieurs mois, comme celui de l’équipe sociale de Nicolas Mancret chez Jeantet ou encore de Guilhem Bremond chez Paul Hastings. Mais l’accalmie n’a été que passagère, comme le révélait la rédaction dans le magazine LJA de septembre dernier.1 Car la crise sanitaire a exacerbé les tensions entre associés, au sujet bien sûr des questions financières, mais aussi de gouvernance et de management des équipes. Et en définitive, le baromètre Day One de 2020 tend à confirmer ces analyses. Avec 307 mouvements recensés durant les douze derniers mois, l’année 2020 est un deuxième plus haut historique (cf. graphique).
Précisons tout d’abord que le baromètre Day One fonde ses données sur les informations transmises à la presse par les cabinets. Or il est indéniable que ces derniers communiquent de plus en plus, particulièrement sur la création de leur structure. Il est à ce titre intéressant de noter qu’un mouvement d’associé sur trois est à destination d’un nouveau cabinet (créé en 2019 ou en 2020). Une tendance qui concernerait majoritairement les femmes. L’étude révèle en effet que « 38 % des mouvements de femmes se sont portés vers de nouveaux cabinets, contre seulement 30 % des mouvements d’hommes ». De nombreuses boutiques ont été fondées par d’anciens associés de grandes structures désireux de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale. Parmi ceux-ci Perchet Rontchevsky & associés, Berry Avocats, Damman-Avocat, Ollyns, Nabarro Béraud Avocats, Karman Associés, sans oublier Tamaris Avocats ou encore Fides Partners.2
Une offre employeur plus large
Du point de vue du marché des cabinets, cet éclatement des structures permet l’émergence de cabinets de niche, ou de boutiques. « En conséquence, le nombre de cabinets de destination a fortement augmenté », indique Jérôme Rusak, associé du cabinet Day One qui pilote le baromètre depuis seize ans. Entre 2011 et 2018, 118 cabinets étaient en moyenne concernés par des arrivées d’associés. Ce chiffre a bondi à plus de 160 depuis deux ans. « L’offre employeur est plus large. L’enjeu est donc aujourd’hui de fidéliser les équipes », remarque ce dernier. Particulièrement face aux nouvelles générations, moins attachées à l’appartenance à une marque, ou à l’intuitu personae, et plus attentive à faire avancer leur carrière et surtout la rémunération en sautant de cabinets en cabinets, voire en créant leur structure.
Et alors que le début de la génération millenials est désormais en âge de devenir associé, les structures traditionnelles feraient bien d’être attentives à leur capacité de rétention de leurs rising stars. Sur ce terrain, ce sont les équipes de Business development qui sont à la manœuvre. Dans une enquête menée en 2019, la LJA écrivait que ces dernières manifestaient leur désir d’innover. « Oser de nouvelles méthodes de gouvernance vers plus de collectif, oser de véritables stratégies RH pour attirer et retenir les talents, oser le "purpose" pour faire adhérer à la vision du cabinet, pour impliquer plus et mieux, en motivant autrement que par des avantages financiers. Avec comme effet vertueux une logique d’employee advocacy pour que la marque mobilise chacun et en fasse des ambassadeurs dans leur vie professionnelle mais également sur les réseaux sociaux et dans leur vie de tous les jours. »3
Les jeunes de plus en plus attirés par l’entrepreneuriat
L’étude révèle que 42 % des collaborateurs qui ont changé de cabinet pour devenir associés ont rejoint une structure créée en 2020 ou ont fondé eux-mêmes leur boutique. La liste est longue, mais l’on citera par exemple Urbanista Avocats fondé par Mélyssa Carré, une ancienne de Frêche & Associés, LDA crée par Lucille Detwiler, ancienne avocate en droit social chez Osborne Clarke, ou encore l’inoubliable MACK Avocat dédié aux industries de la santé et ouvert par Marc-Antoine Chrétien-Kimmel, ancien de Dentons. « Ce chiffre est un record historique », note Jérôme Rusak. Et de s’interroger : « L’entrepreneuriat a-t-il été perçu en 2020 comme une opportunité ou comme une nécessité pour devenir associé ? » La question est légitime puisque l’on sait que certaines cooptations ont été repoussées à des jours meilleurs, de peur de voir le gâteau diminuer un peu plus dans une année qui, pour certains, a été compliquée financièrement.
Les Anglais ont moins recruté de femmes
Quelque 65 % des mouvements ont classiquement concerné des avocats déjà associés dans leur ancienne structure. Le corporate/M&A a, sans surprise, été la spécialité la plus recherchée. Plus inattendu, la pratique fiscale a battu un record de mouvements d’associés (47 départs). La spécialité immobilière a également été recherchée (28 mouvements), tout comme le droit pénal des affaires (23). En revanche, le social, le contentieux et le private equity ont un peu moins attiré.
Il sera noté que 40 % des départs concernaient des femmes. « La contribution des cabinets français dans l’accueil des associées femmes s’est accrue de 76 % à 82 %, indique l’étude. Les cabinets américains ont accueilli 11 % des mouvements d’associées femmes. » En revanche, les enquêteurs révèlent que les cabinets anglais n’ont recruté que quatre femmes en 2020, contre 11 en 2019. Depuis 2010, jamais les cabinets anglais n’avaient recruté aussi peu de femmes. Une donnée surprenante et qui ne s’explique pas par un quelconque effet Brexit. La sortie de l’UE par le Royaume-Uni devrait bien au contraire encourager les firmes anglaises à renforcer leurs bureaux continentaux. À l’image de l’implantation récente d’Addleshaw Goddard par une équipe de sept associés, dont une femme, Cécile Terret. D’autres mouvements se préparent. Et l’on attend de voir si les bureaux parisiens des grands Linklaters, Freshfields ou encore Clifford Chance réussiront à attirer, en 2021, de nouvelles associées en provenance d’autres cabinets.
Notes :
1. Mercato des avocats : les grandes manoeuvres se préparent. Magazine LJA 68.
2. Les 10 plus beaux cabinets créés durant l’année 2020. La lettre LJA 1472.
3. BD & Marketing : pourquoi il faut savoir oser. Magazine LJA 61, page 4.