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Opérations de visites et saisies en droit de la concurrence : des évolutions récentes impactant les droits de la défense

Par Frédéric Puel, associé, et Alexandre Marescaux, avocat, cabinet Fidal

En ce début d’année, la Cour de cassation a rendu plusieurs arrêts sur l’étendue des pouvoirs d’enquête des autorités de concurrence (Autorité de la Concurrence et DGCCRF) dans le cadre de leurs opérations de visites et saisies. Ces arrêts sont importants : dans un contexte de durcissement de la politique antitrust des autorités de concurrence, la stricte observance des droits de la défense des entreprises au cours des opérations de visites et saisies (OVS) est cruciale pour les suites des enquêtes. Retour sur ces dernières actualités, qui modifient le cadre des droits et obligations des entreprises visées par des enquêtes de concurrence.

Les agents des autorités de concurrence sont habilités, sur autorisation judiciaire, à visiter tous les locaux des entreprises et à saisir des éléments pertinents pour l’enquête. Toutefois, à l’heure du développement numérique et du recours croissant aux serveurs délocalisés (cloud notamment), se pose la question de l’accès aux données qui ne se trouvent pas physiquement dans les locaux des entreprises visitées. Par un arrêt du 21 février 2231, la Cour de cassation permet l’accès à ce type de données : les agents des autorités peuvent saisir tous les documents et supports d’informations, qu’ils soient physiques ou numériques, « dès lors qu’ils se trouvent dans les locaux objets des investigations ou que leurs données sont accessibles depuis ces locaux ». La donnée saisie peut donc ne pas être physiquement présente dans les locaux visités, voire ne pas appartenir à l’entreprise ciblée, dès lors que les agents peuvent y accéder par le biais des moyens informatiques présents dans les locaux. La Cour de cassation précise également que les saisies peuvent porter sur des documents et supports qui appartiennent à des personnes extérieures à l’entreprise mais de passage dans les locaux visités, pour autant que ces éléments soient en lien avec l’objet de l’enquête. En l’espèce, il s’agissait des salariés d’une filiale et d’un consultant extérieur.

L’étendue du secret des correspondances

Même si les agents des autorités peuvent saisir tout document ou donnée en lien direct avec l’objet de l’enquête, les correspondances des entreprises avec leurs avocats sont en principe insaisissables. Dans un arrêt du 10 janvier 2232, la Cour de cassation a précisé qu’en France, dans le cadre d’un recours contre le déroulement d’une OVS, celui-ci ne pouvait pas être fondé sur la notion de legal privilege, qui demeure étrangère au droit français. Cette précision de la Cour de cassation invite à revenir sur les droits des entreprises en cas de tentative de consultation ou saisie de documents couverts par le secret de la correspondance avocats-clients. Ainsi, en cas de conflit sur le fait de savoir si des éléments que les autorités envisageaient de saisir sont ou non couverts par le secret professionnel, les agents des autorités de contrôle peuvent enclencher la procédure des « scellés fermés provisoires ». Les documents susceptibles de contenir ces éléments protégés sont alors mis sous scellés provisoires et il est donné à l’entreprise contrôlée un délai pour identifier les éléments couverts par le secret professionnel afin que ceux-ci soient, dans un deuxième temps, expurgés des éléments saisis pour permettre aux agents des autorités de constituer les scellés définitifs.

Accès restreint au JLD et rôle de filtrage des OPJ

Dans les enquêtes de concurrence, le juge des libertés et de la détention (JLD) a un rôle central : il autorise les OVS et celles-ci se déroulent sous son autorité et son contrôle. Par un arrêt du 15 février 2233, la Cour de cassation rappelle que le JLD, pour autoriser une OVS, peut se fonder sur de simples indices et n’a pas besoin de disposer de preuve des pratiques. Mais surtout, la Cour de cassation rappelle par son arrêt du 21 février 2023 mentionné précédemment que les entreprises visitées ne disposent pas d’un accès permanent au JLD pour contester les opérations en cours d’exécution. Les officiers de police judiciaire (OPJ), présents lors d’OVS « lourdes » représentent le JLD. À cet égard, ils peuvent être sollicités par l’entreprise pour établir un contact avec le JLD, notamment en cas de désaccord entre l’entreprise et les agents de l’autorité de contrôle. Dans cette hypothèse, l’OPJ appréciera l’opportunité d’informer le JLD. Ces évolutions jurisprudentielles incitent les entreprises et les fédérations à anticiper les OPV en disposant d’un compendium clair des droits et des obligations des parties en présence.