Vers une évolution de la pratique de la Commission durant les inspections en matière d’ententes ?
Le 16 juillet 2020, la Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu son arrêt dans l’affaire Nexans (C-606/18). Les requérantes contestaient la pratique de la Commission Européenne lors de la perquisition des locaux de l’entreprise Nexans, consistant à copier des documents sans en avoir évalué au préalable la pertinence, et à les examiner ultérieurement dans ses locaux à Bruxelles.
Au détour d’un arrêt qui s’inscrit dans la conception de plus en plus extensive des pouvoirs des enquêteurs européens lors de perquisitions, la Cour de Justice livre deux précisions « d’une importance qui ne saurait être sous-estimée »1 pour la pratique future de la Commission concernant les inspections en matière d’ententes.
En l’espèce, la question se posait de savoir si en vertu du règlement 1/2003, la Commission a le pouvoir, lors d’une perquisition, « non seulement de consulter et d’analyser les originaux de données sur place dans les locaux de l’entreprise concernée », comme c’est souvent la pratique, « mais aussi d’en faire des copies et de rechercher ultérieurement dans celles-ci, dans ses locaux à Bruxelles, des documents pertinents pour l’objet et le but de l’inspection en cause, lesquels seront ensuite versés au dossier »2. Les requérantes contestaient la pratique sous deux angles : (i) la Commission pouvait-elle copier des documents avant d’en avoir examiné la pertinence, et (ii) pouvait-elle examiner ces documents ultérieurement dans ses locaux à Bruxelles ?
Sur la première question, la Cour affirme que selon l’article 20(2)b et c du règlement 1/2003, rien n’oblige la Commission à examiner les données avant de les copier. Pour la Cour, cette pratique est conforme dès lors que la Commission possède une certaine marge d’appréciation pour copier des documents, que les droits des entreprises demeurent garantis, et que l’ingérence dans le fonctionnement de l’entreprise inspectée est limitée.
Sur la deuxième question, la Cour considère que l’article 20(2)b dudit règlement n’impose pas que le contrôle des documents saisis soit réalisé dans les locaux de l’entreprise. Deux limites sont toutefois posées : (i) le contrôle des documents dans les locaux de la Commission doit favoriser l’efficacité de l’inspection ou permettre d’éviter une ingérence excessive dans le fonctionnement de l’entreprise concernée, et (ii) ne doit pas entraîner pour l’entreprise une violation des droits de la défense ou une atteinte supplémentaire à ses droits. En l’espèce, les avocats ont été présents tout au long de la vérification des données au sein des locaux de la Commission.
Si cet arrêt ne tient pas lieu d’exception, les pouvoirs des enquêteurs européens pourraient être considérablement accrus. Ces derniers auraient la possibilité de réduire leur temps de présence au sein des entreprises inspectées, tout en étendant la durée des enquêtes en évaluant, après la perquisition, l’ensemble des données saisies. On peut se demander si la pratique de la Commission ne s’oriente pas vers un « modèle français » en matière de perquisitions. En effet, l’ADLC effectue déjà des saisies massives de données sur la base de mots-clés, avant de les étudier au sein de ses locaux.
La question de la proportionnalité de la mesure se pose aussi. Ici, cette pratique a été admise dans la mesure où l’inspection au sein de l’entreprise s’est déroulée sur quatre jours, et que l’analyse ultérieure des documents s’est poursuivie pendant 8 jours.
Enfin, les questions soulevées par cet arrêt sont au cœur de l’actualité européenne : L’article 6(1)c de la directive ECN+, qui doit être transposée pour le 4 février 2021, autorise les autorités nationales de concurrence à « prendre ou obtenir, sous quelque forme que ce soit, copie ou extrait de ces livres ou documents et, s’ils le jugent opportun, poursuivre ces recherches d’information et la sélection des copies ou extraits dans les locaux des autorités nationales de concurrence ou dans tous autres locaux désignés ».
Les entreprises devront se doter de procédures afin d’anticiper cette évolution.
Notes
1. Conclusions de l’avocate générale Juliane Kokott, 12 mars 2020, aff. C-606/18, pt 4.
2. Ibid, pt 19.