Vers une nouvelle directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux
La cadre juridique de la responsabilité du fait des produits défectueux est en passe de se moderniser sur la base d’une proposition de la Commission européenne qui, à ce jour, a fait l’objet de quatre sessions de discussion devant le Conseil de l’Union européenne et pourrait prochainement être transmise au Parlement européen.
L’ évaluation de la directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux de 1985 a conclu que celle-ci ne garantissait plus un juste équilibre entre les intérêts des fabricants et des victimes et que son application aux problématiques issues de la révolution du numérique et de la transition écologique pouvait être source d’incohérences et d’insécurité juridique.
En conséquence, le 28 septembre 2022, la Commission européenne a publié une proposition de directive qui, tout en préservant le principe d’une responsabilité objective, sans faute, vise à mettre à jour et à remplacer la directive de 1985 (la « proposition »)1.
En premier lieu, elle redéfinit la notion de « produit », afin d’y inclure les logiciels (par exemple les systèmes d’exploitation, les applications ou les systèmes d’intelligence artificielle), les « fichiers de fabrication numérique », c’est-à-dire ceux contenant les informations fonctionnelles nécessaires à la production d’un élément corporel par une machine autonome telle qu’une imprimante 3D, ainsi que les services numériques dits intégrés à un produit ou interconnectés avec celui-ci de telle sorte que l’absence du service empêcherait l’exécution de l’une de ses fonctions (la proposition de directive prend pour exemple la fourniture continue de données relatives au trafic au sein d’un système de navigation) et, par souci de sécurité juridique, l’électricité.
En deuxième lieu, la proposition autorise la réparation des dommages causés par la perte ou la corruption de données, ceux causés à la santé psychologique, mais également, et contrairement à la directive de 1985, ceux d’une valeur inférieure à 500 € causés à un bien autre que le produit défectueux lui-même.
En troisième lieu, la proposition requiert toujours que la victime démontre l’existence d’un dommage réparable, la défectuosité du produit et le lien de causalité entre les deux, mais lui facilite l’administration de ces preuves par l’instauration de trois présomptions simples. Une première présomption de défectuosité en cas de non-respect par le défendeur d’une nouvelle injonction de divulgation de preuve ordonnée par un tribunal à la demande de la victime, d’absence de conformité du produit aux exigences de sécurité obligatoires destinées à protéger contre le risque du dommage survenu, ou de dysfonctionnement manifeste du produit. Une deuxième présomption de lien de causalité lorsque le dommage causé est d’une nature généralement propre au défaut en question. Une troisième présomption de défectuosité et/ou de lien de causalité lorsque la victime rencontre des difficultés excessives, en raison d’une certaine complexité technique ou scientifique, pour en ramener la preuve.
En quatrième lieu, la proposition entend garantir le droit à réparation aux victimes, y compris lorsque le fabricant est situé en dehors de l’UE. Pour ce faire, elle introduit un nouveau mécanisme en cascade par lequel, dans cette situation, les victimes peuvent engager la responsabilité de l’importateur et du mandataire du fabricant et, dans le cas où ceux-ci seraient établis en dehors de l’UE, celle du « prestataire de services d’exécution des commandes », c’est-à-dire celui qui assure un service d’entreposage, de conditionnement, d’étiquetage ou d’expédition. Subsidiairement, si ce prestataire est établi en dehors de l’UE (ou si le fabricant ne peut pas être identifié), les victimes peuvent rechercher la responsabilité du distributeur, voire celle du fournisseur d’une plateforme en ligne.
Par ailleurs, dans la mesure où la proposition entend résoudre les problématiques liées à l’avènement de l’économie circulaire, tout opérateur qui modifie de manière substantielle un produit (refabrication, remise à neuf ou réparation) peut engager sa responsabilité comme un fabricant.
En cinquième et dernier lieu, la proposition maintient les mécanismes d’exemption prévus par la directive de 1985, tout en limitant la possibilité pour les responsables d’invoquer l’excuse d’apparition du défaut postérieurement à la mise sur le marché du produit lorsque la défectuosité est due à un service intégré ou interconnecté, à un logiciel (y compris une mise à jour ou à niveau) ou à l’absence de mises à jour ou à niveau nécessaires au maintien de la sécurité, dès lors qu’ils ont conservé le contrôle de l’élément en cause. À l’inverse, au bénéfice des fabricants, l’exemption tenant à l’état objectif des connaissances scientifiques et techniques perd son caractère facultatif.
Ensemble, dans l’attente de la position du Conseil de l’UE et du Parlement européen, ces apports devraient permettre aux victimes de rechercher plus aisément la responsabilité de nouveaux acteurs économiques. ν
Notes
COM (2022) 495 final : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A52022PC0495.
O. Akyurek