Trous d’air et turbulences : un regard (pas tout à fait) pessimiste sur le marché européen de l’immobilier
Le marché européen de l’immobilier institutionnel est plus que jamais à la croisée des chemins. Affecté par des tensions macroéconomiques multiples et complexes, une situation politique incertaine et des usages en constante évolution, il peine à se stabiliser. En dépit de ces incertitudes accrues, certaines tendances de fond peuvent néanmoins être dégagées.
Taux d’intérêt élevés et instabilité politique
Le secteur de l’immobilier est traditionnellement considéré par les investisseurs comme un havre de stabilité en période de turbulences macroéconomiques (résilience relative des valorisations, protection contre l’inflation, permanence des usages). Toutefois, la hausse significative des taux d’intérêt enclenchée par les banques centrales depuis 2022 pour lutter contre l’inflation a refroidi l’ardeur des investisseurs. C’est en particulier le cas pour les fonds de private equity, acteurs jusque-là très actifs sur le marché européen, qui ont vu le taux de rendement interne de leurs investissements affectés par les coûts de financement accrus imposés aux emprunteurs. L’instabilité politique frappant de nombreux pays européens, au premier rang desquels la France, participe également à ce reflux notable et inquiétant.
Bouleversement des usages
Une autre tendance, plus structurelle celle-ci, explique aussi la frilosité du marché : la transformation des espaces de commerces et de bureaux. L’essor massif du commerce en ligne et l’adoption généralisée du télétravail ont en effet bouleversé ces deux classes d’actifs. Les espaces dédiés au commerce évoluent pour devenir des lieux de vie et de divertissement, alors que les bureaux se réinventent pour répondre à des exigences accrues de modularité (flex office, pods, bulles de concentration, etc.). Ces changements complexifient les négociations entre preneurs et bailleurs. Dans ce contexte, les biens et emplacements de premier rang sont plus prisés que jamais et ne subissent, eux, qu’un faible taux de vacance.
La bataille de la valorisation
Force est de constater que le fossé entre les attentes des cédants et les exigences des acquéreurs ne s’est toujours pas comblé et que les discussions sur le taux de capitalisation des actifs à vendre sont source de difficultés grandissantes. Ce décalage a rendu les négociations plus longues et complexes et nourri la baisse sensible du nombre de transactions en Europe.
Tensions sur le marché du financement
Dans ce contexte, le financement, composante essentielle du marché immobilier institutionnel, est en proie à des tendances malthusiennes. Les prêteurs et leurs comités de crédit, conscients des incertitudes qui pèsent sur le marché, resserrent leurs exigences, ce qui pousse les emprunteurs à chercher des solutions temporaires. Parmi celles-ci, les accords de modification et d’extension (amend and extend) gagnent du terrain, permettant aux emprunteurs de disposer de plus de temps pour céder leurs actifs.
Cependant, ces accords ont souvent un prix : d’une part, la nécessité d’apporter des fonds propres supplémentaires, parfois difficilement mobilisables, pour réduire le ratio « Loan to Value » des actifs hypothéqués ; d’autre part, le souhait des prêteurs d’augmenter la robustesse de leurs sûretés, se traduisant par une demande de mise en place de fiducies-sûretés et de fiducies-gestion sur les actifs financés, afin de se prémunir contre l’ouverture de procédures collectives et d’être en mesure de provoquer une cession ordonnée des actifs aux termes d’un processus de vente prédéfini. Les coûts et la complexité accrue de ces changements ne doivent pas être sous-estimés.
Tracer la voie du changement
La capacité du secteur immobilier à s’adapter aux évolutions macroéconomiques et aux besoins sociétaux sera la clé de sa résilience et de sa croissance. Pour les professionnels et les consultants, l’agilité est la clé. Pour reprendre les mots qui ont résonné dans les couloirs de la dernière édition du MIPIM, « le changement est la seule constante, et l’adaptabilité la seule stratégie ». T
E. Fiszelson