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SPAC ou pas SPAC ?

Par Xavier Petet, counsel, cabinet Clifford Chance

Les SPAC, c’est le phénomène du moment, commentés de toute part et souvent acclamés comme la nouvelle structure d’investissement disruptive promise à un avenir radieux. Un OVNI échappant à la dichotomie classique entre investissement boursier et private equity qui fait saliver hedge funds et autres investisseurs en mal d’opérations rentables avec une prise de risque limitée.

Pour rappel, le SPAC est un véhicule d’acquisition sans actif ni activité, une coquille vide, dont les titres sont émis sur un marché boursier (d’où la formule consacrée de société « chèque en blanc ») misant sur la notoriété de ses fondateurs pour lever les fonds qui viendront financer l’acquisition d’au moins une cible à identifier au cours d’un laps de temps déterminé (généralement 24 mois). La cible est alors acquise par voie de fusion, promettant au business repris un IPO sans effort, en évitant les lourdeurs de la procédure, opération connue sous le nom de « de-SPAC ».

Sous l’apparence de la nouveauté, la structure ne date pas d’hier. Après avoir timidement vu le jour aux États-Unis au début des années quatre-vingt-dix, elle a tardé à faire des émules mais voit sa cote de popularité grimper en flèche depuis deux ans, essentiellement chez l’oncle Sam où les SPAC supplantent désormais les IPO classiques, et vient aujourd’hui conquérir les marchés mondiaux. Bien que nos serial-entrepreneurs « made in France » habituels aient préempté le mouvement (le trio Niel/Pigasse/Capton ayant marqué l’essai dès 2016 avec Mediawan, société de production montée par voie de SPAC à qui l’on doit par exemple les séries à succès Dix Pour Cent et La Flamme), la France, fidèle à ses traditions, traîne à suivre. Les Pays-Bas, où la règlementation boursière est plus souple et agile, tirent leur épingle du jeu européen, attirant notamment Bernard Arnault qui y a lancé son SPAC aux côtés de Jean-Pierre Mustier et Tikehau. Aux États-Unis, les vedettes de tous bords veulent un SPAC à leur nom : Jay-Z et Shaquille O’Neal en sont d’illustres exemples. Si bien que la SEC s’est fendue d’un bulletin pour rappeler aux boursicoteurs que la présence de célébrités dans un SPAC n’est pas un gage du caractère approprié de l’investissement. Le phénomène a pris une ampleur telle qu’on assiste désormais à des processus de cession réservés aux SPAC, dans lesquels les véhicules sont mis en concurrence pour la reprise de sociétés en quête de capitaux et d’IPO (les SPAC-offs).

La tendance des SPAC semble ainsi s’inscrire dans la durée. S’il est probable que la structure ait encore de beaux jours (pour preuve, le niveau de rentabilité affiché par les SPAC les plus performants), des dynamiques récentes viennent noircir le tableau. Structurellement, on s’est rendu compte que la meilleure option pour les investisseurs initiaux (les early backers) pouvait être de sortir du deal avant le de-SPAC, comme le permet la structuration type, au titre de laquelle l’investisseur peut obtenir remboursement de son apport (plus intérêts) préalablement à la réalisation du de-SPAC tout en conservant un warrant (BSA) lui offrant une « option gratuite » de souscription aux actions post de-SPAC (créant au passage un phénomène de dilution défavorable aux primo-investisseurs). Ensuite, la période limitée du SPAC impose à ses fondateurs de conclure un de-SPAC rapidement, parfois au sacrifice d’une certaine lucidité (notamment sur la valorisation de la cible). Enfin, des déclarations récentes de la SEC (pêle-mêle : restrictions comptables, de reporting et de gouvernance affectant les SPAC ; possibilité d’imposer le traitement des de-SPAC comme des IPO classiques ; requalification éventuelle du BSA en instrument de dette et non d’equity, etc.) ont fragilisé les SPAC aux États-Unis en provoquant un ralentissement du marché et une perte de l’appétit des investisseurs pour la structure.

Le SPAC est un animal atypique, hybride et mouvant, sur lequel nous manquons encore de recul. Son avenir en France dépend largement du sort que lui réservera l’AMF. Affaire à suivre…

Clifford Chance Xavier Petet Spac