Travailleurs de plateformes : analyse critique de la charte prévue par l’article 20 de LOM
Une charte homologuée par l’administration permettra aux plateformes de se prévaloir d’une présomption de non salariat.
Le 17 septembre dernier, l’assemblée nationale a adopté, en nouvelle lecture, le projet de loi d’orientation des mobilités (« LOM ») contenant un article 20 relatif à la responsabilité sociale des plateformes, à l’origine de la création d’un service organisé. Toutefois, l’étude d’impact se focalisait sur la sécurisation des opérateurs de plateformes plutôt que sur celle des prestataires de travail.
Les plateformes pourront ainsi mettre en place une charte contenant huit catégories d’engagements à l’égard des travailleurs utilisant leurs services. Une fois homologuée par l’administration, son application ne pourra pas être invoquée par les travailleurs pour revendiquer un statut de salarié.
Néanmoins, ce texte ne saurait totalement brider le pouvoir de requalification détenu par le juge à travers son pouvoir d’appréciation des faits, même s’il a pour objectif affirmé de sécuriser la relation contractuelle, tout en tentant d’apporter une relative protection aux travailleurs des plateformes.
Pourtant, rien n’est moins sûr.
Ce texte et la charte qu’il propose créent une zone grise entre le salariat et l’indépendant qui ne fera qu’ajouter de la complexité et de l’insécurité à l’analyse de la nature de la relation contractuelle en cas de contentieux.
En effet, l’exclusion de principe du droit du travail ne doit pas résister à une éventuelle requalification juridique si la relation met en évidence l’existence d’un lien de subordination.
C’est d’ailleurs cette option qui a été retenue par l’État de Californie qui vient d’adopter une loi selon laquelle les chauffeurs utilisés par Uber et ses concurrents seront dorénavant considérés comme leurs salariés lorsqu’ils travaillent principalement ou régulièrement pour elles.
Le droit du travail doit ainsi s’appliquer lorsque les plateformes contraignent le prestataire à exercer son activité en tant que « travailleur indépendant » et à signer un contrat de prestation de services dans lequel sont imposés (i) un cahier des charges strict pour la réalisation de la prestation de travail, (ii) un contrôle, direct ou indirect, de l’effectivité de la prestation, (iii) les modalités financières et (iv) le pouvoir de le sanctionner. Comme nous avons pu le dénoncer avec mon confrère Etienne Pujol, bien que le modèle économique des plateformes n’ait pas fait ses preuves et favorise même l’émergence d’un marché du travail de plus en plus précaire, le législateur français vient clairement de faire le choix de leur réserver une place à part dans le système juridique français.
Pour éviter de créer un nouveau statut, une nouvelle zone grise qui échappera à tous, y compris aux parties à la relation contractuelle elles-mêmes, nous proposons de reconnaître aux travailleurs des plateformes le statut de salarié pour la période au cours de laquelle ils réalisent leur prestation de travail, voire pendant la plage horaire au cours de laquelle ils décident de se connecter, à l’instar d’autres emplois « atypiques » prévus par le code du travail : journalistes « pigistes », temps partiel, travail intermittent, heures d’équivalence, astreintes, VRP…
En conclusion, lorsque le travailleur de plateforme bénéficie d’une réelle indépendance dans la manière dont il réalise la prestation et dans la détermination du prix de la prestation, il doit être traité comme un indépendant, mais lorsque la plateforme se comporte comme un véritable employeur en exerçant un contrôle et un pouvoir de sanction, le droit du travail doit lui être appliqué, une charte - fut-elle homologuée - ne doit rien y changer.
Notes :
(1) « Travailleurs des plateformes : une petite charte et puis s’en vont ? » Le cercle des Echos 24 septembre 2019, E. Lederlin et E. Pujol
(2) Ratifiée par le Gouverneur de Californie le 18 septembre 2019
(3) ibid